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De Madoff à Paddock : une autre facette du rêve américain

par Kebdi Rabah

Aux « States » la liberté de quelques-uns commence là où ils mettent fin à celle des autres. Dans une chambre, au trente deuxième étage d'un hôtel cossu, la tête près de Dieu, un riche comptable à la retraite s'est subitement souvenu qu'il y a encore un compte qu'il n'avait pas soldé : celui d'avec la société dont il est issu et à laquelle il a décidé faire payer un tribu au comptant en lui ravissant la vie de cinquante-neuf de ses membres (Souhaitons que les centaines de rescapés en resteront à leurs blessures). Un compte avec une société qui lui a donné à voir et ressassé,sans doute dès sa prime jeunesse,que dans l'Amérique des grands principes et des grands espaces : rien, absolument rien, à l'exception de la liberté individuelle, n'est sacré,que tout est à prendre y compris la vie des autres. Une liberté individuelle que rien ne fait reculer y compris la perspective de mener la planète à sa déchéance (25% de la pollution mondiale pour 5 de la population mondiale). N'est-ce pas là le prolongement naturel du bienfondé moral du deuxième amendement de la constitution qui permet à tout Américain libre de disposer d'un arsenal illimité d'armes à feu et de la retourner contre toute autorité qui lui nierait son droit à tout faire. Il suffit d'être un tant soit peu attentif à l'écho de l'histoire, sans être érudit, pour y puiser les exemples de génocides, de tueries de masses, de crimes contre l'humanité pour s'en faire des référents propres à banaliser la mort.Si son gouvernement se fiche à ce point du respect de la vie de millions d'êtres humains ailleurs, pourquoi lui, comptable Paddock, se priverait-il de s'adjoindre quelques compagnons de route pour le dernier voyage ? N'est-ce pas là une façon de combler la solitude des microcosmes déshumanisés ! Psychotique ou psychopathe, des psychologues, des psychiatres,des « profilers » vont disséquer la vie de Paddock pour voir si dans son passé il n'y aurait pas quelques bizarreries à livrer aux médias et auxquelles s'accrocher pour expliquer à la masse le geste d'un démon qui, comme ses semblables qui l'ont précédé, ne présente aucun signe de folie.Mais ce ne serait que leurre pour distraire les foules, car au fond ils ne trouveront rien qui puisse leur permettre d'anticiper le passage à l'acte comme ils n'ont pas pu prévoir les massacres d'Orlando, Floride (2016), de Virginia Tech, Virginie (2007), Newtown, Connecticut (2012), Killeen, Texas (1991), San Ysidro, Californie (1984) etc?Ils ne trouveront rien comme ils n'ont rien trouvé pour les H.H. Haulmes, Albert Fisch, Jeffrey Dahmer, Ted Bundy, Dennis Rader, Gary Ridjway, pour ne citer que quelques-uns d'une liste de milliers de « sirial killers ».Ils ne trouveront rien si non des marginaux souvent rejetés par leurs parents et la société. Car, pour un pays qui s'est bâti sur la violence et qui en use à profusion pour maintenir sa domination sur le monde, le crime en son sein,même à un niveau anormalement élevé, n'est qu'un échantillon d'une « production » en série, labélisée made in USA, exportée à travers la planète. Aussi, avec tout le respect dû aux criminologues, si explication il y a et si on veut s'attaquer aux causes plutôt qu'aux effets, c'est d'abord dans cette direction, celle de l'Amérique profonde toute entière qu'il y a lieu de chercher : Une population en transe, sciemment conditionnée par la peur qui tente de s'exorciser en se ruant sur les armes. Il y en a en circulation plus que le nombre d'habitants. Dans le pays du chacun pour soi, du Dieu dollar, qui relègue dans la détresse toute personne faible et incapable de se défendre, il n y a rien d'étonnant à ce qu'il produise des assassins par dizaines de milliers. Chaque année plus de dix milles personnes périssent par armes à feu. Quant à l'Etat Nation, tout ce qui est sur la planète lui appartient.

