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Gestion des risques majeurs : les collectivités locales à la traîne !

par Cherif Ali

Il n'est pas normal, estiment les experts, que les points d'éclosion de grands feux reviennent à intervalles réguliers dans certaines de nos régions et les changements climatiques n'en sont pas les causes principales, affirment-ils !

Ils pointent du doigt le nombre croissant des habitants en prise directe avec la forêt même si les années noires de grands feux sont des scénarios sans cesse répétés. Elles sont surtout exacerbées par la pression démographique et l'interpénétration croissante des espaces forestiers et de l'habitat qui font que les enjeux s'accroissent considérablement.

De ce qui précède la fréquence des incendies n'a cessé d'augmenter à travers le temps, avec un nombre de feux quatre fois plus élevé que pendant la période coloniale, dépassant pour les trois dernières années 3500 feux par an.

En conséquence, l'Algérie est l'un des pays où le problème des feux de forêt doit être pris en rapport avec le modeste tissu végétal, car si en valeur absolue les superficies brûlées restent, relativement, modestes comparativement à certains pays du bassin méditerranéen, la rareté des forêts et les menaces de désertification font que les incendies ont un impact particulièrement désastreux.

De plus, notre pays ne possède que 4,1 millions d'hectares de forêt, soit un taux de boisement de 1,76 % !

L'analyse des feux passés, survenus dans les 40 wilayas les plus boisées du nord du pays, fait ressortir que durant la période 1985-2010, l'Algérie a enregistré 42 555 incendies qui ont parcouru une superficie totale de 910 640 hectares. Enorme, estime M.Rabah Said dans une contribution sur l'ampleur des incendies de forêt, récemment publiée dans la presse nationale.

Cette catastrophe a bien sûr fait réagir d'autant plus que derrière les récents incendies, des criminels pyromanes ont agit pour propre compte ou pour des lobbies.

Des prédateurs du foncier, selon Louisa Hanounne qui estime que l'on est en face d' « une opération politique, une vengeance orchestrée par des centres prédateurs dérangés visant à garrotter la prédation ,récupérer le foncier agricole détourné de sa vocation ou utilisé ,exclusivement ,comme garantie pour l'obtention des crédits bancaires qui ne donnent lieu à aucun projet »

Que font, entre- temps, les collectivités locales ?

1- Disposent ?elles, par exemple, d'un système d'alerte rapide pour signaler tout départ d'un feu ?

2- Ont-elles conçues et mis en œuvre des aménagements adéquats pour faciliter l'intervention des services compétents en matière de lutte contre les feux de forêt ?

3- Ont-elles procédé en temps et en heure, aux débroussaillages nécessaire des endroits à risque ?

4-Ont-elles identifié les moyens humains et matériels à mobilier rapidement en cas d'incendie ?

En un mot, disposent ?elles d'un plan ORSEC !

Oui a répondu indirectement un élu de l'APW de Tizi Ouzou en ce qui concerne le plan ORSEC ; l'élu affirme toutefois que « les plans de lutte contre les incendies sont très mal adaptés et vraiment dérisoires dans une wilaya telle que Tizi -Ouzou dont le boisement occupe 38 % de sa surface totale»

Et à l'élu d'asséner : « le plan ORSEC a démontré tout au long de cette calamité exceptionnelle, qu'il était tout simplement obsolète, car il n'a pas répondu à l'urgence du moment. »

Il en est ainsi des 600 autres communes dont les plans ORSEC nécessitent, pour le moins, et de l'aveu du responsable de la Délégation aux risques majeurs dépendant du Ministère de l'intérieur, des opérations de mise à niveau de moyens d'intervention et de lutte contre les risques majeurs.

Et pas que ! La mise à niveau concerne aussi les responsables des collectivités locales, et leur formation à la gestion des risques majeurs.

Dans une époque pas si lointaine les maires,avaient bénéficié d'une formation de 5 semaines à l'ENA, en matière de management opérationnel et de gestion des risques.

