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Présidentielle 2019 : pourquoi pas un RIC(01) pendant qu'on y est !

par Reghis Rabah*

Pourquoi une conférence ? Que représentent les partis qui l'organiseraient ? A quoi servirait un report ? Par contre, le programme du système est annoncé sous le signe de la «continuité». Quand bien même Bouteflika ne le conduirait pas lui-même, quelqu'un d'autre de cet ordre le ferait à sa place. Si cette continuité mène droit vers l'impasse économique comme le laisse entendre l'exécutif lui-même, alors où sont les programmes alternatifs d'autres candidats ? Pourquoi ce fatalisme ?

En tout cas, ce qui est sûr, le cafouillage autour des prochaines échéances électorales au sein même de la coalition de soutien d'Abdelaaziz Bouteflika montre incontestablement une panne de reproduction du système. La succession par légitimité révolutionnaire ne trouve pas son homme même de la génération de Lakhdar Brahimi, Ahmed Ouyahia, Mouloud Hamrouche et Ali Benflis qui a d'ores et déjà pris sa décision de ne plus jouer le rôle de lièvre si le pouvoir soutien un candidat. Par pouvoir, il entend certainement le système dont il est issu lui-même. Il faut peut-être préciser d'emblée que la «continuité» d'un ordre établi n'est pas spécifique à l'Algérie mais coïncide avec cette vague citoyenne africaine contre les chefs qui s'accrochent au pouvoir. On se rappelle dans ce cadre justement qu'à partir de 2008 et l'Algérie n'en a pas fait exception. De nombreux chefs d'Etats africains ont travaillé pour leur maintien au pouvoir bien que la constitution le leur interdise. Que ce soit au Burkina Faso, mais aussi au Burundi, en République du Congo (Congo-Brazzaville), en République démocratique du Congo (RDC) ou au Rwanda, aucun président n'a formellement manifesté sa candidature pour une quelconque échéance électorale. Pourtant, les signes avant-coureurs ne manquaient pas. Après le Cameroun, le Tchad, l'Angola ou l'Ouganda, une nouvelle vague de modifications constitutionnelles avait été annoncée dans le continent africain. Les arguments utilisés pour justifier ces mesures invariables : le besoin de stabilité, la nécessité de poursuivre une œuvre inachevée et la réponse à une demande populaire. Les exemples ne manquent certainement pas mais retenons qu'un an a passé depuis la chute de Robert Mugabe, et l'euphorie a fait place à la déception. L'inflation est galopante, les biens alimentaires manquent. Le parti au pouvoir, la Zanu-PF tente de défendre son bilan, mais l'opposition accuse les autorités de harcèlement. Il est plus que certain qu'avec Bouteflika ou sans lui, tout le monde a pris bonne note du chaos économique annoncé et où trouver un candidat consensuel, capable dans les conditions économiques actuelles de mettre en œuvre des reformes audacieuses qui mettraient en péril la paix sociale, ciment colle de cet ordre établi. La voix du doyen des journaux, El Moudjahid, est la collégiale qui exprime la parole du système. Si dans son éditorial de cette semaine il considère le report de l'échéance électoral comme une simple «rumeur» alors qu'elle émane des membres de la coalition de son soutien, c'est qu'il vise l'officiel et les élections auront bien lieu et le seul candidat en lice ne peut être qu'Abdelaaziz Bouteflika pour le moment. Seulement voilà, Abdelaaziz Bouteflika n'aime pas occuper le ¼ de la présidence et dans tous les mandats où il est sollicité, il exige un minimum d'abstention et un maximum de vote de soutien. Rappelons que lors du retrait des candidats concurrents de son premier mandat, qu'il a traités de «boxeurs ayant jeté l'éponge»(02) et à la question posée par le journaliste de France Télévision «ce qu'il attend des urnes ?», il dira «si je n'ai pas un soutien franc et massif du peuple algérien, je considère qu'il doit être heureux dans sa médiocrité» et d'ajouter tout souriant : «Après tout, je ne suis pas chargé de faire son bonheur malgré lui, je vais rentrer chez moi et y rester pendant vingt ans»(02).

