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La peine capitale : la religion est pour ? Alors ceux-là sont contre

par Abdelhamid Charif

Bien conçu et protégé, le siège initial de la première instance des droits de l'homme, c'est la coupole de la tête. Toutefois, après des siècles de progrès, les défenses désœuvrées se sont relâchées et, selon le diagnostic alarmant de Jules Payot, l'immunodéficience épidémique fait désormais des dégâts aussi imperceptibles que ravageurs: «La plupart attrapent une opinion comme on attrape la rougeole, par contagion.»

Que s'est-il donc passé et d'où vient la précarité neuro-cérébrale ? Faut-il multiplier les hospices et dispensaires, ou bien doit-on fermer les pouponnières des germes de l'oisiveté intellectuelle ?

De nos jours, les ligues et divisions des droits de l'homme, c'est pléthorique. Et dans toutes les directions. Parallèles, perpendiculaires, opposées, sinon zigzagantes ou circulaires. La référence internationale inculque la tolérance sublime et l'éminence civilisationnelle, célébrant ce que nos ancêtres s'interdisaient. Et en venant à bout des dernières poches de résistance, avec la bisexualité et le mariage pour tous, on se débarrassera des traces résiduelles de l'inhumanisme et barbarie. Et qui d'autres, à part les heureux élus accédant à la transcendance, seront alors habilités à parler de justice et de droit, ou diagnostiquer un déficit en équité et en logique ?

Pourtant, une manière fiable d'estimer les préjudices cartésiens, en revisitant les mathématiques modernes et les ensembles à peu près vides, consisterait à tester ces élites éclairantes, en demandant l'opposé logique de cette proposition : « Tous les Algériens sont des membres fondateurs de toutes les organisations des droits de l'homme, (sauf la première) », l'option entre parenthèses servant à départager les ex-æquo.

Qui empêche donc l'Algérie d'abolir la peine capitale et recourir aux exécutions extrajudiciaires intelligentes ? Sans oublier les dommages collatéraux pédagogiques. Allons enfants de la patrie, protégeons la justice de l'intégrisme ! Trouvons les tueurs de Nihal et des autres enfants, abattons-les sur place, et tout le monde sera ainsi soulagé et satisfait !

Désolé, mais je ne trouve ni mieux, ni pire, pour vomir une déception profonde ! Mes excuses et hommages sincères vont aux chevaliers de l'ombre qui combattent l'injustice et défendent le droit, quels que soient les oppresseurs et les victimes. Ces militants authentiques, hommes ou femmes, œuvrent dans l'anonymat et ne cherchent aucune gloire, même si certains se retrouvent malgré eux sous les feux de la rampe. A ceux-là, j'adresse le message suivant : en dehors des exceptions, dont chacun établira la liste selon sa doctrine ou sa croyance, l'humanité ne sera jamais aussi redevable qu'envers la petite armée de soldats inconnus que vous formez.

Mais si une chose doit sauter aux yeux de tout observateur averti, c'est que les droits de l'homme brassent large, avec beaucoup de «men habba wa dabba». Pour certains, cela aide à camoufler ou soulager des culpabilités, et pour d'autres c'est une arme en vogue, au service d'une idéologie combattant des valeurs auxquelles la société s'accroche obstinément.

La peine capitale et les droits de l'homme

L'augmentation inquiétante et sans précédent des enlèvements et crimes sur enfants, remet le débat sur la peine capitale au goût du jour, la volonté populaire exigeant son retour. Tout en affichant de la compassion envers les familles des victimes, certains gardiens de la conscience humaine s'y opposent farouchement en donnant l'impression d'être rassurés, du haut de leur intellect, que cela n'arrive qu'aux autres. Paradoxalement, c'est la religion qui fournit l'argumentation des uns et des autres. Craindre les erreurs judiciaires et les abus est tout à fait justifié et louable, notamment sous des régimes illégitimes ; la suspension de la peine de mort devant même être exigée dans ce cas. Mais s'opposer frontalement et par principe à ce verdict divin est très lourd de responsabilité. Pour une certaine élite, les œillères de l'irréligion ne se contentent plus d'être une source d'inspiration, mais sont en train de s'ériger en discipline philosophique à part entière. Que restera-t-il alors de musulman chez un musulman ?

«Wa lakoum fi al-kissassi hayatoun ya ouli al-albabi, laâallakoum tattakoun»

«C'est dans le talion que vous aurez la préservation de la vie, ô vous doués d'intelligence, ainsi atteindrez-vous la piété », Coran 2/179.

Impossible d'éviter des pertes dans la traduction de versets aussi éloquents et vivifiants. Et forcément peu de chance de réanimer des âmes ayant délaissé le Coran, affichant mépris et hostilité envers ses directives et jugeant cruelle la Chariâa du Créateur Le plus Miséricordieux.

