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Harraga, la grande question

par Mahdi Boukhalfa

Loin d'être un phénomène uniquement lié à la recherche de meilleures conditions de vie, l'émigration clandestine, qui s'est imposée comme un modèle de faire-valoir chez les jeunes et même au sein de pères de famille, ne sera jamais vaincue par un discours démagogique loin de la réalité sociale des Algériens. Le gouvernement, qui refuse de voir les vraies raisons sociologiques de ce formidable appel d'air, de cet irrésistible élan de quitter le pays, reste désespérément arc-bouté à des positions qui ne peuvent en aucune manière donner des clés de solutions au problème.

Hier, il était question de prise en charge et de résolution de ce phénomène lors d'une conférence qui a beaucoup plus posé des questions qu'abordé la vraie problématique, les questions qui fâchent en même temps. Si le ministère de l'Intérieur, organisateur de la conférence sur l'émigration clandestine, a beaucoup plus comme priorités de juguler le phénomène et lutter contre les réseaux de passeurs, le gouvernement, lui par contre, a la lourde responsabilité de trouver des alternances plus humaines et moins dramatiques à la dure réalité des jeunes, sans emploi, sans avenir, avec comme seul horizon une déprime généralisée. C'est un fait que l'attrait d'une vie meilleure en Europe participe des principaux facteurs de l'émigration clandestine auprès des jeunes et moins jeunes Algériens. Pour autant, ce n'est pas la seule raison explicative, d'ailleurs toute trouvée par le gouvernement pour dénoncer, même avec l'aide de la mosquée dont la mission a été une nouvelle fois dévoyée, de cet extraordinaire exode massif par mer.

En dépit des dangers réels et potentiels de la traversée, avec la mort au bout pour la plupart des harraga, la tentation de partir, de trouver ailleurs ce qu'il n'y a pas dans le pays n'est pas la seule raison explicative d'un phénomène de société. D'autant que l'émigration clandestine n'est pas un fait spécifique aux Algériens, mais est quasi généralisée dans le monde avec cette attirance fantastique exercée par les pays développés, industrialisés, les sociétés de consommation, sur les jeunes générations de pays du Sud aux conditions de vie déplorables. Sans aller jusqu'à détailler ou sortir les grandes théories sur les effets sociétaux dans le monde de l'échange inégal et le pillage des richesses, les effets de la colonisation ou le pouvoir de l'argent et la domination outrancière des grands lobbies et des multinationales sur l'économie mondiale, il est pour le moins fastidieux pour notre gouvernement de tenter d'attraper des mirages. Des rêves que font aussi bien les jeunes Algériens candidats à l'émigration clandestine que ces dizaines de millions de sans-abris, sans eau, sans ressources, sans avenir partout dans le monde pour qui vivre en Europe ou aux Etats-Unis est devenu la consécration ultime d'une vie de privations, de misère, de déni de la vie tout court.

Les dures conditions économiques actuelles ont exacerbé les conditions de vie en Algérie, au point que des familles entières n'hésitent pas à braver la mort, les dangers de la mer pour aller ailleurs chercher ce qu'elles n'ont pas dans leur pays. Et ce ne sont pas quelques ?'mesures'' sans lendemain qui vont faire changer d'avis une société qui vit déjà, par l'esprit et les rêves, ailleurs. Il y a tant de désespérance à avoir une vie décente, être écoutés et compris que beaucoup d'Algériens, malheureusement et en dépit de toutes les mesures du gouvernement, ne se projettent plus en Algérie. La problématique est dès lors simple: il faut s'ouvrir aux espérances et aux espoirs des générations montantes au lieu de les pousser au départ.