Mais, ces assassins ont de qui tenir. N'est-ce pas le Général Custer, un des illustres compatriotes du comptable Paddock, ancêtre peut être, qui aurait dit qu'il n y a de bons indiens que d'indiens morts. Dans sa quête de gloire, ce sinistre personnage a fait de la chasse aux « peaux rouges » son sport favori, jurant que son âme n'aura de répit que lorsqu'il en aura fait disparaitre le dernier de la surface terrestre. Mal lui en prit, car c'est lui qui rendra gorge à la fameuse bataille de little bighorn en 1876 (1). Custer, Georges de son prénom, (un prénom qui semble prédestiné) parti, d'autres achèveront le travail.Toute une race, dont il ne reste que quelques spécimens pour le folklore, passée à la trappe de l'histoire, pour la gloire de la civilisation et de la liberté. La race noire, elle, a eu plus de « chance » mais elle ne le doit qu'à sa place dans le processus d'exploitation des plantations et à son endurance à supporter les affres de la déportation et de l'esclavage. « Privilège » que n'ont pas eu les populations d'Hiroshima et de Nagasaki auxquelles le Président Truman dépêcha par les airs, les 6 et 9 Août 1945, deux « anges exterminateurs» répondant aux doux patronymes de « little boy et de fat man » (2). Uranium, plutonium au choix,il y en a pour tous ! Près de deux cent milles victimes innocentes pour rien si non, selon certains historiens, pour stopper les velléités de l'URSS qui avait entamé son offensive contre le Japon. Depuis, aux quatre coins du monde, de la Corée au Vietnam, de l'Afghanistan à l'Irak et la Syrie,la bannière étoilée n'a cessé de tapisser la planète de ses bombes, de faire couler le sang et les larmes, officiellement pour la défense du « monde libre », créant des casus belli comme celui contre l'Irak qui, comme chacun le sait, disposait d'un stock d'armes de destruction massive à même de détruire la civilisation. Exit l'intérêt des compagnies pétrolières et du complexe militaro industriel. Le jour où les attentats du 11 septembre livreront tous leurs secrets?

Pour autant, les deux bombes d'Aout 1945 sur le Japon ne doivent pas occulter deux autres,larguées sur toute l'humanité à partir de Wall Street. La première le fut lors du fameux jeudi noir du 24 octobre 1929 et précipita le monde directement dans l'enfer de la deuxième guerre mondiale (3). Quant à La deuxième bombe, celle des « subprimes », elle débuta en juillet 2007, mit le monde à genou,poussa des millions de malheureux à la faillite et continue dix ans après à produire ses répliques aux quatre coins de la planète. Elle a permis de mettre en exergue une fois de plus la pratique mafieuse de financiers véreux situés au plus niveau de hiérarchie des finances et de l'Etat. A un niveau subalterne, un certain Bernard Madoff, larron de la pire espèce réussit à lui seul une escroquerie de près de 65 milliards de dollars. Record qui sera sans doute battu tant sont immenses les dispositions de l'Amérique à produire des criminels à col blanc. La somme aussi colossale soit elle importe peu, ce qui l'est c'est la possibilité offerte à un pillard d'opérer au vu et au su de tous, tout comme Paddok, à partir d'un étage de building, le dix-septième de l'immeuble Lipstikde la 3° Avenue à Manhattan. La similitude ne s'arrête pas là car si l'un a réussi à stocker au nez des services de sécurité tout un arsenal dans une chambre d'hôtel, l'autre a grugé des années durant des milliers d'investisseurs au nez et à la barbe de la « SEC : Securities and Exchange Commission», l'organe de contrôle des marchés financiers appelé aussi gendarme de la bourse. Mais Maddof n'a fait que rééditer une pratique qui a déjà fait ses preuves dans une escroquerie des années vingt, connue sous le nom de « pyramide de Ponzi ». L'astuce est simple, il suffit d'offrir un retour sur investissement alléchant pour attirer à soi des souscripteurs. On paie l'intérêt des premiers arrivés avec l'argent des suivants, toujours plus nombreux, et ainsi de suite. Or c'est exactement ce qu'ont fait les autorités Américaines depuis des décennies. En 1940, le déficit budgétaire des USA était de -50,6 milliards de dollars soit 52,4% du PIB. En 2016, il est de -19 000 milliards de dollars soit 106% du PIB. Personne n'est dupe pour croire que cette dette du trésor sera remboursée un jour. Les USA la traineront ad vitam aeternam, ou jusqu'au prochain conflit mondial.

S'agissant des jeux de la bourse c'est tout simplement un système, pernicieux,amoral qui permet à certains malins, parasites, d'engranger des sommes colossales, par le seul fait de spéculer sur tout, de parier sur l'avenir, sur les vivants, les malades, les morts, la misère, les évènements les plus macabres, sans rien créer au sens économique du terme, mettant périodiquement tout le système de crédit en danger au point d'obliger les pouvoirs publics à intervenir pour effacer l'ardoise et faire supporter les conséquences de leur crime à toute la collectivité. Aucune vigilance, aucune régulation ne peut empêcher les « bulles » (4) de se former, car la cupidité ne peut se contenter d'être enfermée dans une bulle. Régulièrement elle éclatera pour provoquer des crises d'une ampleur toujours plus grande. Ceci, tout simplement parce que le fruit de la spéculation est une richesse artificielle qui viendra tôt ou tard se faire blanchir dans la sphère de l'économie réelle et polluer la véritable richesse issue du travail productif. C'est connu, une masse de monnaie qui vient s'ajouter sans travail créatif dévalorise la monnaie et érode le pouvoir d'achat. Les requins de Wall Street l'ont compris et c'est la raison pour laquelle ils dissimulent leur gains dans des « produits financiers » de plus en plus compliqués, indétectables quant à leur toxicité, et les dispersent aux quatre coins du globe pour faire supporter au monde entier le poids de la crise qu'ils ont créée par leur cupidité. Eux s'en tirent toujours, la crise de 2008, qui a ruiné des millions d'épargnants et investisseurs, n'a absolument pas influé sur les bonus des traders et leurs patrons.

