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Gouvernance, réformes, sécurité: Confessions d'un haut responsable

par Ghania Oukazi

«Notre influence baisse en raison de la faiblesse physique du président, de la chute du cours du pétrole, parce que l'Algérie est ciblée parce qu'on veut lui faire payer sa stabilité et ses positions politiques. En premier, s'impose à nous l'impératif d'assainir notre pays de la pègre qui le ronge.»

Les propos sont d'un haut responsable lors d'une discussion à bâtons rompus sur l'Algérie. Haut responsable dont les inquiétudes sont grandes au regard des évolutions que connaissent le monde en général et la région en particulier, ainsi que des visées sur l'Algérie «mais surtout de son désordre interne sur tous les plans.» Le satellite récemment installé par le Maroc en Guyane française ne constitue pas à ses yeux, véritablement un danger «d'espionnage sur nos territoires, Google a fait mieux depuis longtemps, on peut voir tout ce qu'on veut,» dit-il en souriant. La réunion, il y a quelques jours, des membres du Conseil de sécurité sous la présidence de Bouteflika (et non avec Ouyahia seulement comme annoncé dans ces colonnes) était justement, selon lui, pour faire le point sur toutes ces questions.

Pour sa part, il préfère pointer du doigt les problèmes «qui nous accablent au plan interne. » Rompu à la chose militaire et politique, notre interlocuteur aime la précision. «Le prix du pétrole a dépassé ces derniers jours, les 60 dollars le baril ; s'il se maintient à ce niveau, l'Algérie rentrera dans ses comptes, reconstruira ses équilibres et pourra relancer ses investissements, » dit-il. «La faiblesse physique du président de la République nous a certes fragilisés, mais elle ne doit pas inquiéter outre mesure parce qu'il faut savoir et admettre que Bouteflika est un cérébral, il agit sur le structural, c'est un homme d'Etat contrairement à certains de ses pairs africains qui sont là juste pour servir des loges maçonniques de l'Occident, et tant qu'il est là, il est le garant de la stabilité, mais s'il manque de fermeté, il a bien sûr ses raisons,» pense-t-il.

« Bouteflika manque de fermeté »

Ce responsable souligne que «ce manque de fermeté est pour éviter la violence à ce pays, il veut agir avec tact même si ça lui prend énormément de temps, il veut que son départ se fasse d'une façon paisible mais s'il part sans alternative, ce serait très grave pour le pays.»

Notre interlocuteur rappelle que «Bouteflika a hérité de situations complexes et compliquées en tous points de vue, elles se sont certes corsées encore plus non pas parce qu'il a failli mais le pouvoir occulte, -celui des officines- qui agissait en toute impunité-, et -continue en underground- a laissé le pays pris à la gorge, parce qu'il l'a laissé entre les mains d'une bande de pillards qui commandent les grandes filières d'importation et soudoient à grande échelle les administrations, un pouvoir de l'ombre qui a verrouillé ce système pourri sur des bases ethniques, régionalistes et claniques, ses réseaux détiennent l'argent, c'est la plus grande menace interne qui fragilise tous les équilibres quelle que soit leur consistance.»

Le choix des hommes «très mal fait » est aux yeux de ce haut responsable un drame qui a détruit le pays. «Face à cette prise en otage de l'Algérie, comme déjà dit, le président a voulu faire avec tact, c'est sa vertu, il a pensé faire sortir tous les incompétents, les corrupteurs et les corrompus à la lumière du jour pour qu'ils soient définitivement grillés, il faut des hommes politiques racés pour saisir la portée de ce qui a été fait, s'il y a une bonne alternative, la construction de la 2ème République se fera sur des bases saines, parce que s'il y a de nouveaux dirigeants, on ne peut penser qu'ils se permettront de travailler (encore) avec cette pègre.»

