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Développement local: Le poids de la tribu et d'autres contraintes

par Notre Envoyée Spéciale A Babar (Wilaya De Khenchela): Ghania Oukazi

En restituant hier le diagnostic des capacités et potentiels de ses territoires, la commune de Babar montre qu'elle est toujours dominée par une profonde culture tribale et des rivalités ancestrales.

L'expert du Ceneap qui en a fait lecture à l'assistance ne manque pas de souligner le «rôle des notables et des sages dans la résolution des rivalités et des confits» pour plaider en faveur de la préservation de «la culture tribale au service d'une gouvernance locale concertée qui promeuve la participation citoyenne.»

Les habitants de Babar ont fait part à cet effet, de leur réceptivité «notamment les jeunes» souligne l'expert Rabah Kechad, « à cette dimension stratégique et citoyenne. » Il souligne ainsi que les populations sont disposées à porter les problématiques que l'équipe de Capdel pose, «à être initiés à la démocratie participative et impliqués dans le développement local de leur commune.» Présenté il y a près de 5 mois aux représentants de la société civile, le Programme de renforcement des capacités des acteurs du développement local est pour rappel, financé par l'UE et appuyé techniquement par le PNUD. Classée une des plus déshéritées du pays, Babar est qualifiée par les experts de «commune répulsive» en raison des difficultés qui émaillent le quotidien de ses citoyens. L'expert du Ceneap rappelle qu'en 2007, le ministère de l'Intérieur et des Collectivités lui avait demandé de faire un diagnostic de la commune pour pouvoir élaborer des PCD (plans communaux de développement) qui répondent à ses besoins. « Il ne peut y avoir d'amélioration, ni de modernisation ni de changement sans diagnostic, et capdel ne réussira pas sans.» D'où le diagnostic qu'il a élaboré dix ans après sur la base des préoccupations de ses habitants.

«L'attachement aux territoires est profond»

Mises à part quelques évolutions en matière d'infrastructures de base notamment éducatives, quelques structures sanitaires, et la réalisation de certains programmes de logements, les choses n'ont pas beaucoup évolué. Ceci, au regard des données et d'états de situations rapportées dans le diagnostic et la mise en exergue par l'expert, de leurs atouts et insuffisances. Une de ses premières remarques est que les habitants de Babar, surtout les jeunes, lui ont parlé «avec le cœur », ce qui lui a permis de constater que «l'attachement aux territoires est profond.» Il note que «Babar est la commune la moins urbanisée de la wilaya à raison de 47,27% contre 65% pour toute la wilaya, a près de 4 000 habitants dont 98% sont concentrés dans la zone nord des monts de Zoui et Nememcha.» La culture de la région est marquée par l'artisanat et le folklore. La vocation de la commune est rurale et son espace agricole important «avec des potentialités mobilisables surtout au sud. » Elle produit à elle seule, selon lui, 85% des cultures céréalières de la wilaya, cultive le palmier dattier et les produits maraîchers. Ses agriculteurs souffrent d'un important problème d'électrification et de transport. Elle possède un marché de gros de fruits et légumes loin de 70 km au sud, situé à Ouglat Lbaara qui lui permet un mouvement de commerçants venant de Biskra, El Oued et l'est de Tébessa.

L'expert a noté que « les acteurs du développement local viennent du sud et jugent que leur espace mérite une attention particulière.» Il fera alors état de «l'absence de la culture solidaire entre les communes en raison d'une culture tribale intacte, de l'influence du mode traditionnel sur beaucoup de questions. » Une des conséquences, « faible participation politique. » Faiblesse qui est aussi liée « à la crédibilité des candidats avant et après leur élection, et au déroulement même du scrutin. » Mais l'optimisme est, selon lui, permis puisque malgré «l'attachement des habitants aux valeurs transmises par la voie familiale, ils cherchent l'ouverture vers d'autres communes. » C'est ce qu'il appelle l'existence de la dimension de «la citoyenneté territoriale. »

Babar est d'ailleurs toujours fière d'exhiber son tapis ancestral. Elle excelle ainsi dans le métier à tisser. La tradition a été jusque-là préservée et transmise de génération en génération. « Le tapis de Babar est un joyau de l'artisanat traditionnel et témoin du génie de l'art populaire séculaire, et mondialement connu, » écrit Kechad dans son diagnostic. Tapis qui, dit-il «plonge ses racines au plus loin de l'histoire des Aurès. »

Appel pour «une consécration culturelle»

