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Aux yeux du monde, les USA ne sont plus un partenaire commercial fiable

par Anne O. Krueger*

WASHINGTON, DC – L’alliance entre les USA et la Corée du Sud est l’un des succès géopolitiques les plus spectaculaires de l’après-guerre. Mais le président Trump paraît décidé à faire fi de l’intérêt économique et stratégique de cette alliance de longue date.

Dans les années 1950, ravagée par la guerre, la Corée du Sud avait le taux d’inflation le plus élevé et le taux de croissance le plus bas d’Asie, et seuls deux pays du continent disposaient d’un revenu par habitant inférieur au sien. Mais au début des années 1960 les autorités ont mis en œuvre des réformes de grande ampleur. C’est ainsi que lors des 30 ans qui ont suivi, elle est devenue une puissance industrielle, tandis que le niveau de vie de ses habitants a fait un bond, au point qu’elle a pu rejoindre l’OCDE, le club des pays riches. Une grande partie de son succès tient à son basculement d’un état de dépendance à l’égard de l’aide internationale à une croissance basée sur les exportations.

Au milieu des années 2000, la Corée du Sud et les USA ont renforcé leurs liens commerciaux. Ils ont signé en 2007 un Accord de libre-échange (KORUS, Korean-United States Free Trade Agreement) entré en vigueur en mars 2012 et rapidement couronné de succès. Pourtant, après son arrivée à la Maison Blanche, Trump a dénoncé cet accord qu’il a qualifié «d’horrible» et exigé qu’il soit renégocié.

Il a déclaré récemment qu’il appliquerait des droits de douane de 25% sur l’acier et de 10% sur l’aluminium, tout en indiquant qu’il y aurait des exemptions décidées au cas par cas. Même en faisant abstraction des barrières commerciales supplémentaires qu’il a annoncé et qui visent spécifiquement la Chine, sa décision est lourde de menaces pour l’économie américaine. Quelques emplois seront peut-être sauvés aux USA dans le secteur de l’acier et de l’aluminium, mais bien moins que le nombre d’emplois qui disparaîtra dans les secteurs qui ont besoin de ces importations, car ils utilisent une main d’œuvre 10 fois plus importante.

L’objectif déclaré de la politique protectionniste du gouvernement de Trump est de réduire le déficit commercial américain. Mais le déficit des comptes courants (solde de la balance commerciale et de la balance des services) reflète la différence entre épargne et investissement. Autrement dit, réduire ce déficit suppose d’appliquer une politique macroéconomique qui réduise les dépenses intérieures et augmente l’épargne. Or le protectionnisme n’y aide en rien.

Quelques semaines après avoir dévoilé ces nouveaux tarifs, le gouvernement de Trump a annoncé qu’il avait «renégocié» le KORUS. En échange d’une exemption de droits de douane, la Corée du Sud a accepté une réduction de 30% de ses exportations d’acier vers les USA par rapport à leur niveau de la période 2015-17, ainsi qu’une prolongation jusqu’en 2041 de l’application de droits de douane de 25% sur ses exportations de pick-up vers les USA et une augmentation de 25 000 à 50 000 par an de la limite qu’elle impose au nombre de voitures américaines importées.

Les deux dernières exigences relèvent de l’absurde, car actuellement la Corée du Sud n’exporte pas de pick-up vers les USA ; quant aux voitures américaines, elles représentent à peine 1% des ventes de voitures dans le pays, car les Sud-Coréens ne leur accordent pas leur préférence (plus généralement, les voitures étrangères ne représentent que 15% des ventes de voitures en Corée du Sud).

Il est évident que la Corée du Sud a été contrainte d’accepter ces changements, alors qu’elle avait négocié de bonne fois l’accord de libre-échange avec les USA et s’y est conformée. La «renégociation» de Trump n’en était pas une, car la Corée du Sud n’avait guère le choix entre limiter ses exportations d’acier vers les USA ou voir ces exportations soumises à des droits de douane au taux exorbitant de 25%.

Pour les USA, la révision du KORUS signifie que les exportateurs étrangers de produits comportant de l’acier vont bénéficier d’un avantage compétitif sur les fabricants américains qui devront dépenser davantage pour s’approvisionner en acier. En conséquence, certains fabricants américains se délocaliseront, tandis que d’autres augmenteront leurs prix et perdront des parts de marché, ou plus simplement mettront la clé sous la porte. En fin de compte, l’Amérique sera perdante.

Par ailleurs, les deux pays seront confrontés à un surcroît de bureaucratie pour gérer le commerce de l’acier. Le gouvernement de Corée du Sud devra allouer des quotas aux différents producteurs d’acier, tandis que les douanes américaines devront s’assurer que les importations d’acier en provenance de Corée du Sud sont bien dans les limites imparties.

Elles devront inspecter les cargaisons d’acier en provenance d’autres pays pour savoir si elles sont exemptées de droits de douane ou s’il faut leur appliquer le taux de 25%. Selon The Economist, le gouvernement américain s’attend à passer 24 000 heures de travail à examiner 4 500 demandes d’exemption, ceci sans même inclure le temps qui sera consacré à déterminer l’origine des cargaisons entrant aux USA et si elles bénéficient ou pas d’une exemption.

C’est exactement le genre de dispositions commerciales complexes et discriminatoires que les USA ont cherché à supprimer au cours des 50 dernières années. Trump n’a pas seulement porté un coup au commerce multilatéral, il a fait pire, car il a détruit la crédibilité dont disposaient les USA lors des négociations internationales. Si un président américain peut si facilement revenir sur un accord dûment signé et ratifié, pourquoi négocier avec les USA ?

Les dirigeants sud-coréens ont utilisé une grande partie de leur capital politique sur le plan intérieur en négociant le KORUS, et ils l’ont fait parce qu’ils considéraient les USA comme un partenaire de bonne foi. Ils réalisent maintenant qu’ils ont signé un contrat avec un partenaire qui les contraint à accepter des exigences qui n’ont jamais été négociées.

Pour les alliés des USA comme la Corée du Sud et le Japon qui sont exportateurs d’acier, le fait que Trump justifie la hausse des droits de douane au nom de la «sécurité nationale» ne fait que mettre de l’huile sur le feu. Trump a déclaré récemment que la Corée du Nord représentait une menace stratégique majeure pour les USA, or son gouvernement travaille maintenant avec les autorités sud-coréennes pour préparer un sommet avec le dirigeant nord-coréen en mai.

Si Trump attache réellement de l’importance à la sécurité nationale des USA et à leur compétitivité, sa politique est incompréhensible. L’économie américaine et le systéme de commerce multilatéral en payeront le prix fort, et la crédibilité des USA en restera affectée longtemps après son départ.

Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz
*Professeur d’économie internationale à la faculté de hautes études internationales de l’université Johns Hopkins et membre du Centre pour le développement international de l’université de Stanford - Elle a été économiste en chef de la Banque mondiale et première directrice générale adjointe du FMI