Le pouvoir de l'ombre et la bande de pillards

Pour l'heure, il pense qu' «on est fragile par nous même, nous avons des responsables importants ou qu'ils l'ont été - de connivence avec la bande de pillards- qui sont nuisibles pour le pays, ils sont pour faire du mal, pour détruire. »

L'on est d'autant plus fragile quand on sait, dit-il, que «l'Algérie est ciblée par des officines étrangères, c'est affiché depuis longtemps, elle fait partie du monde arabo-musulman qui doit être émietté selon leurs stratèges, le GMO (le Grand Moyen-Orient) n'est pas une simple vue de l'esprit, l'Algérie est bien en vue sur cet échiquier, elle doit payer ses positions constantes et irréversibles en faveur de la Palestine, du Sahara Occidental et des causes justes dans le monde, ce qui se passe en Libye et dans la bande sahélo-sahélienne n'a rien de fortuit, sa stabilité dérange, le satellite marocain est venu en complément, il doit les servir à certains niveaux.»

Il estime qu'on a failli, dit-il, dans notre éloignement de la construction du Grand Maghreb. « On devrait s'allier au Maroc et à la Tunisie le plus tôt possible, il y va de notre avenir, de notre stabilité, de celle de notre région voire de sa survie, les propos tenus par Messahel n'ont absolument rien changé à cette réalité», estime-t-il. Propos qui, juge-t-il, ont été prononcés «sur le ton de la colère, mais Messahel est d'une grande intelligence, il est brillant, il a côtoyé et suivi des esprits de grande lucidité, ce qu'il a dit, c'est une goutte dans une mer déjà agitée et affolée par les propos injurieux que tiennent depuis longtemps divers milieux marocains vis-à-vis de l'Algérie. »

Les changements à prévoir

Il continue sur sa lancée et affirme que « Chakib Khelil est un fils de famille, fils de savants, c'est connu, on sait d'où il vient, il n'a pas le profil d'escroc comme ont voulu faire croire des pouvoirs occultes.» Ouyahia sert, selon lui, les hommes en place «il s'adapte à toutes les situations. » L'enjeu le plus pressant pour «les clans», ce sont, à ses yeux, les élections communales et de wilayas. «Ceux qui veulent préparer l'élection présidentielle de 2019, veulent accaparer les communes, ce sont l'instrument idéal pour la gagner, » estime-t-il. Il reconnaît que « ceux qui affichent déjà des ambitions ou qui les laissent deviner et même ceux qui restent tapis dans l'ombre, c'est leur droit absolu, c'est tout à fait légitime. » Il se demande par ailleurs, «pourquoi on avance tous les noms de ceux qui peuvent prétendre à la présidentielle mais dès que le nom de Saïd Bouteflika est prononcé, on pense au complot et on parle d'oligarchie, pourtant il est jeune, c'est un universitaire (?) et la Constitution lui permet d'être candidat (?). » Il estime qu'«il faut cependant, admettre qu'aucun d'entre eux n'est un enfant de cœur, mais pour sauver le pays, il faut placer le travail avec les compétences comme un impératif de premier ordre. Il y en a, il faut juste leur donner le pouvoir de diriger, de prendre des initiatives et aussi leur imposer le devoir de rendre des comptes, c'est ce qui a manqué le plus à l'Algérie. » Notre interlocuteur pense que «si on veut s'en sortir, il faut qu'on fasse, en premier, notre aveu d'échec, il faut commencer par reconstruire l'école (?). »

Le haut responsable s'attend à de grands changements au sein de la haute administration, «peut-être après les élections du 23 novembre prochain, un mouvement des walis, un grand mouvement des ambassadeurs qui est déjà prêt depuis quelque temps (?). » Pour lui, «les changements qui devront (en principe) être opérés dans les prochaines semaines ou les premiers mois de 2018 seront décisifs pour la présidentielle de 2019, ils toucheront le gouvernement, les chefs des grands partis et bien d'autres institutions, ceci bien sûr, si Bouteflika rempile par un 5ème mandat (un premier par rapport à la Constitution de 2016), ou alors il choisit lui-même son successeur ; si ce n'est ni le premier ni le deuxième cas, l'armée ne laissera pas faire, elle se (re)mettra au devant de la scène?. »