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Inconsistante diplomatie

par Mahdi Boukhalfa

De nouveau, le royaume chérifien se brouille avec un de ses soutiens, sinon son principal mentor dans le monde arabe. Le coup de froid que traversent les relations politiques entre Rabat et Ryadh, s'il est révélateur de l'extrême inconsistance de la diplomatie marocaine, montre autrement qu'il faut toujours être sur ses gardes avec un pays toujours prompt à «tourner casaque». Après avoir provoqué inutilement l'année dernière l'Iran, l'accusant d'alliance avec le Front Polisario, et dans la même foulée l'Algérie, ou la brouille deux ans auparavant avec la Mauritanie voisine, voilà que la diplomatie marocaine oublie le parapluie doré que Ryadh lui assurait au sein des organisations onusiennes et avec les Etats-Unis et «crache dans la soupe» en provoquant une crise diplomatique avec un allié politique qui lui assurait également la moitié de ses IDE.

Pour confirmer à l'opinion publique internationale que la diplomatie marocaine version Mohamed VI n'est pas encore sortie de l'adolescence, qu'elle est mue par des sautes d'humeur tout à fait imprévisibles même envers ses plus traditionnels soutiens, Rabat a tout simplement provoqué son allié saoudien en allant le défier chez son voisin qatari avec lequel il est en brouille. Cette erreur très grave commise par le ministre marocain des Affaires étrangères Nasser Bourita, qui n'est pas à sa première bourde, d'accorder un entretien à la chaîne qatarie Al Jazeera, un des pires ennemis médiatiques de l'Arabie Saoudite, obligée de répliquer au petit émirat en créant elle également sa propre chaîne internationale de propagande, Al Arabiya, aura été vécue à Ryadh comme une trahison. D'autant que le chef de la diplomatie marocaine s'était hasardé sur un terrain que ni lui ni son roi ne maîtrisent: les véritables raisons de la guerre contre les Houthis au Yémen et, surtout, sa déclaration pleine de fanfaronnade que le prince héritier saoudien n'était pas le bienvenu au Maroc durant la tournée mondiale de Mohamed Ben Salmane au mois de décembre dernier.

Et, ce qui aurait complètement rendu fous de rage le prince héritier saoudien et la monarchie wahhabite, c'est que l'inexpérimenté ministre marocain ait fait des déclarations intempestives et inamicales à une chaîne TV qui a toujours ciblé le régime et les dignitaires saoudiens. Faire de telles déclarations à Al Jazeera, que les Saoudiens voudraient bien faire taire à jamais, c'est d'une légèreté et d'une inconscience diplomatiques déconcertantes. Mais qui, dans le fond, montre bien qu'à Rabat on n'a pas encore compris tous les enjeux et les défis qui se passent au Proche et Moyen-Orient. Défier l'Arabie Saoudite et déclarer que le prince héritier est «persona non grata» au Maroc, est non seulement un acte irréfléchi des Marocains, mais, surtout, qui confirme à quel point il ne faut plus se fier à un régime devenu par la force des choses otage de ses déraisons et ses lubies politiques.

La réplique de Ryadh a été proportionnelle au préjudice subi et a fait mal au palais royal, mais sans s'engager officiellement dans une bataille diplomatique inutile, en battant en brèche les thèses marocaines au Sahara Occidental. Après les Algériens, les Iraniens, les Mauritaniens, les Libyens, les Saoudiens savent maintenant à quoi s'en tenir avec le Makhzen.