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Mes « veux » pour 2018

par Tawfiq Belfadel*

Loin des vœux, mes veux.

Le verbe « vouloir » est un verbe impersonnel dans mon pays. L'Algérie. Il se conjugue uniquement avec le gouvernement. Exemple : c'est le gouvernement qui veut. Le conjuguer avec d'autres pronoms est une atteinte à la stabilité du pays et un appel à un coup d'Etat.

Je vais briser ce tabou. Voici donc mes « veux » :

Je suis un enfant algérien. Je veux dans ma ville un cinéma, un théâtre, un clown, un centre culturel, pour vivre mon enfance que vous exploitez dans deux lieux : l'école coranique et l'école publique. Je veux une enfance puissante qui ne serait jamais menacée par une baleine virtuelle. Je veux vivre !

Je suis un jeune Algérien. Je veux vivre ma jeunesse qui m'échappe. Je ne veux pas que vous réduisiez mon humanité à deux cartes : carte du service militaire, et carte électorale. Vivre est un verbe qui m'est spolié et je m'aventure sur une barque pour le chercher ailleurs. A la recherche du verbe perdu. Je veux vivre !

Je suis un Algérien amoureux. Je ne veux pas étouffer mes désirs. Je veux me découvrir à travers l'amour, loin des voiles qui envahissent mon Algérie. Je veux déambuler tranquillement avec mon amour en ville ou face à la mer. Je ne veux pas que l'uniforme me fasse un procès pour avoir aimé. Je veux vivre !

Je suis un Algérien libre. Je ne veux pas que des Robinson m'obligent à me convertir à leur mode de vie. Je ne veux pas que des Algériens parlent en mon nom et piétinent ma liberté. Je ne veux pas que des Meursault tuent mes rêves sous le prétexte de leur lumière éblouissante. Je veux être libre. Je veux vivre !

Je suis une femme algérienne. Je ne veux pas que je sois réduite à un sexe et à des kilos de chair. Je veux fumer sans me cacher, prendre un café dans la rue, sortir la nuit, déambuler et travailler sans harcèlements, m'habiller comme le dicte ma liberté, et appartenir à moi-même. Uniquement à moi-même. Je ne veux pas que l'homme m'impose un voile pour fuir son humanité. Et je ne veux pas que de faux féministes m'imposent leur définition de la femme. Je veux vivre !

Je suis un Algérien musulman. Je ne veux pas que l'Islam soit un fonds de commerce. Je ne veux pas qu'il soit aussi un masque pour justifier les spoliations et les hypocrisies. Je veux que ma religion soit une spiritualité, non un Code Pénal. Une philosophie de la vie, non un appel à la mort. Je veux que ma religion reste fidèle à son histoire : une religion de l'amour, de la paix, et de la fraternité. Je veux vivre !

Je suis un Algérien non-musulman. Je veux que ma différence soit respectée. Je ne veux pas aller à la mosquée. Je ne rêve ni de paradis ni de houris. Je rêve de ma liberté. Je veux vivre !

Je suis un travailleur algérien. Je ne veux pas que le directeur transforme son bureau en Olympe et l'établissement en caserne. Je ne veux pas être payé en retard. Je ne veux pas que les syndicats remplissent les poches au détriment de mes souffrances. Je veux travailler pour mieux défendre ma dignité. Je veux vivre !

Je suis un intellectuel algérien. Je veux avoir mes ancêtres dans la mémoire non sur le dos. Je veux que l'Histoire de mon pays soit un livre, non un fantôme qui m'empêche de vivre. Je ne veux pas que le passé soit pour mon Algérie une explication du présent raté. Je veux vivre !

Je suis un militant algérien. Je ne veux pas que la loi soit une oppression, mais des ailes qui me protègent. Je dénonce et revendique. J'accepte et refuse. Je veux vivre !

Je suis un artiste algérien. Je ne veux pas que ma voix soit bridée. Je veux me taire et crier. Je veux graver et effacer. Je veux quitter ma nationalité et ma géographie par mon talent. Je ne veux pas que vous dressiez des murs face à ma liberté. Je veux vivre !

Je suis un téléspectateur algérien. Je ne veux pas voir à la télé ces cheikhs et programmes obscurantistes qui afghanisent ma société. Qui transforment ma belle Algérie en mosquée à ciel ouvert. Je veux de la lumière. Je veux vivre !

Je suis un voyageur algérien. Je veux que mon pays abatte les murs et construise des ponts. Je ne veux pas que mon passeport soit le symbole de mon repli et de ma réclusion. Je veux voyager pour mieux découvrir mon Algérie. Je veux vivre !

Je suis un Algérien humaniste. Je veux que mon pays reste fidèle à son Histoire et à ses valeurs. Je veux qu'il fasse l'éloge de la solidarité et accueille l'Autre qui est à la recherche de survie et de dignité dans mon Algérie. Je veux ouvrir les bras à cet Autre parce que toute géographie a été peuplée par migrations. Parce que tous les yeux ont la même couleur : couleur de l'humanité. Je veux vivre !

Je suis un citoyen algérien. Je ne veux pas que ma carte d'identité soit confondue avec ma couleur de peau ou ma langue. Je suis un arbre dont les racines touchent toutes les appartenances, toutes les langues, toutes les cultures, de mon Algérie. Je suis algérien et mon identité est un rhizome. Je veux vivre avec toutes mes différences pour être moi-même. Je veux vivre !

Enfin, je suis un Algérien et je suis à la recherche de moi-même. Je ne veux pas que vous m'imposiez d'être autre que moi-même. Je ne veux pas aussi que vous m'imposiez d'exister pour m'empêcher de vivre. Je veux vivre !

Meilleurs « veux » pour 2018.

*Ecrivain-chroniqueur - Auteur de « Sisyphe en Algérie », Ed. Samar, Alger, 2017.