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L'opposition éclatée

par Mahdi Boukhalfa

Faut-il ramer à contre-courant pour comprendre les soudaines mais pas fréquentes sautes d'humeur politiques en Algérie ? Non assurément, sauf à prêter à l'opposition une sorte de délit d'initié. Car si le Premier ministre et chef du second parti politique du pays prévoit à l'avance les réactions de l'opposition, en particulier à son projet de loi sur la monnaie et le crédit, adopté à la majorité au Parlement, le camp adverse semble otage de sa vision courte des enjeux du moment et ceux à venir. Et, surtout, d'une fausse praxis de la politique et des devoirs en général de l'opposition. Une situation qui arrange et donne nettement au Premier ministre l'avantage de toutes les batailles parlementaires ou politiques.

Le projet d'amendement de la loi sur la monnaie et le crédit, un passage obligé constitutionnel pour que le gouvernement passe au financement non conventionnel afin d'irriguer l'économie et faire fonctionner les différents rouages de l'administration, faire tourner le pays, a été adopté à la majorité parlementaire. Un point important pour le gouvernement afin de poursuivre sa politique économique face à une opposition qui n'arrive pas à parler d'une même et seule voix, sinon à constituer une force de frappe puissante contre certains projets jugés impopulaires du gouvernement. Mieux, cette inefficacité politique de l'opposition est encore illustrée par la sentence de la justice concernant les recours des partis politiques qui ont presque tous été rejetés. Résultat: seuls le FLN et le RND seront présents dans toutes les circonscriptions électorales.

Certes, la partie était difficile face aux deux mammouths du pouvoir, mais le manque d'organisation et de cohésion des partis d'opposition perpétue la domination du pouvoir et, fatalement, ferme presque les portes de l'alternance politique. Ce ne sera pas le SG du RND, plus «visible» que son homologue du FLN, éclaboussé par le scandale des listes FLN «téléguidées» pour les prochaines élections locales, qui va se plaindre de cette situation et qui lui donne pratiquement les clefs des prochaines présidentielles. Il en donne d'ailleurs quelques indications lorsqu'il dit que le «bouillonnement de l'opposition n'a pas été accompagné de propositions ou alternatives au peuple algérien». En deux mots, il terrasse tout son monde en lançant: «Ils n'ont rien d'autre à faire que de dire que le Président doit partir, qu'il est dans l'incapacité, qu'il est malade. Nous disons que le pays fonctionne. Le Président accomplit son rôle».

En réalité, le Premier ministre et chef du RND a déjà pris une avance sur le FLN et averti l'opposition : le pays fonctionne et le Président gouverne le pays. Partant de là, tout débat autant au Parlement qu'ailleurs sur l'avenir politique immédiat et à venir du pays, des décisions économiques importantes à prendre pour éviter «l'iceberg» sont monopolisés par les partis au pouvoir, privatisés et même parfois classés «confidentiel». C'est même à se demander, au vu de la tournure prise par les événements depuis qu'Ahmed Ouyahia est revenu aux affaires, si ce retour ne va pas accélérer davantage et confirmer une fois pour toutes le rôle de figurant qui a toujours été attribué aux partis d'opposition. Le drame est que cette posture du pouvoir n'arrangera pas les choses. Autant cela va porter un coup sévère à quelques avancées démocratiques, autant cela va fausser tous les débats sur l'alternance au pouvoir. A commencer par les prochaines élections locales où les partis d'opposition vont, une fois de plus, y laisser leurs plumes. Après, ils ne pourront plus se consoler en se mordant les doigts pour n'avoir jamais ouvert la porte d'une opposition forte, et surtout unie, comme le font si bien les partis au pouvoir.