Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Pétrole: Le Qatar quitte l'Opep à la veille d'un sommet décisif

par Mahdi Boukhalfa

Le Qatar a surpris les marchés pétroliers et surtout gaziers hier lundi en annonçant, à la veille de la 175ème conférence ministérielle de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) à Vienne, qu'il se retire de l'organisation.

C'est l'ancien P-DG de Qatar Gas et tout nouveau ministre de l'Energie, Saad Al Kaabi, qui a annoncé la décision de Doha de se retirer de l'Opep, expliquant avoir déjà informé lundi l'Organisation, et que cette décision prendra effet à partir de janvier prochain. «Le Qatar a décidé de se retirer comme membre de l'Opep avec effet en janvier 2019», a déclaré Saad Al-Kaabi lors d'une conférence de presse à Doha. Le Qatar, explique-t-il, continuera à produire du pétrole, mais se concentrera sur la production de gaz.

Le Qatar est le premier exportateur mondial de gaz naturel liquéfié (GNL) et est le second producteur mondial de gaz. Le ministre qatari de l'énergie a souligné que «nous n'avons pas beaucoup de potentiel dans le pétrole, nous sommes très réalistes. Notre potentiel, c'est le gaz». Le Qatar, membre de l'Opep depuis 1961, devrait donc quitter l'organisation en janvier 2019, sans donner plus de précisions s'il va cependant rester au sein des pays non membres de l'Opep et maintenir le dialogue avec les pays exportateurs de pétrole. Le Qatar est, avec l'Algérie, l'Iran, la Russie et le Venezuela, membre du FPEG, le forum des pays exportateurs de gaz. En fait, la décision de Doha de se retirer de l'Opep et de se recentrer sur le gaz est déjà une réponse au diktat de l'Arabie saoudite au sein de l'Opep, un pays qui a rompu ses relations diplomatiques avec le Qatar, entraînant avec lui le reste des pays du CCG et de l'Egypte notamment.

A Doha, l'animosité des Saoudiens, qui lui reprochent d'accorder l'asile et le refuge à des «organisations terroristes», dont celle des Frères Musulmans égyptiens, a été dénoncée par les Qataris, qui sont parvenus très vite à l'été 2017 de contourner l'embargo économique décrété par Riyad contre le petit émirat. Un émirat qui possède en fait les 3èmes réserves mondiales prouvées de gaz, estimées par British Petroleum à 24.300 milliards de m3 fin 2016, soit 858 trillions US de pieds cubes, donnant lieu à 134 années de production au rythme de 2016.

Ces réserves classaient le Qatar au 3e rang mondial avec 13% du total mondial, derrière l'Iran (18%) et la Russie (17,3%). Pour le pétrole, le Qatar ne produit dans le cadre des quotas au sein de l'Opep que seulement 565.000 b/j, très loin des 12 MB/J de l'Arabie saoudite. Sa production de pétrole en 2016 était de 79,4 Mt (millions de tonnes) de pétrole, soit 1,9 Mb/j. Il est classé au 14e rang mondial avec 2,1% du total mondial. En outre, le Qatar partage avec l'Iran le plus grand gisement de gaz naturel au monde, le North Dome, appelé South Pars par les Iraniens, et ses réserves seraient de l'ordre de 51.000 km3 de gaz naturel (dont un quart pour la partie iranienne), soit 20% des réserves mondiales connues.

Les marchés euphoriques

Pour autant, les marchés n'ont pas réagi immédiatement à l'annonce du retrait de Doha de l'Opep, mais ont salué lundi à l'ouverture sur les places asiatiques et européennes, la trêve commerciale entre les Etats-Unis et la Chine, ainsi que l'annonce faite samedi au G20 par le président russe Vladimir Poutine, qui a indiqué que son pays et l'Arabie saoudite étaient disposés à «prolonger» leur accord de restriction de la production.

Les prix de pétrole se sont envolés lundi sur les marchés en Asie de plus de 5% après la trêve commerciale conclue par Donald Trump et Xi Jinping lors du sommet du G20 à Buenos Aires, ainsi que l'annonce que Moscou et Riyad étaient disposés à continuer de limiter leur production. Vers 3h25 GMT, le baril pour livraison en janvier, progressait de 2,76 dollars à 53,69 dollars dans les échanges électroniques en Asie. Quant au Brent, référence européenne, pour livraison en février et dont c'était le premier jour comme contrat de référence, gagnait 2,95 dollars à 62,41 dollars. En Europe, le Brent ouvrait en hausse de 2,29 dollars à 61,75 dollars contre 53,11 dollars le baril, plus de 2,18 dollars, sur les échanges électroniques à New York. Vendredi, le Brent pour janvier a fini à 58,71 dollars sur l'Intercontinental Exchange (ICE) de Londres, en baisse de 80 cents. L'accord de réduction de la production de pétrole liant les pays Opep et non Opep arrive en principe à expiration à la fin de l'année. Les pays membres de l'OPEP et les producteurs non Opep, qui se rencontreront vendredi prochain à Vienne, au lendemain de la 175e conférence ministérielle de l'Opep, doivent trouver un deal pour baisser la production de pétrole et mettre un frein à l'abondance de l'offre sur les marchés. Déjà, la Première ministre Rachel Notley de l'Alberta a annoncé dimanche une réduction de 8,7% de la production pétrolière de cette province canadienne, qui renferme les troisièmes réserves de la planète, en majorité provenant de sables bitumineux, espérant ainsi freiner la baisse des cours. Quatrième producteur mondial en 2017, le Canada extrait actuellement environ 4,8 millions de barils équivalent pétrole par jour, en majeure partie du brut lourd provenant des sables bitumineux de l'Alberta, un hydrocarbure non conventionnel très cher et polluant à extraire. Le brut canadien se négocie en moyenne autour de 10 dollars/baril.

A la veille de la rencontre entre les pays membres de l'Opep et non Opep, dont le géant russe, les analystes s'attendent à une réduction de l'ordre d'un million de barils par jour. Par contre, d'autres relèvent que cela ne sera peut-être pas suffisant à faire remonter des cours qui, avant ce rebond, avaient perdu près de 30% depuis début octobre.