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Assemblée populaire nationale: Des institutions prises en otage

par Ghania Oukazi

Du «c'est un chahut de gamins» en 1988, à «c'est un incident de parcours» en 2018, le FLN continue de prendre en otage les institutions sous les effets de «coups d'Etat scientifiques» répétitifs avec la bénédiction de ses plus hauts responsables.

Ce que soutient depuis plus d'un mois, le secrétaire général du FLN, Djamel Ould Abbès, frôle l'irraisonnable et augure une «illégitimité» plus dangereuse pour le pays. Depuis la fronde lancée contre le président de l'APN «élu» qui a fui son bureau sous les pressions des menaces des députés de la majorité, le SG du FLN n'a cessé de dire une chose et son contraire et d'agir en flagrant délit d'illégalité. Ce qui a permis aux partis du pouvoir d'effectuer un véritable putsch contre le troisième personnage de l'Etat en la personne du président de l'Assemblée populaire nationale, Saïd Bouhadja. Il faut cependant préciser que les actions menées à cet effet n'ont rien de scientifique. Les partis du pouvoir les ont menées au titre, avaient-ils dit, «de la pratique démocratique.» Pratique en réalité, d'une démocratie débridée, infâme, sans foi ni loi. Spécialisé dans les «coups d'Etat», le FLN vient ainsi d'en commettre un en abrogeant le mandat de Bouhadja pour placer Mouaad Bouchareb à la présidence de l'APN au nom, dit Ould Abbès, de «la continuité, de la génération de la révolution à celle de l'après-indépendance.» Le nouveau président l'appelle «la démocratie participative.» Mouaad Bouchareb est présenté comme étant «un jeune cadre universitaire, fidèle militant du FLN (?).» Il a été plébiscité hier au poste de président de l'APN par les voix de la majorité et en l'absence de tous les partis de l'opposition. Au diable la présence «d'opposants» qui ont toujours crié à la fraude électorale «massive» mais ont toujours accepté de siéger dans des institutions «élues» de la sorte. Ould Abbès vient de prescrire la manière et les moyens auxquels les jeunes peuvent recourir pour faire débarquer «les vieux» qui continuent à occuper des postes de responsabilités contre la «logique» du fameux discours du président de la République de «tab edjnana (notre temps est révolu ndlr)».

Ould Abbès dicte la manière de faire partir «les vieux»

Le SG du FLN leur en susurre le mode d'emploi. Peu importe si le nombre de votants en faveur de Bouchareb changeait (certes d'une voix ou deux) d'une prise de parole à une autre mais «le compte» est bon puisque «le quorum a été atteint hier conformément à l'article 58 du règlement intérieur de l'APN» comme précisé par le doyen des députés. Dans cette mascarade politico-politicienne, tous les coups étaient permis en fonction des marges de manœuvres qu'offre le RI en question. L'article 10 de ce texte permet en effet, de déclarer la vacance du poste de président de l'APN en cas de «démission, d'incapacité, d'incompatibilité ou de décès.» Mais aucun cas n'est conforme à celui de Bouhadja qui a été poussé à la porte de sortie par une démission forcée. Tout a été fait ainsi, en violation flagrante de la Constitution et des lois de la République.

Ould Abbès marque ce «coup d'Etat» institutionnel par le sceau présidentiel. Il a répété à plusieurs reprises que l'arrivée du jeune Bouchareb au perchoir de l'APN est cautionnée par le président du FLN, Abdelaziz Bouteflika. Il n'est pas le seul à le soutenir. Le RND de Ahmed Ouyahia l'a bien confirmé. Le 1er ministre a même avancé il y a quelques jours, qu'il n'est pas question de dissolution de l'APN, une prérogative qu'accorde la Constitution au seul président de la République.

En attente d'une réaction de Bouteflika

L'on s'attend dans ce cas à ce que le chef de l'Etat adresse un message de félicitations au jeune président de l'APN fraîchement élu. C'est en principe, son geste habituel à tout changement institutionnel sur la scène nationale. L'on n'a rien su depuis l'assaut de la majorité contre Bouhadja de ce qu'en pense le chef de l'Etat et l'on ne saura rien pour l'heure en raison des remparts que les Bouteflika ont érigé entre leur résidence à Zéralda et le reste du pays. L'on susurre que dès le déclenchement de l'hostilité contre lui, Bouhadja aurait contacté Saïd Bouteflika pour lui demander quoi faire. Il lui aurait répondu qu'il n'avait rien à voir avec cette fronde et lui a conseillé de rester à son poste. Autre supputation, au début de la crise, Ahmed Ouyahia aurait instruit ses députés de ne pas s'associer au FLN. Mais trois jours après, il les a sommés de le faire et de signer la pétition qui a fait démissionner Bouhadja.

Hier, des «malgaches» avançaient qu' «il est très possible que l'APN ne dure pas beaucoup tant elle s'est enlisée dans l'illégalité.»

Les chefs des partis du pouvoir l'en ont poussé avec l'approbation, affirment-ils, du chef de l'Etat. L'on se demande alors qui doit partir et qui doit rester si par les effets de l'Etat de non-droit, il a été procédé au remplacement d'un «vieux moudjahid» par un «jeune cadre universitaire de l'après indépendance.» Si l'on s'en tient aux discours distillés à ce sujet, une des trois principales institutions de l'Etat (APN), vient de franchir le pas d'un changement de génération. Restent les deux autres, la présidence de la République et le Conseil de la Nation où siègent à leur tête de «vieux moudjahids» de surcroît en mauvaise santé. L'on pourrait alors penser que le pouvoir en place inaugure un nouveau cycle de changement à la tête des institutions civiles et militaires du pays non pas dans la sérénité mais dans un remue-ménage incessant?

Quand les journalistes perdent leur droit de défense

Ce qui est vrai, c'est que les partis du pouvoir ne font jamais rien sans la caution des Bouteflika. C'est un secret de Polichinelle que de croire le contraire. «Le pouvoir les a formatés ainsi, ils ne peuvent agir tout seuls sans qu'il ne leur soit demandé,» soutient un ancien haut responsable. Et ce qui est évident, c'est que cet intermède parlementaire a complètement détourné les esprits du 5ème mandat présidentiel. L'on saura prochainement si les partis du pouvoir rebondiront sur la revendication pendant qu'il a été demandé de réfléchir sur «l'émergence d'un front interne pour défendre le pays contre toute tentative de déstabilisation.» Encore une fois, c'est Ould Abbès qui coordonne entre toutes les parties concernées, partis politiques et organisations satellites du pouvoir.

En attendant des rebondissements à tout cela, il est dommage que le chef de l'Etat ne réagisse pas aux atteintes aux libertés et à la liberté de la presse à laquelle il a en personne consacré une journée nationale (le 22 octobre). Il a promis aux journalistes de ne pas être emprisonnés pour leurs opinions. La réalité est pourtant triste. Saïd Chitour, journaliste-interprète, dépérit dans un cachot depuis juin 2017 sans aucune forme de procès. Mellah, journaliste en ligne, est balloté de commissariat en commissariat, (le dernier celui de Bouzaréah) à chaque fois qu'il «commet» un écrit. Si les lois sont claires, les accusations doivent l'être tout autant.

Chitour et Mellah doivent, au nom de la légalité constitutionnelle, avoir un procès public et bénéficier d'une défense. En tant que garant de la Constitution, le chef de l'Etat est seul à les faire valoir au milieu de cette confusion désagréable. Autrement, toutes les voies sont ouvertes au changement «par défaut». A moins que le président de la République n'est pas mis au courant de ce qui se passe autour de lui. Une situation qui justifierait toutes les dérives?