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Pipo

par El-Guellil

Depuis des lustres, il fait dans la lustrerie. Pipo. C'est comme ça qu'on le surnomme. Mais ce n'est pas du pipo. Il est lucide surtout quand il commence à faire de la prose avec ses verres, le coude planté sur le comptoir de la convivialité.

Du temps où la moustache faisait d'un homme un homme, me disait-il, quand la rigueur et la loyauté, la décence et la vertu, le respect et l'honorabilité, se résumaient dans un seul regard, ma grand'mère retrouvait sa dimension de femme dans une plénitude affichée. Quand le grincement des chaussures annonçait l'homme, les pinailleries féminines cessaient pour que la dignité humaine retrouve ses apparats, dans une ambiance étrange mêlée d'un curieux mélange fait d'humilité et de circonspection. De complicité et d'égalité.

Mais voilà ! Ma grand'mère n'est plus de ce monde et les chaussures, contrairement au temps passé, se font discrètes, et à l'image de l'homme, elles s'accommodent de synthétique. Il ne reste plus que la moustache pour faire l'homme. Une moustache qui ne tient que grâce à la gomina.

Cependant, si la moustache suffisait à faire des hommes et si cette attribution divine arrivait à elle seule à nous rendre hommes, nous ne serions plus entourés que par des hommes, et le monde serait autrement plus digne et plus noble, à l'image des vrais hommes. Faits par des femmes vraies.

A l'ère de la chose synthétique, malheureusement, les hommes se contentent d'être à l'image des choses, et les choses, à l'image de la moustache, n'ont jamais fait d'un homme un homme. Rasez-vous, vous n'avez même plus la possibilité de raser les murs, car ceux de ma ville vous ont vu arriver, vous connaissent et vous vomissent!