Les conditions d'une paix sociale sont loin d'être réunies

La réalité est que voilà depuis maintenant quatre ans, l'Algérie voit ses réserves de change fondre. La faute à un prix du baril de pétrole trop bas pour couvrir les dépenses de l'Etat soucieux de maintenir la paix sociale dans le pays. Les temps fastes semblent désormais révolus. Pourtant, l'élite politique s'il en existe se focalise sur la personne de Bouteflika sans pour autant présenter une alternative crédible à cette dépendance des hydrocarbures ou éventuellement sur la manière d'amorcer le changement inévitable faute de succession charismatique du régime. Les hydrocarbures représentent aujourd'hui près de 30% de la richesse du pays. Ils comptent pour 98% des exportations et rapportent environ 70% des rentrées fiscales de l'Etat. Le niveau de vie des Algériens et la santé économique du pays se calquent aujourd'hui sur les prix du baril de pétrole dont la tendance n'est pas rassurante. Les élections présidentielles vont avoir lieu dans quelques mois. Mais continuer sur cette voie implique des incidences budgétaires énormes et les finances de l'Etat pourraient être à sec d'ici 24 mois si la démarche ne changera pas de trajectoire. Faire tourner la planche à billets favorise l'inflation qui mènera droit vers le chaos vénézuélien. Le pouvoir actuel se retrouve donc devant un choix difficile, presque impossible. Le gouvernement veut assurer la pérennité financière de l'Etat et aimerait changer de politique budgétaire et mettre fin aux subventions publiques. Mais le risque d'un embrasement social est grand. Les mouvements sociaux de 2016-2017 ont freiné les plans de rigueur. Il faudrait que le baril de pétrole puisse remonter à près de 100 dollars pour résoudre à court terme les difficultés budgétaires sans déclencher des mouvements sociaux durs. Mais cela ne risque pas d'arriver, étant donné les circonstances.

Le discours de l'exécutif alerte l'opinion publique sans proposer de solutions

Le Premier ministre ne rate pas l'occasion de rappeler le taux de natalité relativement important par rapport aux ressources disponibles. Près de 900.000 nouveaux-nés chaque année viennent gonfler la demande pour une offre qui rétrécit d'année en année. Il faudrait prévoir pour cela des infrastructures d'éducation, de santé, de logement, etc. Son ministre de l'Energie vient de donner des chiffres sur la production du gaz algérien qui donnent froid au dos. En effet, contre l'avis de nombreux experts, il situe la fin des exportations dans une échéance de 3 ans, soit selon lui d'ici 2021 on aura une consommation interne de gaz qui nous ne permettra plus d'exporter. Son chef du gouvernement prévoit des catastrophes économiques d'ici l'an 2020 avant même de présenter une alternative pour «tenter» de les contrecarrer. Le porte-parole de son parti le présente comme l'homme des situations difficiles et qu'on ne fait appel à lui que dans le cas où aucune alternative n'est en vue. Il se considère en tant que tel pour préparer le terrain et justifier ses échecs futurs. Ces derniers temps, les subventions de l'Etat redeviennent subitement d'actualité. Tout le monde en parle et veut s'y impliquer, même ceux qui en profitent comme les hommes d'affaires par exemple. En effet, si l'on se réfère au projet de la loi des finances pour l'année 2019, près de 300 milliards de dinars ont été réservés pour soutenir les produits alimentaires dont plus de 50% servent d'input pour l'industrie, notamment ceux considérés de première nécessité comme les matières grasses, les céréales, le blé et bien d'autres. Celles des produits énergétiques demeurent difficilement identifiables de prime abord parce qu'elles s'opèrent par d'autres moyens que le budget de l'État ; essentiellement sous forme de rachat des dettes des entreprises concernées par le Trésor public qui couvrent leur visibilité budgétaire. Pour un ancien ministre(03) qui sait ce qu'il dit, il estime le coût annuel des subventions énergétiques au montant faramineux de près de 20 milliards de dollars dont 17 milliards pour l'électricité et les carburants et 3 milliards pour l'eau, il y a de cela près de 4 ans. Aujourd'hui, ces chiffres ont augmenté de 30%. Car selon ses propres dires la consommation subventionnée du gaz et du pétrole a un taux de croissance qui ne cesse d'augmenter. Ces subventions sont en outre à l'origine d'une véritable injustice sociale du fait qu'elles profitent non pas aux plus démunis qui, en général, ne possèdent pas des parcs automobiles et sont de petits consommateurs d'électricité, mais à la fraction la plus aisée de la population algérienne dont les dépenses s'écartent de la moyenne nationale de plus de 7,4 fois(04). Si l'on analyse les propos de cet ancien ministre considéré comme proche de Bouteflika, la couche démunie ne profite que de 5% de cette subvention. Partant de ces hypothèses, on peut se demander pourquoi les « industriels» qui prennent la grosse part de ces subventions s'impliquent dans un débat et poussent le gouvernement à prendre les mesures adéquates en sachant pertinemment que cela va embraser le pays. Cherchent-ils le chaos et à qui profite t-il ?