Les habitants demandent encore et toujours l'ouverture d' «un musée du tapis de Babar» qui, fait savoir l'expert, «constituerait une consécration culturelle et traditionnelle de la région. » Ils tiennent beaucoup à la réalisation du projet d'appui que leur a accordé l'OIT et l'UE mais « demandent un accompagnement des autorités locales.» Ceci pour les atouts. Les contraintes de la commune ne sont pas des moindres. L'expert met en évidence « la faible taux d'alphabétisation de la population, le manque de coordination entre les différents services pour la mise en œuvre des instruments d'urbanisme et d'aménagement. » Il constate alors que « le développement urbain est en déphasage avec l'identité architecturale de la commune. » La faible densité du réseau routier régional et interne a creusé l'enclavement des zones éloignées.

Il est noté les difficultés liées à l'emprise de la gestion administrative centralisée (conflits récurrents autour des décisions et des actions prises par l'APC) et du gel des projets par les pouvoirs publics au titre de la politique d'austérité décrétée par le gouvernement.

«La centralisation de la gestion financière y compris celle des recettes de la commune qui n'a aucun pouvoir pour gérer ses finances par rapport aux besoins générés par les nouvelles situations, » est cette autre contrainte majeure qui n'est pas propre à Babar. L'expert souligne cependant, dans son diagnostic, l'existence de «sources de fiscalité locale conséquentes » qu'il faille en évidence, déceler, développer et rentabiliser. Les communes nationales comptent beaucoup sur « la loi de gestion de la fiscalité » en préparation depuis quelques temps au niveau du ministère de l'Intérieur. Loi qui se fait en parallèle avec la révision du code communal et de wilaya dont l'examen est prévu, en principe, durant la session actuelle du parlement.

Pour l'heure, à l'instar des communes, Babar subit « une faible implication de sa société civile dans son développement en raison du manque accru de moyens et notamment « le caractère bureaucratique des textes régissant les associations. » Ce qui fait dire Kechad que «le ministère de l'Intérieur a du travail à faire à ce sujet.»

Aarchs et tribus réclament les statuts de leurs terres

Il suggère alors «une restructuration des relations entre l'ACL (Agglomération de chef-lieu), les zones secondaires et celles éparses. Ceci dit-il « pour une équité spatiale et sociale entre les territoires. » L'absence de valorisation du savoir-faire des femmes en tapisserie est aussi constatée tout autant que celle d'industries aussi minimes soient-elles. Babar a un fort taux de chômage, l'emploi est précaire et est de fait informel.

Société tribale par excellence, Babar affirme que le statut des propriétés occupées par les archs et tribus n'est toujours pas résolu. Les conflits autour de l'eau et des terres sont légion. Le rattachement de la commune à l'hôpital de Chechar n'est pas accepté par ses populations parce qu'elles estiment qu'elles ont droit à un hôpital puisque «Cherchar a le même statut administratif que Babar. » Son P/APC affirme que le problème a été réglé mais les habitants disent qu'ils n'ont encore rien vu venir puisqu'ils se rappellent que le gel du projet de leur hôpital a été décidé « sans justificatif. » Le scorpion fait à nos jours des victimes. «S'il y a un qui est mordu par un scorpion, c'est mauvais parce que l'être humain ne constitue pas un chiffre, il est plus noble, » estime Kechad. Les populations demandent «une étude épidémiologique pour une nouvelle carte médicale selon les spécificités de la région. » Les foyers de zones éparses continuent de recourir aux fosses sceptiques en l'absence de réseaux d'assainissement. «Les fosses sceptiques et les déversements des eaux usées dans la nature constituent des risques potentiels sur la santé des habitants et l'environnement,» dit le diagnostic. Les structures de sports et loisirs sont quasi inexistantes à l'exception d'un seul stade de football. La décharge publique est sauvage et le risque d'inondations est important à cause de l'insuffisance d'avaloirs. Babar est raccordée à hauteur de 70% au réseau électrique.

Le diagnostic retient que «50% des enfants scolarisés seulement atteignent le cycle secondaire, ce qui fait ressortir des déperditions importantes notamment chez les garçons. »

Bien que Babar est classée la première en matière d'habitat rural, le logement est jugé inadéquat avec la structure familiale. Il est fait état d'un déséquilibre dans l'inscription des programmes. «Ceux du Sud se sentent lésés, et le tissu urbain est incompatible avec l'identité et la topologie de Babar, » est-il rapporté.