Celui de là-bas écrit à son frère d'ici. Celui d'ici répond
à celui de là-bas. Ensemble lisons une des deux lettres:
«Ici, nos enfants n'arrivent pas à poursuivre leurs études. On dit qu'un grand
nombre quitte l'école chaque année, sans qualification. Sans diplôme à part
celui de chômeur et de bras cassés par des rêves un peu trop enfantins. On nous
regarde comme des bouches à nourrir. Comme des incapables ! Des parasites qui
vivent aux dépens de la communauté. Ici, on considère que nous faisons trop de
gosses. On s'est mis à nous en enlever. Exactement comme ailleurs parce que les
enlèvements d'enfants ça fait partie des exigences de la modernité. On
installe, on monte et on entretient des réseaux de pédophilie pour punir nos
gosses d'être nés ici. Pour leur faire regretter, et à nous avec, d'être nés
tout court. Et puis, des enfants, ça doit servir à quelque chose. Alors on
s'est mis à inventer un trafic d'organes. Exactement comme ailleurs parce que
le trafic d'organes, ça rappelle les grandes nations et, surtout les grands
réseaux. Des gosses de peuple, c'est fait pour mourir. Pas plus.Ici
et ailleurs, on nous regarde comme on ne regarde plus rien, nulle part.
Des sans droits. Des sans vie. Des non-sens. Et les
non-sens, ça perturbe un peu la quiétude des seigneurs de la terre, qu'ils
soient ici ou ailleurs. Qu'on nous tire une balle à bout portant ou qu'on nous
pousse en dehors de notre emploi et qu'on nous indique le chemin de la
pendaison, c'est pareil. C'est Kif kif !Destinés à être persécutés par les nôtres et les autres,
nous ne demandons pourtant rien de particulièrement difficile. Qu'on nous
oublie ! Qu'on nous laisse en paix ! Une petite paix, comme dit la publicité,
on la vaut bien, n'est-ce pas ?