Le champ politique poursuit sa fermeture depuis l'indépendance

Les courants politiques comme les démocrates ou les islamistes censés ramener les changements dans le système en vigueur depuis l'indépendance se contredisent. L'un appelle au report, l'autre aile voit en cela une proposition immorale. Après analyse de la situation, seraient-ils arrivés à la conclusion que le champ politique est fermé et quel que soit le candidat qui y participe, il ne représente que lui-même ou perpétuera ce qui existe déjà? Que constatons-nous sur le terrain ? Aucun candidat, sinon deux ont affiché leur intention selon toute vraisemblance sans conviction. Pourquoi ? Aucun programme ou de grandes lignes de changement n'ont apparues clairement. Parmi cette inflation de candidats, il y a le fils d'un ancien président, des chefs d'entreprises, des commerçants, des médecins, des anciens militaires, des avocats, etc. Nombreux parmi eux donnent l'impression de participer soit pour forger une expérience, soit pour acquérir une popularité. Plus la présidentielle prend cette tournure, plus on crédibilise au sein de la masse populaire la continuité du mandat. Les citoyens sensés penseront qu'il est préférable de continuer avec un système qu'on connaît que de s'aventurer avec des candidats virtuels. Désormais, les états-majors des candidats approchés semblent prendre le programme d'un futur président comme une simple feuille de route quinquennale. Très peu d'entre eux s'apprêtent à débattre sur les grandes questions stratégiques comme la tendance démographique de l'Algérie, l'alternative aux hydrocarbures, la transition énergétique, la politique industrielle, de l'emploi, de l'habitat, du tourisme, etc. Mais tous sans exception croient que l'aisance financière permettrait de diversifier l'économie nationale et de remettre les gens au travail pour un réel décollage économique qui n'a pas pu avoir lieu jusqu'à présent. Or, cette approche n'est pas évidente pour au moins deux raisons :

S'ils comptent sur le partenariat hors hydrocarbures avec des étrangers, le capital international a montré son fort attachement à son but même et qui consiste à maximiser le profit. Les entreprises étrangères n'investissent que dans les secteurs à forte croissance pour la partager avec les Algériens. Elles ne laisseront rien en contrepartie. Même si les chiffres avancés ici et là restent discutables, ces entreprises ont transféré plus qu'elles n'ont investi. Ceci vient de la déclaration du président Abdelaziz Bouteflika lui-même lors de son discours en juillet 2008 et qu'il faudrait prendre comme une consigne.

La diversification est avant tout un état d'esprit, une forme de capitalisation et d'encrage d'un savoir et d'un savoir-faire, fruit de ce partenariat. Elle dépend donc des hommes et des femmes au travail et du développement de leur curiosité et de leur créativité. Or, la réorientation de l'économie nationale du début des années 80 qui a rendu vains les sacrifices de deux décennies, suivie juste après octobre 88 par le «tripotage» successif du secteur industriel sans stratégie ni objectifs précis, ont abouti à une importante «entropie» du système social.

Quelle est la situation aujourd'hui de cette population qu'on vise à sensibiliser ?