Sur la base même de l'esprit fondateur de la déclaration des droits de l'homme, le premier article est nul et non avenu. Les êtres humains ne naissent pas du tout égaux, et la femme n'arrive toujours pas à passer le témoin de la grossesse à son mari. Ces «inégalités» et bien d'autres sont fermement installées dans la durée. Rien n'est plus absurde que d'imaginer l'égalité des humains et des sexes, en dehors de l'examen sanctionnant, assigné par qui de droit, avec des missions et contraintes, aussi différentes qu'équitables.

Philosopher sur les droits des créatures sans référer à ceux du Créateur n'est qu'un égarement parmi tant d'autres. La plus grave entorse aux droits humains, c'est de nier les bêtises et errances des personnes brillantes, sans compter leurs lâchetés, crimes et trahisons. Et l'injustice implicite qui en découle est la perte du droit de faire confiance aux dirigeants et aux élites. Certains des plus fervents défenseurs des droits de l'homme sont ceux qui violent le plus ceux de Dieu. Et avec leur définition de ces droits, ils ne font qu'encourager la tyrannie qu'ils dénoncent, en occultant et dédouanant sa responsabilité essentielle, devant le Créateur.

L'abolitionnisme, des lumières ou des ténèbres ?

De grands philosophes et intellectuels, dont l'illustre Victor Hugo, plaidant l'abolition de la peine capitale, jugée comme « un signe spécial et éternel de la barbarie », ont semble-t-il démontré, mais en tout cas convaincu beaucoup de législateurs, que la condamnation à mort augmente la pulsion meurtrière des criminels, comme un défi à l'interdit. Qui trouverait à redire ?

On suppose que ces penseurs n'ont pas testé la prison, mais qu'ils ont appris des concernés qu'elle n'excite pas suffisamment leurs pulsions ; à moins que, loin d'être une punition sanctionnant un interdit, il s'agisse plutôt d'un repos du guerrier que les criminels préféreraient à la liberté.

Dans les joutes et impasses d'absurdité de haute voltige, on ne décolère pas aisément, et chaque partie peut recourir à un traitement de choc. Le fair-play peut alors en pâtir, comme lorsqu'on fait inélégamment appel à une vieille subroutine de blague osée d'un ami polytechnicien.

C'est l'histoire d'un paysan qui, après de multiples interventions et explications rassurantes sur la déontologie médicale irréprochable, a fini par accepter de prendre sa femme très malade pour une consultation en ville. « Sobhane Allah ?! S'il ne s'agissait pas d'un médecin, j'aurais juré qu'il est en train d'abuser d'elle ». C'est ainsi que s'est étonné le bédouin en observant, à travers le trou de la serrure, le déroulement explicite de son traumatisme existentiel.

En espérant trouver mieux, ce joker indécent choque, mais donne à réfléchir. Sobhane Allah ?! Si ce n'était pas le Cheikh Flen, j'aurais décrété que c'est de la trahison ! Victor Hugo est pour l'abolitionnisme ? C'est donc tranché CQFD !

La peur des abus et des erreurs judiciaires

La justice est la pierre angulaire de la gouvernance, et le critère fondamental de la légitimité de tout régime politique. La dictature n'a besoin d'aucun article du code pénal pour commettre des exactions extrajudiciaires, et instrumentaliser la justice afin de cautionner ses crimes. La peine capitale est dans ce cas réservée essentiellement aux adversaires politiques, et les auteurs des crimes de droit commun sont libérés pour laisser la place aux détenus d'opinion. L'adoption par l'Algérie en 1993 du moratoire suspendant la peine capitale n'est qu'un petit sursaut de conscience de la part des aventuristes qui avaient ouvert les portes de la terreur. Certains de nos journalistes - à la fois démocrates dans le sang, fervents abolitionnistes, et éradicateurs incurables- n'arrivent pas à cacher leurs déceptions sur le timing qui a tant profité aux islamistes condamnés à mort.

Les sanctions du code pénal musulman ne laissent aucune place au doute. Ce dernier profite toujours aux coupables. Pour éviter tout risque de condamner un innocent, on disculpe tous les suspects, y compris les coupables. Et dans le doute, ce n'est pas une peine réduite qui est prononcée, mais la relaxe tout simplement.

Le 4ème Calife Ali a esté en justice un Juif (chrétien selon une version) qui a volé son bouclier. Le juge demande au plaignant de fournir une preuve. Echouant de le faire et voyant le témoignage de son propre fils rejeté, le Commandeur des croyants sort bredouille et le suspect relaxé. La suite est que ce dernier, reconnaissant « la justice des prophètes », retourne immédiatement rendre l'objet à son propriétaire en prononçant la chahada, et le Calife de le lui offrir alors en cadeau.

Certains crimes sont commis dans des circonstances spéciales et touchent essentiellement deux familles. Si celle de la victime accepte sans pression et après compensation matérielle, de pardonner, alors le coupable, sauvé in extremis et redevable à jamais, rentre directement chez lui ; il n'a pas besoin de séjour en prison pour savoir ce qu'est une réhabilitation ou une nouvelle vie.