Le boursicotage ne date pas d'aujourd'hui, certains ont eu la naïveté de croire que la crise de 1929 allait être la dernière et que les accords de Bretton Woods(1944) allaient mettre définitivement fin aux crises issues du capitalisme. Le projet de l'économiste anglais J.M. Keynes de créer une « union internationale de compensation » et une monnaie supranationale le « bancor » à laquelle seraient rattachées toutes les autres monnaies nationales, était le moins mauvais.Mais ce projet qui aurait pacifié les relations internationales en équilibrant les balances commerciales et empêché les paradis fiscaux, fut combattu par les USA qui imposèrent le dollar comme monnaie de référence, seule convertible, avec une parité fixe par rapport à l'or,connu sous le nom de « Gold exchange standard ». Attitude de dominant, destinée à conforter leur position de grand vainqueur de la récente guerre mondiale et empêcher l'émergence d'autres nations à même de leur tenir tête. On sait ce qu'il advint de la convertibilité du dollar et de sa parité fixe. Tout vola en éclat le 15 Aout 1971 lorsqu'après avoir fait marcher la planche à billet, pour financer entre autres la guerre du Vietnam, enregistré leur premier déficit commercial du vingtième siècle face à la concurrence de l'Europe et du Japon, les USA se sont retrouvé dans l'impossibilité d'honorer leur engagement de convertibilité du dollar. C'est le Président Nixon qui annonça, au monde sa non convertibilité et sa parité désormais flottante, violant ainsi unilatéralement un accord conclu vingt-sept ans auparavant (accord sensé éviter la réédition la crise de 1929 et la deuxième guerre mondiale). La porte a été de nouveau ouverte à toutes les dérives, aux spéculateurs de Wall Street qui ne se priveront pas de profiter de la brèche, d'élargir leur champ d'action jusqu'à mener régulièrement le monde au bord du gouffre.

Quel que soit la peine que l'on peut avoir à l'égard des victimes de Paddock et de Madoff, on ne peut faire l'économie d'un débat sur le contexte global et moral de ce qui est d'évidence systémique. Au nom de quelle morale va-t-on juger Georges Paddock pour avoir osé ôter la vie à cinquante-neuf malheureuses victimes et faire l'impasse sur les millions d'assassinats dus à Georges W. Busch et se généraux ? Au nom de quelle morale devrait-on juger Bernard Madoff pour détournement de 65 milliard de dollars lorsqu'un Président et les plus hauts responsables de la finance sont impliqués dans des méfaits qui se chiffrent en milliers de milliards de dollars ? Paddock s'est envoyé en l'air, il y était déjà. Madoff a « pris » pour 150 ans de prison, Hankpaulson le ministre des finances, Dick Fuld le PDG de la banque Lehmann Brothers, Lloyd Blankfein le patron de la Goldman Sachs, pour ne citer que ceux-là, vivent des retraites heureuses en attendant des périodes plus propices pour qu'eux, leurs semblables ou leurs descendants fourbissent un autre coup fourré planètaire.

1.Bataille des 25 et 26 juin 1876 qui se solda par la victoire desAmérindiens (une coalition des Cheyennes et de Sioux commandée par Sitting Bull, Crazy Horse et Gall) sur les troupes Custer. Les Sioux l'appellent « Greasy Grass ».

2. Les Américains baptisent souvent leurs engins de morts de nom propres à attirer la sympathie. La forteresse qui transporta la bombe « little boy » portait le nom d'Ennola Gay, mère de Paul Tibet le pilote qui la largua sur Hiroshima

3, La guerre 1939 -1945 n'est pas la deuxième guerre mondiale. C'est la troisième en comptant celle dite de sept ans (1754-1763). Les Usa n'existaient pas alors.

4. Bulle : Terme en usage chez les financiers pour désigner une surestimation des titres boursiers due à la spéculation, elles finit par se transformer en désastre pour les derniers qui les détiennent et impacter parfois tout le système dans son ensemble.