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L'extrême droite conquiert le cœur de l'Europe

par Abed Charef

Qui aurait imaginé que l'Autriche, ce pays carte postale où il fait si bon vivre, porterait l'extrême droite au gouvernement ?

Il est Autrichien, il professe des idées d'extrême droite, et il a accédé au pouvoir à l'issue d'élections parfaitement régulières. A la faveur d'une grave crise, il a promis à ses concitoyens de protéger le pays contre les envahisseurs étrangers, et il a réussi à en convaincre une bonne partie de le suivre dans cet itinéraire tortueux.

Non, il ne s'agit pas d'Adolf Hitler mais de Heinz-Christian Strache, chef du FPO « parti de la Liberté », qu'on qualifie de « populiste » pour éviter de dire qu'il est d'extrême droite. Dans le nouveau gouvernement autrichien issu des législatives du 15 octobre, le chef du FPO devient vice-chancelier, et son parti devrait notamment gérer des ministères aussi névralgiques que l'Intérieur, les Affaires étrangères, la Santé, les Affaires sociales et les Transports.

Mais au-delà de cette entrée tranquille au gouvernement d'un parti dont le chef tenait un discours néo-nazi avant de l'adapter aux nécessités électorales, c'est toute la vie politique de l'Autriche qui va être régentée par des idées proches de l'extrême droite. Le vainqueur des élections du 15 octobre, Sebastian Kurz, promu chancelier, a en effet largement adapté son discours à cette vague d'extrême droite qui traverse l'Europe, pour tenter de capter un électorat désormais hanté par tout ce qui relève du sécuritaire-identitaire.

Basculement

Cette Autriche qui paraissait prospère, pacifiée, avec ses châteaux, ses salles de banquets, ses pistes de ski et son image de royaume de la musique classique, cette Autriche carte postale, plus proche de la Suisse et du Luxembourg que de n'importe quel royaume guerrier, cette Autriche aurait-elle été donc brusquement prise de folie pour renouer avec une extrême droite de sinistre mémoire?

Evidemment, non. Vienne est en fait le territoire d'une nouvelle expérimentation, un nouveau modèle qui se met progressivement en place dans les pays occidentaux. Ce qui était jusque-là un discours plus ou moins honteux s'est brusquement transformé en une déferlante qui n'hésite plus à s'afficher, à s'exposer, à s'imposer comme un choix stratégique pour de nombreux pays qui comptent dans le monde. Un choix de repli sur soi, d'enfermement, un refus d'une mondialisation dont les aspects négatifs, nombreux, sont mal compris, mal gérés et auxquels on apporte les pires des réponses. La Grande-Bretagne, qui régnait sur un empire « sur lequel le soleil ne se couche jamais », restera dans l'Histoire comme le pays ayant accompli le premier grand pas pour prendre l'Histoire à revers.

Comment un pays qui a réussi à devenir pendant deux siècles la plus grande puissance économique du monde, en repoussant les frontières à coups de canon, comment ce pays a-t-il pu devenir le premier à vouloir s'isoler du monde ?

Le modèle polonais

Dans la foulée, l'élection de Donald Trump a montré que le monde pouvait aller plus loin. La première puissance économique et militaire au monde, celle qui a porté le libre-échange à son paroxysme, par la bible, la baïonnette, les bombes et l'idéologie, cette puissance-là a élu un président xénophobe. Sans oublier que les Etats-Unis, c'est aussi le plus grand pays de migration au monde !

Après Trump et le Brexit, il n'y avait plus d'interdit. Tout devenait possible. Des pans entiers des sociétés occidentales étaient prêts à prendre le virage. La tentation était d'autant plus forte que ces sociétés, souvent vieillissantes, troublées sur le plan identitaire, étaient appelées à choisir au moment où une vague de migrants affluait vers l'Europe. Quand le vote est régi par l'émotion et la peur, il est difficile de s'attendre à des résultats rationnels. Cela débouche même sur des situations grotesques. Un pays comme la Pologne, qui a été littéralement porté à bout de bras par l'Europe pendant deux décennies, se retourne aujourd'hui contre l'Union européenne ! Dans un tel contexte, rappeler aux Américains et aux Européens que la vague de migrants d'Irak, d'Afghanistan, de Syrie et d'Afrique est largement le résultat de leurs guerres et a peu de chance d'être entendue.

Pour le cas précis de l'Autriche, un dernier détail mérite d'être relevé. Sebastian Kurz, le nouveau chancelier autrichien, qui a accepté de gérer le pays au sein d'une coalition avec l'extrême droite, a 31 ans. Ceci a de multiples significations. Cela montre que le renouveau générationnel, en soi, n'a aucune signification particulière. Une nouvelle génération peut être pire que la précédente, et la jeunesse des dirigeants n'est pas forcément synonyme d'idées plus novatrices.

Ensuite, une nouvelle génération arrive aux affaires en Europe. Elle émerge alors que les idées « populistes » se sont banalisées. Les anciens clivages gauche-droite, pauvres-riches ont perdu de leur poids. Les nouveaux idéologues tentent même de convaincre les électeurs qu'ils ont perdu de leur pertinence face à la « menace étrangère ». Le débat quitte la sphère économique pour squatter la sphère identitaire, religieuse, ethnique. Enfin, l'Autriche avait une image si positive que ce qui s'y passe paraît encore plus déroutant. Elle donnait jusque-là l'image d'un pays où il fait tellement bon vivre que rien de grave ne pouvait s'y passer. Un peu comme la Suède, la Norvège et la Nouvelle-Zélande. L'entrée de la « droite populiste » au gouvernement à Vienne montre qu'en politique, rien n'est jamais définitivement acquis. Et ce qui semble évident aujourd'hui devient incertain demain. Qui aurait pu penser qu'après le formidable signal d'ouverture envers les noirs que fut l'élection de Barak Obama, les Etats-Unis se désavoueraient immédiatement après pour élire Donald Trump ?