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L'ambassadeur d'Allemagne, Michael Zenner, au «Le Quotidien d'Oran» et à El Khabar: La règle 51/49, les PME et la migration

par Interview Réalisée Par Ghania Oukazi (Le Quotidien d'Oran) Et Hafidh Soualili (El Khabar)

C'est peut-être parce que fraîchement installé comme ambassadeur à Alger que Michael Zenner a refusé de répondre à des questions qu'il a jugées plus politiques pour ne pas dire polémiques.

Il ne se prononcera ni sur la crise en Syrie, ni au Mali ni en Libye. «Posez la question à mes collègues politiques en Allemagne, » nous a-t-il conseillé. Il élaguera aussi une question sur le projet Desertec à l'apparence pourtant technique.

Et bien qu'il restera diplomate jusqu'au bout des doigts, ses réponses aux questions sur le partenariat et l'investissement laisseront vite comprendre que le climat des affaires en Algérie n'est ni encourageant encore moins favorable notamment pour les PME (allemandes) «qui sont toujours très prudentes.» Sa sentence : «si on reste seulement sur les principes, c'est toujours difficile de coopérer, il faut savoir être flexible.»

El Khabar/ Le Quotidien d'Oran: Vous venez de prendre vos fonctions en tant qu'ambassadeur de la République fédérale d'Allemagne. Avec quel sentiment êtes-vous venu en Algérie ?

Michael Zenner: Je suis arrivé à Alger cet été. Mon impression sur Alger était tout à fait positive.

Cette ville est merveilleuse, il y a plein d'histoire, plein de traditions, on peut se promener, on trouve plein de bâtiments très intéressants et les premiers contacts avec les gens à Alger étaient tout à fait positifs, ils sont très aimables. J'aime être ici.

El K./Q.O: Comment se portent les relations algéro-allemandes ?

M. Zenner: Nos relations sont traditionnellement très étroites et se sont développées de manière très positive. Nous avons des relations très amicales et très intenses à tous les niveaux. L'Algérie est un pays très important sur le plan international pour la stabilité de la région. Le gouvernement algérien a fait beaucoup d'efforts pour trouver une solution aux crises au Mali et en Libye. C'est aussi un pays qui s'engage beaucoup politiquement envers le continent africain. Il est également très important pour nous que nous coordonnons nos efforts pour lutter contre le terrorisme international. Notre coopération dans ce domaine est très étroite.

Nos relations politiques évoluent bien. Le Premier ministre, M. Sellal a effectué une visite en Allemagne en janvier dernier pour un échange de vues avec notre président fédéral et la chancelière sur toutes ces questions.           Le ministre de l'Intérieur allemand est venu en Algérie pour discuter des questions de migration. Notre ministre de la Coopération économique est allé à Tlemcen pour s'informer sur l'Université panafricaine.

Au plan économique, il y a beaucoup d'entreprises allemandes qui sont engagées en Algérie. Notre Institut Goethe a des programmes pour l'enseignement de la langue allemande et aussi pour la présentation de la culture allemande.

La politique culturelle de l'Institut Goethe est une politique de dialogue, ce qui signifie que la culture doit trouver les moyens pour que les pays se connaissent mieux. La culture est très importante pour que les peuples et les pays se comprennent. Il est nécessaire que l'Algérie et l'Allemagne travaillent plus étroitement ensemble pour mieux se comprendre.

S'il y a des problèmes, il faut toujours essayer de leur trouver des solutions pragmatiques. Parce que si on reste seulement sur les principes, c'est toujours difficile de coopérer. Et ceci est valable pour tous les domaines de coopération et de partenariat. Il faut savoir être flexible. C'est mon travail et celui des collègues algériens.

El K./Q.O: Mais s'il y a tant d'engouement, pourquoi les visites d'officiels entre les deux pays restent-elles plutôt d'un niveau faible ?

M.Zenner: Vous pouvez être sûrs qu'ici à l'ambassade, nous déploierons tous les efforts pour que les échanges politiques et dans d'autres domaines se renforcent.

El K./Q.O: Il y a des cadres de coopération multiples, comme le Forum économique ou la Commission mixte mais la coopération économique entre les deux pays reste en deçà des aspirations des deux pays et leurs discours?