De plus, les communes étant sommées de fonctionner comme des « entreprises » ; elles ont été dotées de tous les équipements et autres engins à même de leur permettre de suivre et de réaliser leurs projets, mais aussi, en cas de besoin, pour, pouvoir intervenir pour dégager les voies de circulation et réaliser les opérations de secours.

En plus de ces dotations, les 1541 communes du pays ont bénéficié de l'apport de cadres techniques de haut niveau : 1000 architectes et ingénieurs ont été ainsi recrutés et déployés dans les collectivités locales.

Mais force est de constater qu'en l'absence d'une stratégie d'intervention à moyen et à long termes, les mêmes erreurs et les mêmes défaillances se reproduisent de manière cyclique, avec leur lot de drames humains et de dégâts matériels.

Le laisser-aller, l'absence parfois de plans Orsec, comme on l'a affirmé supra, et les interventions conjoncturelles d'un personnel non formé pour la circonstance , aggravent la situation, quand la catastrophe se produit.

Les opérations d'entretien préventif ne doivent pas s'inscrire dans un calendrier saisonnier, d'autant plus que les calamités sont imprévisibles, n'ont cessé de répéter tous les spécialistes de la question qui, par ailleurs, font remarquer qu'en matière d'intervention, la coordination interministérielle doit revêtir, obligatoirement, un caractère intersectoriel, ce qui n'est pas souvent le cas et les résultats s'en ressentent.

Au jour d'aujourd'hui, les inquiétudes demeurent et l'esprit des citoyens est encore hanté par :

-Les inondations de Bab El-Oued (10 novembre 2001) et les torrents de boue qui se sont déversés dans l'oued principal du Frais-Vallon faisant 1000 victimes et aucun responsable n'a été inquiété !

-celles de Ghardaïa, en 2008, quand des pluies diluviennes se sont abattues sur la région, pendant 48 heures. En amont, elles ont trouvé comme réceptacle des oueds et de là, les eaux ont déferlé, débordé et emporté tout sur leur passage, à travers huit communes, dont celle située dans la vallée du M'zab, Ghardaïa !

Le bilan s'est soldé par 49 morts, des dizaines de blessés et autant de personnes traumatisées. !

Les autorités locales ont été très vite débordées par la catastrophe. Une cellule nationale de crise a été mise en place et a travaillé, d'arrache-pied, pour évaluer les pertes humaines et matérielles, assister les sinistrés et surtout coordonner les secours qui pour la circonstance ont afflués de toutes les wilayas d'Algérie qui ont décidé de mutualiser leurs moyens en vertu des instructions qui leur ont étaient données.

L'État, faut-il le dire, avait mobilisé tous les moyens ainsi que ceux des autres wilayas solidaires dont les premiers convois de médicaments, couvertures et autres produits de consommation ont été acheminés, en urgence, à destination du M'zab et des communes sinistrées.

Tout était à reconstruire à Ghardaïa où 3000 maisons ont été endommagées tout comme des vestiges historiques ; les inondations ont détruit les cultures, mais également, les commerces dont seulement 5 propriétaires sur les 500 recensés étaient assurés, pour dire que les citoyens se passent, non seulement, d'assurance, pourtant obligatoire comme la CATNAT, mais n'hésitent pas aussi à se débarrasser de leurs gravats, n'importe où, ce qui a pour effet de boucher toutes les conduites d'évacuation, d'aggraver la situation et partant, alourdir le bilan de la catastrophe !. Et tout ça sous le regard indifférent des autorités locales.

En un temps record, Ghardaïa pour cette fois-ci, a été bien prise en charge ! Un budget de 4 000 milliards de dinars lui a été alloué ; 20 725 chalets préfabriqués y ont été installés et 2 000 logements sociaux ainsi que 3 000 logements ruraux ont été construits et affectés aux sinistrés, sans exclusive !

