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Europe: La danse du ventre de la diplomatie européenne

par Bruxelles: M'hammedi Bouzina Med

  L'Union européenne reconnaît Juan Guaido comme président du Venezuela, refuse de revoir l'accord du Brexit avec les Britanniques et invente le «troc» commercial avec l'Iran. Quelle crédibilité encore pour la diplomatie européenne?

En une semaine, l'Union européenne (UE) s'est fendue de trois décisions politiques et diplomatiques majeures: elle refuse toute nouvelle négociation de l'accord sur le «Brexit» avec la Grande-Bretagne, reconnaît et soutient le président autoproclamé Juan Guaido face au président en exercice du Venezuela, Maduro, et «réinvente» le troc pour commercer avec l'Iran en raison du blocus américain contre ce pays. Chacune de ces décisions est justifiée, selon les leaders de l'Europe, par le souci de la justice, de la démocratie et de la préservation de la paix là où se manifestent les crises, conflits ou guerres. Qu'à cela ne tienne tant les équilibres géostratégiques mondiaux subissent des bouleversements continus depuis le début de ce siècle. Mais cette conception de l'UE des relations internationales a quelque chose de troublant et de franchement inquiétant.

Ainsi, comment comprendre la rigidité de l'UE même pour une renégociation à la marge de l'accord de divorce avec les Britanniques, sachant la catastrophe économique et politique pour les deux parties d'un «no deal» ? Comment l'UE peut-elle expliquer qu'en «faisant» Juan Guaido président du Venezuela face au président en exercice Nicolas Maduro, elle agit et aide à la résolution de la crise politique dans ce pays? Si Maduro est déchu par la pression internationale, quelle sera la réaction de ses partisans qui, rappelons-le, disposent encore d'une courte majorité dans l'opinion vénézuélienne? Retour à la case départ par la division du peuple, les marches, grèves, exil ? Des propositions de part et d'autre des parties en conflit sont émises: retour aux urnes pour les législatives, amnistie, rencontres et négociations sous l'égide de pays voisins, etc. C'est-à-dire le dialogue. N'est-ce pas la voie de la sagesse ?

Pourquoi l'UE soutient-elle sans faille Juan Guaido contre Maduro ? Cette attitude est celle de l'américain Donald Trump dont le pays détient encore une part non négligeable dans le holding pétrolier du Venezuela malgré les nationalisations opérées par le précédent président, Hugo Chavez. Cette attitude de l'UE est-elle vraiment dictée par son souci de défendre la démocratie et la liberté des Vénézuéliens ? Admettons.

Vu sous cet angle, pourquoi l'UE s'est ingéniée à réinventer le « troc» pour continuer ses affaires avec l'Iran, isolé par les USA? Les libertés et la démocratie sont-elles plus respectées en Iran ?

Plus troublant et inquiétant encore le silence de l'UE face au drame du Yémen et ses accointances commerciales, notamment dans le secteur de l'armement avec l'Arabie Saoudite qu'on connaît comme pays démocratique ! Cette diplomatie en dents de scie justifiée souvent par le concept ambigu, parfois amoral, de «réal-politique» a des conséquences sur la stabilité et l'avenir de l'UE. Devant tant d'incohérences, les peuples européens désespèrent de l'idéal européen contenu dans l'esprit des textes fondateurs de l'UE.

Le réveil des nationalismes, la montée constante des partis populistes et extrémistes, les reculs des partis progressistes? ces dernières années en Europe devraient alerter ces leaders et dirigeants sur le risque d'effondrement ou d'implosion de l'UE.

Il y une corrélation entre cette diplomatie dévergondée et partiale de l'UE et la perte de confiance des peuples dans l'avenir de l'UE. En perte de vitesse dans la compétition mondiale, en proie aux crises sociales récurrentes et divisons (à l'exemple du Brexit), l'Europe des gouvernants continue dans son entêtement à vouloir avoir raison contre tous, contre vents et marées, et surtout contre les opinions de ses propres peuples. L'Europe qui donne des leçons de démocratie et d'humanisme a mis plus de deux semaines pour se «partager le poids» de 47 migrants subsahariens et s'indigne de la volonté de Donald Trump pour la construction de son mur à la frontière avec le Mexique. Sa paralysie face à la violence d'Israël et son occupation de la Palestine traduit tout ce qui lui reste de crédibilité et de dignité.

Avec une telle diplomatie construite sur des conjonctures et conjectures d'intérêts immédiats, sans vision et perspectives sur le long terme, l'UE donne l'impression d'agir dans l'urgence sans compter les risques et retours de bâton sur son propre avenir. La fronde des peuples européens est pourtant là: en France, en Italie, en Hongrie, en Roumanie, en Autriche et même en Allemagne qui a vu l'arrivée de l'extrême droite à son Parlement. Toutes ces alertes ne semblent pas inquiéter ses dirigeants qui persistent dans des politiques de fuite en avant devant les périls qui la menacent chez elle. C'est cela aussi la leçon du Brexit que l'UE n'a peut-être pas encore bien comprise.