Alors que
même les dossiers de candidatures pour la présidentielle n'ont pas été
approuvés par le Conseil constitutionnel, on commence déjà à se tirer dans les
pattes, à se faire des croche-pieds pour envoyer l'adversaire au tapis, la
gueule en pare-chocs. On menace de divulguer des secrets, préférant parler à
demi-mot l'air de dire que moi je connais des choses sur toi que toi-même tu
ignores. On fait dans l'allusion, dans le sens caché, enveloppant son discours
dans des tournures alambiquées, le saupoudrant d'énigmes ésotériques que ne
comprennent que les initiés. Nous, dans tout ça, on n'a que notre sourire
narquois à leur offrir. On se rappelle tous ces hommes en possession de
dossiers compromettants qui menacent de les exhiber en prenant leurs distances
avec leurs prédécesseurs qui détenaient également des dossiers préjudiciables.
Mais ceux-là postillonnaient dans le vent à les croire et eux jurent leurs
grands chevaux qu'ils n'hésiteraient pas à les rendre publics pour peu qu'on ne
leur donne pas une petite part de la tarte nationale. Alors, ils parlent aux
micros, affirmant qu'ils ne sont pas comme tous ces fabulateurs qui prétendent
détenir des dossiers et qu'on n'a pas vus jusqu'à aujourd'hui. Pour eux, leurs
dossiers enverraient quiconque en prison et ils sont les seuls à connaître
l'identité de ce pronom relatif. Ils interpellent la justice et convoquent la
force publique les prenant comme témoins de leurs menaces. Ils savent que
quiconque a commis des vols, des détournements, coupable de haute trahison
passible du peloton d'exécution parce qu'ils ont les dossiers entre leurs
mains. Des dossiers sur tout et tout le monde, sur les responsables, leurs fils
et leurs maîtresses. Sur le président et sa cour, sur le ministre et ses
appartements, sur les étoiles qui marchent et l'épicier du coin. De l'économie,
à l'industrie, des finances et du gaspillage, des pots-de-vin, pas le jus de
betterave qu'on boit à côté des rails, mais le bon vin millésimé à des
centaines d'euros la bouteille. Et nous, dans notre infinie impuissance
prolétaire, on fait semblant de les croire, de trembler à l'idée que notre
ombre traverse ces fameux dossiers, que notre nom soit porté, par inadvertance
ou par vengeance, sur une fiche de renseignements et on se prend à fantasmer
sur leur contenu. Lui, l'autre, le fils à, le frère de, la petite amie de
minuit, enfin les satellites gravitant autour du noyau, sont-ils menacés tout
comme notre malentendu ? Les dossiers ne parlent jamais, on les fait taire
jusqu'au jour où une feuille volante change le destin d'un pays.