Aujourd'hui, on se trouve désormais en face d'une population active jeune et pleine d'énergie. Cette énergie est utilisée ailleurs que dans le sens de l'intérêt général qui devrait coïncider avec celui de la nation. Cet Algérien qu'on a rassuré pendant plus de 35 ans à qui on a demandé de contribuer pour bâtir une société juste qui lui assurerait salaire, logement et bien-être mais qu'au jour au lendemain, on lui apprend de ne compter que sur lui-même et souvent dans des conditions déloyales, se trouve malheureusement face à une stratification sociale complètement «chamboulée». Parti après l'indépendance d'un même niveau, il se retrouve aujourd'hui confronté à une classe très riche qui menace l'existence même de l'Etat en qui il a cru. Désorienté et totalement dérouté, il a perdu confiance et semble, avec le temps, contraint d'opter pour l'absence sociale. Le système l'a rendu pas loin de celui que décrit Jean Bothorel(5). Il est un citoyen pur. Il récuse les notions de l'Etat, d'intérêt général, de la morale sociale. Il est aussi un citoyen narcisse, c'est-à-dire ne recherche dans sa citoyenneté que les moyens de satisfaire son plaisir pur, son désir spontané sans cesse mouvant. Il est de même un égoïste, ne cherchant en permanence dans le travail que le plus grand plaisir personnel possible. Il préfère dès lors le non-travail ou le travail facile, voire le gain facile à toute contrainte aussi légère soit-elle. Cette situation a abouti à une rupture de confiance entre administrateurs/administrés. Les déceptions consécutives et la frustration qui en découle ont amené ce citoyen travailleur à ne compter que sur lui-même. On se trouve en définitive en présence d'un dialogue de sourds. Pendant que de nombreux responsables restent profondément plongés dans les rêves d'une éventuelle relance économique qui tarde à venir, et d'une pseudo représentativité entre les principaux acteurs du partenariat social, le climat des affaires pourrit, la corruption et le gain facile sont devenus l'essence même de la démarche économique. La «tchipa» est la pièce maîtresse de tout dossier économique. Aujourd'hui, on ne peut plus traverser un quartier des grandes villes du pays sans tomber sur les bazars de la contrefaçon. La fuite fiscale inquiète les pouvoirs publics. Est-ce là la compétitivité attendue ? La paupérisation gagne du terrain au sein des couches sociales. Depuis l'indépendance de l'Algérie, jamais le pouvoir d'achat n'a suscité autant d'inquiétude chez les spécialistes : sociologues, anthropologues, psychologues, économistes, médecins, etc. Les chiffres fallacieux et les discours creux n'arrivent plus à colmater les brèches d'une misère désormais visible à l'œil nu. L'endettement des ménages que les syndicats ont défendu bec et ongles ne suffit même plus à couvrir les besoins vitaux : nourriture, habillement, santé et logement. Pour le loisir, pourtant faisant partie du bien-être, il n'est même pas opportun d'en discuter. Cette paupérisation pousse à la violence, la corruption et le suicide sous ses différentes formes (Kamikaze, Harraga, immolation, se donner la mort tout simplement). Même le citoyen soi-disant aisé est acculé dans son quotidien par des mendiants, dans les parcs à la sortie de la poste, des mosquées, des pôles commerciaux, etc. Si ce phénomène suscite tant d'inquiétudes, c'est qu'il touche toute la stratification sociale, du nanti au marginalisé en passant par le moyen qui tend à rejoindre la seconde.

Conclusion

Il est vrai et il faut le reconnaître que d'énormes efforts ont été entrepris pour assainir le climat social et se veulent une plateforme pour la relance de l'économie nationale. Il se trouve qu'elles se fondent sur des considérations politiques. Le terrorisme et la fracture sociale qu'il implique ne sont pas des causes mais des effets induits. Il faudrait donc pour remettre les gens au travail s'atteler à trouver les causes profondes pour prescrire les remèdes. Le jour où la créativité prendra le dessus sur la vente en l'état, la spéculation et le gain facile, les gens se remettront d'eux mêmes au travail et cela ne demande ni capitaux ni entreprises étrangères, etc. C'est vers la recherche de cette profondeur que doit se dérouler le vrai débat pour le changement.

*Consultant, Economiste Pétrolier

Renvois :

1- R.I.C Referendum d'Initiative Citoyenne, une forme de consultation qui associe le peuple, sans associer le Parlement en amont sur toute question qui concerne une nation.

2- https://www.youtube.com/watch?v=x4PjzvCP8CY

3- Abdelatif Benachenhou ancien ministre jusqu'en 2005

4- Etude de l'ONS sur la décennie de 2000 à 2001, maintenant elle doit être beaucoup plus

5- Jean Bothorel «Le prince» édition Grasset 1981