Pouvait-on dire pour autant, que cela a été suffisant pour effacer cette catastrophe des esprits ?

Non, ont dit certains, élus de leur état, qui précisent « qu'il y a eu une responsabilité humaine dans les inondations qui ont touché Ghardaïa ! ».

Selon eux, « l'effondrement d'une retenue collinaire construite en 2005 au niveau de l'oued Laadhira, dans la région de Djaref, à 20 km du chef-lieu de wilaya, serait à l'origine de cette catastrophe-les normes requises n'auraient pas été respectées dans la construction de ladite retenue, faite en gabionnage ».

Cette accusation, faut-il le rappeler, n'a pas été prise en compte par les pouvoirs publics !

Fallait-il alors considérer le dossier clos et ne retenir que le « déchaînement des éléments» comme responsable de ce qui s'est passé à Ghardaïa, mais aussi à Bab El-Oued, à Chlef ou encore à Boumerdès où des cités « flambant neuf » se sont affaissées suite aux séismes, telles des « châteaux de cartes », sans que la responsabilité des promoteurs, du CTC ou encore d'autres décideurs locaux ne soit engagée ?

En France, par exemple, il en est autrement de la responsabilité des élus dans l'affaire dite du « Procès Xynthia », la tempête qui a fait 29 morts dans cette station balnéaire de Vendée en février 2010. Le maire et son adjointe ont été poursuivis « pour avoir signé des permis de construire pour des maisons de plain-pied, qui auraient dû comporter un seul étage, en raison du risque fort de submersion de la digue censée protéger les habitations ». Les victimes se sont même portées partie civile !

Les deux anciens élus « ont prétendu n'avoir pas pris connaissance du risque d'inondation, car celui-ci n'a jamais été, clairement, expliqué par les services de l'Etat, qui avaient, en outre, validé des permis de construire avant qu'ils ne soient autorisés par la commune ».

En Algérie, pas de procès, encore moins de jugement, car tout le monde est responsable et personne n'est coupable dans ce type d'affaires, mais si à Dieu ne plaise, il venait à se produire une quelconque catastrophe dans une région où « on aurait fermé les yeux sur des habitations édifiées sur des conduites de gaz », ou « des bâtisses construites dans des lits d'oued », chaque responsable direct ou indirect de cette situation aurait à répondre de sa gestion pour ne pas dire négligence !

De ce qui précède, nos responsables locaux seraient bien inspirés après tous ces incendies et les pertes qu'ils ont occasionnées et en cet hiver tant redouté par les climatologues, de relire le code communal et de méditer, quelque peu, sur deux dispositions en particulier :

1- celle relative à l'article 145 qui stipule : « Toute décision prise par le président de l'Assemblée populaire communale, ne tenant pas compte des avis, dûment exprimés par les services techniques habilités, entraînant des préjudices au citoyen, à la commune et/ou à l'Etat, font encourir à son auteur les sanctions prévues par la législation en vigueur ».

2- ou encore celle concernant l'article 147 qui stipule : « En cas de catastrophe naturelle, la responsabilité de la commune n'est pas engagée à l'égard de l'Etat et des citoyens s'il s'avère que la commune a pris les précautions prévues à sa charge par la législation et la réglementation en vigueur ».

En conclusion ,c'est cette insolente torpeur , le manque de réactivité, voire l'indifférence des institutions, tant centrales que locales ,à l'égard de la détresse des populations qui a provoqué par le passé la désaffection de ces dernières à l'occasion des élections ,a tenu à le rappeler opportunément un éditorialiste .

Et il a parfaitement raison car la visite d'un ministre accompagné d'un wali « en tenue d'apparat, d'un blanc immaculé », se présentant aux citoyens dans des lieux dévorés en partie par les flammes n'est pas de nature, vraiment, à renforcer « le lien », ou pour le moins remonter le moral de populations qui ont tout perdu. C'est plutôt contre productif !

Cela s'est passé à Tizi -Ouzou .