Le
jour où j'aurai rempli la Colombie de livres, a affirmé il y a quelques années,
José Alberto Gutierrez, un quinquagénaire ayant réussi à fournir des livres à
plus de 235 lieux de culture de son pays et à peupler les étagères de 450
bibliothèques en recyclant, des vieux bouquins, récupérés des poubelles des
villes, je me sentirais comme Ulysse, après avoir sauvé Pénélope et éloigné la guerre
d'Ithaque. Ce « seigneur des livres », comme l'ont nommé les médias locaux,
décédé récemment, avait même aidé 22.000 Colombiens des quartiers les plus
pauvres de Bogota à se procurer, gratuitement, des livres alors que cette
capitale n'a que 19 bibliothèques pour une population de 8,5 millions
d'habitants ! Et à force d'avoir séduit les partenaires sociaux et le public,
le généreux bénévole a pu recevoir beaucoup de donations venant de plusieurs
régions du monde. Cette initiative part d'un principe simple : « un livre lu,
un délinquant en moins ». Chose ayant suscité de l'enthousiasme dans ce pays de
l'Amérique centrale, infesté par les bandes de narcotrafiquants. Mission
accomplie, car au bout de quelques années d'essai, l'affluence des lecteurs était
telle que les autorités ont dû, elles-mêmes, s'y mettre à leur tour. Mais
pourquoi de telles initiatives sont rares, sinon quasiment inexistantes chez
nous ? L'un de nos étudiants à l'Université d'Alger à qui j'ai raconté
l'expérience de ce Colombien s'est tout simplement esclaffé de rire : « on
dirait que tu vis à Stockholm ou à Munich ! », me tance-t-il, ironiquement.
«
Mais pourquoi ? », lui dis-je, un rien remonté. « Tu sais, j'ai mis toute une
journée à faire la queue devant la bibliothèque centrale de notre fac pour
emprunter un livre dont j'avais besoin pour un exposé, en salle de classe » «
et tu l'as eu ? » « Malheureusement, non ! » « Pourquoi ? » « On m'a dit qu'il
a été volé ! » « Volé ? » « Oui ! Peut-être c'est vrai, parce que parfois des étudiants
indélicats ne rendent pas les bouquins qu'ils empruntent, mais c'est fort
probablement aussi un prétexte pour que je ne revienne pas là-bas leur casser
les pieds » « à qui ? » « Les bibliothécaires bien sûr ! » « L'accès n'est pas
libre à la bibliothèque ? » « C'est libre en salle de lecture, mais pas là où
sont stockés les livres. Ce qui met les employés à l'aise pour dire n'importe
quoi, selon la tête du client, lorsqu'on leur demande un livre ou une revue. Le
problème, c'est que presque tous les livres datent des années 1970-1980 et ça
n'aide plus à faire des recherches fraîches et sérieuses!».
Il est certain qu'en comparant les exemples colombien et algérien, deux pays
appartenant pourtant au tiers monde, on trouve que l'écart, du moins dans ces deux
cas, est énorme. Un bénévole qui tente avec succès de répandre le savoir même
dans les rues les plus déshéritées de la capitale, aidé, en cela, par les
autorités et un étudiant qui cherche désespérément, dans son université, un
livre qu'il ne retrouve pas. Chercher l'erreur maintenant, chers lecteurs ?
C'est, sans doute, dans le manque d'initiative des nôtres, la mauvaise
organisation dans nos lieux de savoir, le laisser-aller, le mépris de tout ce
qui a trait à la Culture et à l'épanouissement de l'humain.