M. Zenner: On envisage d'organiser au début de l'année prochaine une réunion de la commission mixte. Je rappelle que notre vice-ministre de l'Économie, de l'Énergie est venu à Alger en septembre dernier pour assister au Forum international de l'Energie. Il a rencontré les ministres algériens des Finances et de l'Énergie ainsi que le Gouverneur de la Banque d'Algérie. Il a aussi discuté des questions sur le commerce et l'échange de marchandises, sur l'investissement. Je pense que l'engagement de l'industrie allemande est très important en Algérie. Si je regarde les chiffres, l'Allemagne est toujours classé 5ème fournisseur de l'Algérie, nos investissements sont aussi importants particulièrement dans l'industrie automobile, la chimie et le secteur des hydrocarbures.

El K./Q.O: Vous confirmez la présence en Algérie de plus de 200 entreprises allemandes ?

M. Zenner: Oui, je salue l'engagement d'un si grand nombre d'entreprises allemandes, certaines dans l'investissement et d'autres dans le commerce.

El K./Q.O: Lors de la visite de M. Sellal à Berlin, il était question de signature de près d'une trentaine de contrats entre les hommes d'affaires. Qu'en est-il concrètement ?

M. Zenner: Ils sont en voie de réalisation.

El K./Q.O: Beaucoup de pays sont dérangés par la règle 51/49. Serait-il le cas de l'Allemagne ?

M. Zenner: Si on veut avoir des investissements étrangers, il faut trouver les règles et les conditions qui encouragent les entreprises de venir. Il est clair que pour les grandes entreprises, c'est un peu plus facile de se déplacer parce qu'elles ont les moyens de faire les analyses et les projections qu'il faut.

Mais pour les PME, elles n'ont pas tellement de personnel qui les aide à comprendre l'environnement d'investissement. Il faut savoir que le succès économique de l'Allemagne dépend des PME. Elles sont très souvent très innovatrices et travaillent très étroitement avec les universités et les grandes entreprises. Si, par exemple, on veut renforcer la chaîne de la valeur ajoutée, on sollicite certes les grandes entreprises mais aussi et surtout les PME.

El K./Q.O: Pourriez-vous nous préciser les raisons qui font que l'Algérie ne voit toujours pas venir les PME allemandes ?

M.Zenner: Justement, c'est une question d'un environnement d'affaires favorable. Comme je l'ai dit, les PME sont toujours très prudentes.

El K./Q.O: Pourtant l'appréciation d'Hermès du «risque Algérie» n'est pas très négative ?

M. Zenner: L'évaluation d'Hermès est pour le commerce seulement.     Pour ce qui est de l'investissement, on doit reconnaître que la diversification de l'économie voulue et recherchée par le gouvernement algérien est très encourageante pour les entreprises allemandes et autres étrangères pour s'engager en Algérie.

El K./Q.O: Des success stories comme le partenariat avec Henkel n'ont-elles pas donné de l'impulsion à d'autres entreprises allemandes pour venir investir en Algérie ?

M. Zenner: Je pense que oui. Notre Chambre de commerce en Algérie joue aussi un rôle très important pour établir des contacts entre Algériens et Allemands et pour conseiller les entreprises allemandes qui s'intéressent au marché algérien.

El K./Q.O: L'Algérie et l'Allemagne ont signé une déclaration d'intention commune pour un partenariat énergétique. Comment se traduit-elle concrètement sur le terrain ?

M. Zenner: Elle a été signée l'année dernière et les premières rencontres sur le sujet ont eu lieu au début de l'année en cours, au mois de mars.

El K./Q.O: Un haut comité de pilotage devait être créé à cet effet et se réunir une fois par an pour en évaluer les actions. Où en est-il ?

M. Zenner: Nous sommes en train de l'installer. Je crois que lors de sa venue en septembre dernier à Alger, notre vice-ministre de l'Économie, de l'Énergie en a discuté avec ses homologues algériens. Mais je le répète, je pense que les Etats peuvent seulement tracer le cadre pour les projets. Et ce sont les entreprises privées qui doivent saisir l'opportunité d'investir ou de développer le commerce. Ce qui signifie qu'il est très important pour nos deux pays de créer un cadre positif pour que les entreprises du secteur privé soient encouragées de s'engager.

El K./Q.O: Ce qui n'est pas encore le cas?

M. Zenner: Nous avons déjà des projets dans le sud algérien dans le secteur des hydrocarbures, d'autres sont prévus pour développer les énergies solaires. Nous sommes en train de négocier un contrat sur la construction dans le sud algérien d'une tour solaire pour la production de l'électricité.

El K./Q.O: Pourriez-vous nous dire dans quelle région précisément?

