La vidéo
virale qui a fait le buzz sur les réseaux sociaux
montrant un énergumène giflant violemment un gosse subsaharien, de 6 ans,
jusqu'à l'envoyer rouler à terre, le tout sous les rires d'un autre imbécile de
sa race, dans une gare routière de Annaba, pose de nouveau cette question sur
la moralité suspecte d'un peuple qui se croit au-dessus de la mêlée. Sans aller
jusqu'à accuser les Algériens de racisme primaire, cette vidéo trahit des
sentiments longtemps tolérés sinon acceptés par la majorité, passés pour
ordinaires chez des gens eux-mêmes victimes de cette haine de l'autre. Si
certains y ont vu un autre moyen de régler leurs comptes et peindre le pays de
la couleur du FN, l'Etat a prêté le flanc, et largement, pour se faire déborder
sur ce dossier. Une prise en charge chaotique, laissée à des parties qui n'en
avaient pas l'envergure et une instrumentalisation à l'international pour
discréditer un peu plus un bilan déjà catastrophique d'un pouvoir à réaction.
Pourtant, eux c'est nous et nous c'est eux, ailleurs, où on se retrouve tous
sous le même ciel malveillant. Avec la même peau bronzée, la même langue
incompréhensible, le même regard léchant les trottoirs. Eux c'est nous. Et
nous, c'est les autres, ceux qui nous dévisagent, une fois nos semelles imprimées
sur leur géographie. Ceux qui chuchotent dans nos dos avant de nous cracher au
visage leur haine de la différence. Leurs vieux changent de trottoir quand ils
voient nos ombres assombrir davantage notre peau et leurs jeunes nous prennent
pour des cibles, des alibis pour justifier leurs échecs. Là-bas, loin de chez
nous, de la chaleur d'une mère, du sourire d'un ami, on est l'étranger. Eux,
c'est l'étranger. Chassés par la faim, les guerres et la corruption des
régimes, ils ont traversé la frontière pour se reposer sur nos trottoirs.
Etalant leur misère aux carrefours, envoyant leurs gosses tendre la main aux
feux tricolores, convoquant la misère de l'Afrique noire jusque sous les
vitrines du centre-ville. Les premiers jours, la réaction est naturelle, de la
compassion, de la pitié et une profonde gêne à la vue de cet étalage public de
la déchéance humaine. On donne ce qu'on peut à ces hommes et femmes qui ne vous
regardent pas dans les yeux. Appelant les âmes charitables à en faire de même,
ne comprenant pas l'attitude des pouvoirs publics à ne rien faire devant le
froid et la faim. Puis avec le temps, on s'habitue au spectacle, on s'en lasse
avant de se poser les questions. On s'exaspère, on klaxonne au feu vert parce
qu'un automobiliste prend son temps pour une petite pièce puis on jette un
regard froid sur ces étrangers qui ne parlent même pas notre langue. Des
insultes aux agressions verbales jusqu'aux descentes punitives. Le viol parce
qu'ils ne sont pas chez eux, des brimades parce qu'ils n'oseront pas répondre.
Des sans-papiers qui ramènent dans leurs bagages cette misère noire, jusqu'à
les suspecter d'être des moustiques porteurs de Zika
et d'Ebola. Puis on finit par les dévisager, chuchoter derrière leur dos avant
de leur crier de quitter notre pays. Nos vieux changent de trottoir quand ils
les voient arriver, en groupe, et nos jeunes les prennent pour des cibles, des
alibis pour justifier leurs échecs. Alors on devient les autres, et eux, notre
misère qu'on promène en Europe.