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70ème Festival International du Film de Cannes - En attendant le Palmarès, les hirondelles algériennes se font remarquer à Cannes

par Notre Envoyé Spécial À Cannes : Tewfik Hakem

Le premier long-métrage de Karim Moussaoui, «En attendant les hirondelles» présenté dans le cadre d'Un Certain Regard a été accueilli avec bienveillance par la presse accréditée à Cannes. Mais faut-il pour autant raconter toute l'histoire du film ?

Il semblerait que notre critique du film de Karim Moussaoui «En attendant les hirondelles», publiée dans notre édition d'avant-hier, n'a pas été au goût de certains de nos lecteurs-internautes. Nous aurions, selon eux, négligé «l'essentiel», à savoir «l'histoire du film». Ah l'histoire du film ! Et même les trois histoires du film? c'est toute une histoire justement!

«Votre critique enthousiaste est sympathique, mais à la fin on ne sait pas de quoi parle le film au juste» serait la synthèse des critiques envoyées, certaines sans insultes en guise de conclusion- ce qui est appréciable par les temps qui courent.

Faut-il résumer à chaque fois l'histoire d'un film pour le réduire ainsi à sa note d'intention? Parions que même si on optait pour cette méthode, des gens nous reprocheraient de «spoiler» le film- ce qui n'est pas malin pour ceux qui voudraient aller le voir. Il y a bien sûr une autre manière de s'en sortir, raconter l'histoire, toute l'histoire, rien que l'histoire du film mais en hindi pour que personne ne vienne se plaindre de votre spoilage. Cette méthode dite «Hind O la magnifique» a le défaut de ses qualités et la qualité de ses défauts, mais ne mène nulle part sinon à une fâcheuse fâcherie qui fait que lorsque la méthode Quotidien de Kamel Daoud rencontre la méthode Hind O sur la terrasse d'un hôtel cannois à l'occasion d'une fête célébrant un film algérien, et bien ces deux vielles méthodes ne se disent même pas «Bonsoir». Ce qui permet au passage de signaler une troisième voie à éviter, l'article qui ne s'adresse qu'aux initiés, la critique crypto-cryptée.

Ce n'est pas tout, raconter l'histoire d'un film revient à dire que tout le monde a vu sur l'écran la même chose. Or, jusqu'à preuve du contraire chacun voit midi à sa porte et chaque individu a sa propre vision du film. Cette question est d'ailleurs au centre du dernier et beau film de la japonaise Naomi Kawase «Vers la lumière». Présenté en compétition officielle où semble abonnée son auteure, le film pose la question de notre perception de la lumière, de la crainte de la voir disparaître. Avec dans les rôles principaux un photographe qui perd la vue et- très bonne idée- une jeune femme qui s'échine à trouver les mots justes pour rédiger des textes de description de ce qu'elle voit dans des films à destination des aveugles qui vont au cinéma.«Vers la lumière» de Naomi Kawase nous invite à travers son héroïne à mettre des mots sur ce que l'on voit. Exercice pas toujours évident, mais le film est film inspiré ?

Pour en revenir au film de Karim Moussaoui, plutôt que de tout raconter, disons que le réalisateur a trouvé manière originale d'évoquer à travers trois histoires de la vie quotidienne comment la décennie noire et ses séquelles conditionnent nos comportements d'aujourd'hui. Inutile d'aller plus loin. Au niveau de la réception du film «En attendant les hirondelles» à Cannes, l'enthousiasme de la presse occidentale contraste avec le silence ou les réserves de la presse arabe. «Dévisager l'aveuglement algérien» titre le quotidien Le Monde. Isabelle Regnier qui signe la critique du film parle d' «une radiographie de l'Algérie ¬contemporaine en trois symptômes imbriqués : la corruption généralisée, la toute-puissance du patriarcat et le refoulé de la «sale guerre». Le quotidien de référence français salue une mise en scène sous le signe de François Truffaut: «Dans ce film Karim Moussaoui, 41 ans, donne l'impression d'avoir mis en pratique le principe truffaldien selon lequel le tournage doit se faire contre le scénario, et le montage contre le tournage. Sa mise en scène tend entièrement, de fait, à distendre les mailles de son canevas scénaristique en y injectant de l'oxygène, de la rupture, du rêve, en diluant tout ce qui sur le papier était susceptible de faire discours ? ici dans une décharge sentimentale violente, là dans la fulgurance d'un raccord, dans un interlude chorégraphique décapant, ou encore dans cette manière de terminer le film en y faisant entrer un nouveau personnage, comme si ce cadavre exquis pouvait se poursuivre indéfiniment».

De son côté Luc Chessel du quotidien Libération pour qui le film «mêle réalité sociale pesante et purs moments de grâce», écrit que le film de Karim Moussaoui qui concourt pour la Caméra d'or est « à la fois scolaire et audacieux, le film s'effondre sur lui-même et devient entraînant quand il se tait et nous laisse errer sur le bord de telle ou telle piste». Tout aussi enthousiaste Serge Kaganski des Inrockuptibles écrit ceci: «Epousant la structure du road movie, Moussaoui nous invite à un voyage topographique et politique en Algérie où l'on traverse les villes, banlieues, déserts et villages, les classes sociales, les us et cultures (traditionnelles ou modernes) et les générations. Partout le même constat : ça va mal, mais on s'accroche. Que les difficultés soient d'ordre économique, affectif ou existentiel, chacun oscille entre la résignation et le combat. Moussaoui pose sur ses personnages un regard précis, patient, emphatique et élégiaque, marqué par une belle attention portée aux acteurs, aux lieux, aux silences parlants et aux justes durées. Son style manque peut-être un brin d'originalité et de tranchant, mais ce ?classicisme? tranquille légèrement infusé par l'inquiétude de la modernité procure au spectateur un beau mélange d'émotion et de méditation». De son côté Jordan Mintzer du Hollywood Reporter salue la structure du film, «son atout majeur» et note que même si ça manque de «brillant», son style qui «peut sembler simple fait du bon usage des décors algériens» allant jusqu'à faire le parallèle avec « Au travers des Oliviers» du défunt maître iranien Abbas Kiaorstami.

Rien que ça ? Non, il évoque aussi Léos Carax?

Quelque chose nous dit qu'on n'a pas fini de parler de ce film? Mais que raconte l'histoire du film insiste encore et encore le lecteur de mauvaise foi. Bon, si vous voulez le savoir je ne saurai trop vous recommander l'excellente émission Paso Doble ( franceculture.fr), le grand entretien de l'actualité culturelle pour ceux qui se lèvent tôt où qui podcsatent tard et intelligent. Invité à résumer le propos de son film le réalisateur déclare entre autres ceci: Ce que raconte le film c'est que nous traversons une période où les gens se posent des questions, se demandent ce qu'ils veulent, une période de mutation où beaucoup de choses peuvent arriver? L'Algérie est aujourd'hui un immense laboratoire où les algériens expérimentent?