L'endroit est plutôt
chaleureux et convivial. Situé dans l'une de ces ruelles pittoresques de
l'ancienne ville intra-muros de Tébessa. Le kiosque multiservices, appelé
communément taxiphone, fait drainer du monde. Khali,
maître des lieux, en a vu des vertes et des pas mûres.
C'est le rendez-vous incontournable,
cela fait des années, les gens y viennent chercher leurs journaux, un lectorat
diversifié, même si les quotidiens francophones sont plus prisés par des
lecteurs d'un certain âge, des cadres des fonctions libérales, médecins,
avocats, bureaux d'études. Et voilà, la discussion spontanément s'installa
autour d'un quelconque sujet de l'actualité. Tel un aimant, chacun s'accroche
au wagon, d'un débat à bâtons rompus, la vie de tous les jours, ses
impondérables, ses espérances, avec parfois un goût d'inachevé. Parmi les habitués
de la boutique, plusieurs franges de la société et catégories
socioprofessionnelles sont représentées, l'enseignant vindicatif, le cadre
retraité et certains jeunes à l'écoute de leurs aînés. Si Ali, l'ancien maire
de la cité, le premier locataire élu de la municipalité, de l'Algérie
indépendante. Les anecdotes, il en connaît, pour extirper de l'histoire une
date, un évènement, la mémoire toute fraîche, le regard pétillant de quelqu'un
ayant vécu les moments les plus forts de la révolution et les prémices d'une
indépendance acquise chèrement, avec son éternelle question : « Le savez-vous ?
» Si Ali Alia se rappelle de tout cela avec précision et il l'évoque avec
émotion et recueillement pour toutes les personnes qu'il avait côtoyées durant
toute sa carrière, d'un personnage marquant de la ville et ce, depuis des
décennies. Si Ali, du haut de ses 82 ans, a été immortalisé par le rôle tenu
par l'acteur égyptien Izzat El Alaïli
dans le film d'Ahmed Rachedi «Le moulin de monsieur
Fabre », sorti en 1986, une page d'histoire du pays d'une indépendance
balbutiante, les péripéties d'un moulin nationalisé, d'un modeste meunier campé
par l'acteur français Jacques Dufilho, sur fond de
couacs de gestion politique, la fiction avait pour cadre Tébessa. Et puis, il y
a Mohamed, le lecteur invétéré, le dévoreur de livres, les foires du livre font
partie de son univers, c'est son dada préféré, avec un penchant pour la
littérature romanesque algérienne, Wacini Laâradj, Yasmina Khadra, Nina Bouraoui, Malika Mokkadem, Mohamed
Sari Amin Zaoui et d'autres. On venait chaque jour
chez Khali pour se retremper dans une ambiance bon
enfant, pour dérouler le cliché de séquences révolues d'un lointain passé,
encore vivaces, qu'on n'arrive pas à s'en débarrasser. Des personnages bien
ancrés dans les esprits, Kaddour, l'ancien chef
d'établissement éducatif reconverti en un agriculteur averti, se replonge de
temps à autre pour nous parler de l'école d'antan, celle qu'il aimait gérer.
Slimane, le râleur et acariâtre à la mémoire fertile;
l'autre, Mohamed, l'ex-cadre de la Santé, un touche-à-tout, aux connaissances
éclectiques, toujours sur ses gardes pour remettre les choses à leur place,
quand cela ne lui plaisait pas. L'endroit est un va-et-vient de gens, du coup,
les visages deviennent familiers et des relations se tissent vite. Ghanou en fait partie, un jeune alerte, vendeur de journaux
de son état, d'une disponibilité exemplaire, très fidèle à ses clients. Chaque
fois, il doit parcourir une longue distance pour remettre à chacun son journal.
Qu'il vente ou qu'il pleuve, Ghanou est toujours à
l'heure. Et la cerise sur le gâteau arrive enfin, Bassem
l'inénarrable, l'homme qui tire plus vite que son ombre, le zélateur par
excellence. Il est là pour chauffer le débat avec ses nombreuses interventions
intempestives au grand dam des présents !! Le bonhomme
trouve toujours le moyen pour faire passer son message, critiques et
commentaires vont bon train. Et la journée finit dans la bonne humeur, au
revoir et à demain !!