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Éric Zemmour et sa philosophie du prenom gallicisé

par Nadir Marouf *

Par les temps qui courent, le culot verbal produit de l'audimat et c'est peut-être un regain de visibilité médiatique que recherche monsieur Zemmour.

Mais son discours sur l'identité française â l'adresse les binationaux crée le trouble dans les esprits quand il n'invite pas à de nouvelles croisades, dans un contexte de droitisation, voire de fascisation de l'Europe qui n'est pas loin de rappeler par ses prémisses celui des années trente.

En effet, Il soupçonne les binationaux qui ont gardé le prénom d'origine de se mettre en marge de l'adhésion citoyenne.

Le dilemme est de repérer ce qui est constitutif de la francité onomastique : au lendemain de la deuxième guerre moniale, beaucoup de prénoms ont pris une connotation anglo-saxonne. Mais, me dira-t-on, anglo-saxons ou latins, phonétique mise à part, beaucoup parmi ces prénoms gardent leur racine judéo-chrétienne . Lå où le bât blesse, c'est que la quasi-totalité des noms ou prénoms arabes (la vulgate parle de l'Arabe antisémite, alors qu'il est lui-même sémite !) ) s'arriment au même socle biblique. Donnons quelques exemples: Zemmour est un anthroponyme arabe : il y a des toponymes comme Zemmouri ( Est d'Alger ), des noms propres comme Zemri ( par effet de contraction ) . Au Maghreb, en Orient comme en Afrique sub-saharienne, nous avons Moussa ( variation de Moïse, Moshê), ?Aïssa (Jésus), Youb (Job), Ishaq (Isaac), Younès (Jonas), Ya'qûb (Jacob) Dawed / Dawdi/ Douidi ( David ), les toponymes Youchaa (Josuah), Noun (havé), Nouh (Noé). Et la liste est loin d'être close. Il s'agit-là autant de prénoms que de noms . Parmi ces noms, il y a des santons locaux auxquels rend visite le menu peuple, on ne peut plus musulman. C'est le cas de Sidi-Braham ( Abraham ), dont une mosquée porte le nom à Tlemcen, tout comme Sidi-Ishaq et Sidi-Dawdi déjà nommés, ou encore Sidi -Slimane (Sidi-Salomon...).

Si monsieur Zemmour entend sélectionner les seuls noms à connotation gallo-romaine la liste est vraiment réduite, encore qu'elle dérive en partie des noms d'obédience biblique. Le nom gallo-romain, voire franc se compte sur le bout des doigts. Par contre les dénominations régionales, celtiques, normandes, voire scandinaves sont plus fréquentes. Elles sont souvent le fait d'une réhabilitation contemporaine du «droit à la différence» des années soixante huit, en même temps que s'affirme le processus de régionalisation insufflé par le Général De Gaulle et qui, pour certaines régions comme la Picardie par exemple, renouent avec l'esprit de la Gironde, en marge de l'objectif de décentralisation à finalité économique du projet . Ayant enseigné les sciences sociales à l'Université d'Amiens, de 1991 à 2009, un nombre significatif de thèses portaient sur la mémoire vivante, l'identité régionale, avec un zeste de militantisme de gauche réhabilitant le familistère de Godin de Guise, disciple de Fourrier, ou des monographies rappelant avec fierté une région qui a vu naître autant Gracchus Babeuf l'inventeur du communisme, que Lamarck ou Boucher de Perthes, devanciers de Charles Darwin...

Par ailleurs, ce contexte de patrimonialisme à visée régionale (ou régionaliste? ) a donné lieu à une redécouverte des noms chtis... même phénomène résurgent dans le pays occitans et ailleurs, où la mode est å l'indigénité primordiale en matière d'onomastique.

Des lors, Vincingetorix et Clovis constituent l'archétype de deux formes antagonistes d'identification, l'une provincialiste en appelant au terroir, l'autre plus ouverte à l'occident dynastique, chrétien en l'occurrence, renaissant des cendres d'un anti-cléricalisme révolutionnaire entrecoupé d'épisodes monarchiques ou impériaux auxquels met fin la loi de 1905.

Dans tout cela, l'identité française oscille entre Marianne fille de la Révolution et la figure canonique de la judéo-chrétienté de l'Eglise romaine.

À ces mythes fondateurs plus ou moins contradictoires s'ajoute un melting-pot de fils ou arrières petits - fils de migrants venus non seulement du sud, mais de l'est de l'Europe. A l'université où j'exerçais, la moitié des étudiant français portaient des noms et prénoms slaves ou d'origine baltique.

En revanche les descendants d'esclaves venant tant d'Afrique que des Caraïbes dont les ancêtres avaient été convertis de force, portent de beaux noms français, ceux que réclame Zemmour.

>>> Sont-ils perçus pour autant comme des français à part entière par monsieur Zemmour ? Enquête â suivre.

* Professeur émérite en anthropologie du droit, Université de Picardie -Jules Verne