M. Zenner: Dans la région de Ghardaïa.

El K./Q.O: Le contrat est-il en voie d'être conclu?

M.Zenner: Oui, ce sont les dernières étapes des négociations.

El K./Q.O: Qu'en est-il de la coopération sécuritaire entre les deux pays, en matière de vente d'équipements allemands à l'Algérie, de lutte anti-terroriste?

M. Zenner: La coopération dans la lutte contre le terrorisme international est très importante. Tous les Etats doivent coopérer dans ce domaine parce que c'est un danger qui nous menace tous.

El K./Q.O: L'Allemagne tenait à expulser des Algériens après les tristes événements de Cologne. Où en est cette tragique affaire?

M. Zenner: Le dossier est entre les mains de la justice. Mais nous sommes en train d'avoir un échange de vues sur le dossier de migration clandestine dans son ensemble. Ce sont près de 20 000 Algériens qui résident légalement en Allemagne. Mais il y a un problème de migration illégale qu'il faut régler. Dans les discussions internes en Allemagne, c'est nécessaire de trouver des solutions à ces problèmes. Si on estime qu'il est important d'aider des réfugiés parce qu'ils sont menacés par les guerres dans leurs pays, ceux qui n'ont pas de permis de séjour doivent retourner chez eux.

El K./Q.O: La nouvelle politique étrangère de Mme Angela Merkel en faveur des réfugiés notamment syriens, ne semble pas plaire à tous les partis politiques allemands en ces temps d'élections. Qu'est-ce qui lui est reproché ?

M.Zenner: C'est un principe de notre pays et de notre constitution d'aider des personnes persécutées dans leur pays pour des raisons politiques ou menacées par les guerres. Mais il faut faire la distinction entre les réfugiés politiques et la migration illégale.

El K. / Q.O: En tant qu'ancien responsable à l'Union européenne, ne pensez-vous pas que l'Union nécessite une réforme approfondie notamment après le pénalisant Brexit ?

M. Zenner: Je pense que nous avons franchi une grande étape avec le Traité de Lisbonne. Nous sommes dans un processus d'intégration, c'est clair qu'on doit trouver des solutions aux nouveaux défis.

Il est très important que l'Union européenne s'intègre de plus en plus parce que nous vivons dans un monde global et que nous devons coopérer étroitement. Je pense que l'Union européenne est la réponse de l'Europe à tous les défis globaux qui se posent à nous dans tous les domaines, et pour cela, son histoire est en constante évolution.

El K. / Q.O: La révision de l'espace Schengen ne serait-elle pas à l'ordre du jour notamment depuis que les attentats terroristes notamment en France ont poussé certains pays à avancer l'idée d'un retour aux frontières nationales ?

M. Zenner: Non, je ne le pense pas parce que dans le système Schengen, on peut faire des exceptions pour des situations exceptionnelles sans pour autant toucher à l'accord de base. Le principe de cet espace est d'une part, de réduire les contrôles frontaliers, et d'autre part, d'intensifier la coopération entre les polices et renforcer les contrôles à l'extérieur de l'Union.

El K./ Q.O: Que faudrait-il faire pour profiter de la riche culture allemande qui reste très timide en Algérie ?

M. Zenner: L'idée est d'améliorer le travail de l'Institut Goethe qui donne des cours de langue allemande aux Algériens. Nous participons à la foire du livre, le SILA d'Alger, nous allons participer au prochain Festival européen et au Festival international de musique symphonique prévu à la fin de l'année. Nous avons aussi l'Institut allemand d'archéologie qui est très actif ici dans la protection et la préservation des vestiges archéologiques. Nous avons le DAAD, le service des échanges académiques, qui a prévu d'envoyer des lecteurs (professeurs) d'université dans les départements d'Allemand des universités algériennes. Justement, la directrice régionale du DAAD était à Alger la semaine dernière pour faire passer des concours à des post-gradués. Il est question d'octroi de bourses à des étudiants algériens dans des universités allemandes. Nous avons l'intention de développer plus d'activités culturelles possibles en Algérie.

El K./Q.O: Nous croyons savoir que votre premier déplacement en Algérie est prévu ce mois de novembre à Oran. Quel sera votre programme à cette occasion?

M. Zenner: A l'occasion de la commémoration de l'armistice qui a mis fin à la Première Guerre mondiale en 1918, je déposerai une gerbe de fleurs en hommage aux morts et cela avec l'ambassadeur de France.