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Le secteur privé : ambitions et inquiétudes (4ème partie)

par Amar Tou*

A l'origine, sont très rares, en effet, les entreprises privées industrielles crées ex-nihilo. Elles furent des filiales d'entreprises étrangères. L'autorisation par la loi, dès 1994, de l'ouverture du capital des EPE au capital privé, en dépit de la tempérance décidée par ordonnance en 1995 et en 1997, introduisant une progressivité dans la privatisation en commençant par les EPE locales. Les entreprises privées industrielles nées de la privatisation, postérieurement à 1998 jusqu'à nos jours en 2017, n'échappent pas à ces jugements. Le cas des banques privées en est, par ailleurs, très illustratif ; ces banques étant le support financier émargeant à la solvabilité temporaire rendue possible par les rééchelonnements de la dette extérieure du pays et des crédits fournisseurs obligatoires d'accompagnement. Ces banques sont toutes des filiales de banques étrangères dont les sièges sociaux sont installés ailleurs qu'en Algérie.

Elles sont spécialisées dans l'importation de produits en provenance des pays sièges des banques mères. Et ce ne sont pas les entreprises privées algériennes dites, abusivement, PME, nées dans le cadre des dispositifs de soutien à l'emploi des jeunes, sus diagnostiquées, qui peuvent contrebalancer ces jugements. Toutefois, nous leur reconnaissons, les précieux apports à la création d'emplois, si précaires soient-ils.

2- Le recours maladroit, fait, par certains analystes, à des outils comme la valeur ajoutée et les excédents nets d'exploitations cumulés, notamment pour conclure, trop hâtivement, à «un succès du secteur privé là où le secteur public a échoué», est une approche légère. C'est « la justice instrumentée pour sévir l'injustice», énonce, judicieusement, un proverbe arabe.

En effet, quel crédit pourrait-on accorder à une comparaison entre les résultats de deux secteurs soumis à des traitements totalement opposés ? L'un (le public), fut bridé et soumis à un lessivage général imposé par les Institutions Financières Internationales (après celui auquel il fut soumis entre 1980 et 1998). Tous ses ressorts furent désamorcés, et l'autre (le privé) fut doté entre 1989 et 1998, d'atouts rentiers dont a été privé le secteur public.

La valeur ajoutée et les excédents nets d'exploitation cumulés, pour être, justement utilisés, devraient être pris dans les mêmes conditions de fonctionnement. CAD dans un environnement d'honnête comparabilité des fondements de management et de mêmes chances de combinaison pour l'obtention de la meilleure rentabilité, de la meilleure productivité en vue de la meilleure compétitivité possible. Les comparaisons devraient être faites par rapport aux PME dans le monde développé et non avec celles du secteur public en Algérie qui a été victime des vicissitudes que nous avons, en partie, sus recensées.

En vertu des rudiments comptables, la valeur ajoutée comme les excédents d'exploitation, est, quant à elle, directement déterminée par la valeur des marchandises achetées et la valeur de la revente de ces marchandises pour les activités commerciales, ou la valeur de la production vendue pour les activités industrielles, y compris toutes les charges qui leur sont liées à tous les niveaux de ces activités.

Par entente explicite et/ou illicite, les prix sur le marché étaient nivelés par le haut chez le secteur privé, en mépris des règles de la concurrence. Les donnes sont, par conséquent, complètement faussées, pour pouvoir établir une comparaison juste et utile. Pendant presque deux décennies (1969-1989), tous les fondements de management étaient, pour le secteur public, décidés par l'Etat, à leurs niveaux sociaux les plus défavorables aux EPE. Les assainissements financiers successifs dont a bénéficié et continue d'en bénéficier le secteur public, ne peuvent pas corriger, suffisamment, ses multiples déstructurations, devenues chroniques avec le temps, nécessitant par conséquent, un traitement permanent. Comme toute maladie chronique au stade actuel, toutefois, des avancées de la médecine.

Au-delà de 1989, comme déjà signalé, ce secteur était condamné, dans le meilleur des cas, à la stagnation. Mais il périclitera, inéluctablement, dans le temps, puisque le traitement qui lui fut réservé était inadéquat. Les financements d'extensions lui étaient interdits. Seuls des financements d'assainissement lui étaient autorisés.

Ce traitement continue d'être accompagné, d'un soutien «déguisé» attribué sous forme d'augmentation des parts de l'Etat dans le capital de l'EPE, en plus des crédits bancaires facilités par les banques publiques et bonifiés, en tant que de besoin, par le trésor contre service public fourni par l'EPE.

Le secteur privé héritant, à prix minorés, des actifs publics privatisés, de leurs marchés (fonds de commerce), de leurs ressources humaines formées et s'investissant, essentiellement, dans des activités de faible élaboration et à rendement immédiat, comptabilisa des évolutions indiciaires qui ne leur pouvaient être, mécaniquement, qu'exceptionnellement rehaussant leurs bilans.

Ce sont, ainsi, entre autres, les valeurs ajoutées et les excédents d'exploitation du secteur privé qui seront, maladroitement utilisés, pour analyse et comparaison avec le secteur public; ce qui conduira à des jugements erronés, induisant, en erreur: profanes, spécialistes, pouvoirs publics, opérateurs économiques, banques, patronats et autres décideurs et intéressés.

Vouloir s'aider, chez certains analystes, du rapport du total de la valeur ajoutée du secteur privé au total de l'économie nationale pour illustrer sa dominance, comme la comparaison des excédents d'exploitation cumulés des deux secteurs juridiques entre 1995 et 1998 en excluant, du compte, le poids des hydrocarbures et celui des ISMME(6) où le secteur public produisait encore 82% de la valeur ajoutée, s'apparenterait à une volonté délibérée de justifier, à postériori, le Programme d'Ajustement Structurel. Alors que, seules des activités en rapport avec les matériaux de constructions les moins élaborés comme le revêtement primaire des sols, le parpaing, les gravas de carrières, le sable enlevé des plages et des bordures des oueds et autres, constituaient, à l'époque, les aspects industriels du secteur privé industriel.

L'enrichissement, tout relatif, de la gamme d'activités, interviendra, plus tard, durant les années 2000 et 2010. Par conséquent, la comparaison des résultats des deux secteurs est fondamentalement biaisée à la racine. En effet, l'usage de ratios d'analyse inopportuns pour étayer des jugements défavorables prémédités, aux dépens du secteur public en vue d'asseoir des performances sur faites en faveur du secteur privé, s'apparente à de la falsification délibérée, au détriment de l'histoire économique du pays qui doit être écrite avec la plus grande objectivité.

A suivre

*Economiste, ancien ministre