La peine capitale made in USA

Certains Etats des USA continuent d'appliquer la peine capitale. Inutile de dire que cela torpille les argumentations basées sur de prétendues pressions internationales. En Amérique, première puissance mondiale, beaucoup de choses sortent de l'ordinaire et parfois démesurément. Le port d'armes est permis, les erreurs judiciaires ne sont pas rares, et des innocents sont parfois exécutés. La justice dans ce pays de droit est indéniablement libre, et même le Président, l'homme le plus puisant au monde, peut-être malmené et jugé pour une simple affaire. Toutefois, pour des raisons culturelles incontrôlables, même si elle demeure au-dessus de tous, cette justice descend parfois en dessous de zéro. Les tribunaux se transforment alors en des arènes de pugilats entre les réputations et éloquences des avocats, et il arrive que les rôles des juges soient neutralisés par les membres du jury sous influence.

Il y a quelques années, la star mondiale, Michael Jackson, fut attaquée en justice par une famille pour des actes de pédophilie sur leur enfant mineur. Toute la planète était convaincue de la culpabilité du chanteur, à l'exception de ses fans, soit environ deux tiers de l'humanité. Forcément, les membres du jury ont trouvé beaucoup de choses à reprocher à la famille plaignante et ont blanchi leur idole, devant un juge impuissant. Des années après la mort quasi-suicidaire de l'artiste, certains n'hésitent plus à tirer avec indécence sur sa tombe, en faisant des révélations scandaleuses.

L'Arabie saoudite, la peine capitale, et pire en reniant les affinités

Les musulmans sont en droit d'attendre beaucoup du pays, berceau de leur religion, et certains critiques ne manquent pas de pertinence. Toutefois, même sans la peine de mort, l'Arabie saoudite n'échapperait pas aux dénigrements de certains détracteurs qui jugent irrecevable ce genre de rappel : « Exalter les rites sacrés d'Allah se puise de la piété des cœurs. »

Qu'elle applique ces préceptes excessivement, insuffisamment, ou hypocritement, l'Arabie ne subit pas de pression concernant ses intouchables culturels. Alors, ces contraintes extérieures, relatives à la peine capitale, évoquées sans cesse chez nous, sont-elles authentiques et émanant d'organismes internationaux ? Ne s'agit-il pas plutôt d'une pâle production nationale avec le faux label «Made in Germany», pour mieux écouler la marchandise ? Accuser l'Arabie, jouissant de meilleurs relations avec l'Occident, d'être le valet des USA, ou d'exporter ses fanatismes vers l'Algérie, serait plus sagace si l'on s'assurait au préalable que « l'amitié avec la France » est d'égal à égal, et que les réformes de l'Education ne sont pas « Made in Algérie française ».

Revenons à la peine capitale. Les statistiques pourraient rapprocher, ne serait-ce que les constats. Mais je n'en dispose hélas que de peu. L'Algérien n'a pas besoin de chiffres pour sentir l'insécurité causée par la criminalité galopante. L'opacité sur les crimes économiques n'est pas surprenante, et seuls les services de gendarmerie et de police livrent des bilans réguliers de leurs activités. On apprend ainsi qu'il y a environ 700 crimes et délits par jour (1), dont un viol sur femme et un autre sur enfant. Le nombre de meurtres est de plusieurs centaines par année, et qu'en deux mois seulement, juin et juillet 2015, il y a eu 107 assassinats (2).

La hausse de la criminalité, d'une atrocité jusque-là inconnue, est attribuée à la décennie noire, et le banditisme est lié à la débauche sociale (1). Laquelle débauche ne peut pas être dissociée de la stratégie aventuriste. Craignant de voir les préceptes de l'islam respectés davantage, on a sauvé le pays par un putsch, et tout fait pour modérer la religiosité et la parasiter, à coups de remises en cause irritantes. Qui sème l'immoralité, récolte le radicalisme et la perversion, ainsi que la criminalité collatérale. La décennie noire n'est pas la seule coupable. La période des vaches grasses qui a suivi, a dopé la rente à des niveaux sans précédent, au nom de la légitimité du retour de la paix. Il n'est pas exclu que la postérité accorde certaines circonstances atténuantes aux responsables de la crise ayant fait plus de 200.000 victimes, car ils se sont aventurés dans un bourbier instable, sans visiblement avoir la capacité d'en sortir. Et jugera plus abominable la responsabilité de ceux qui butinent froidement les richesses du pays, et hypothèquent l'avenir des générations. Sans oublier que certains ont agrippé les deux embarcations.

En Arabie où le trafic de drogue est aussi passible de la peine capitale, le nombre d'exécutions en 2011, est de 26 selon les sources officielles, et 79 selon Amnesty. Il est passé à 157 en 2015 (3). En dépit des insuffisances réelles et des dénigrements subjectifs, l'Arabie saoudite est le pays le plus serein à y vivre, sans risques d'agressions, vols, ou même d'entendre des propos déplacés. La sécurité et la quiétude sont bien meilleures que dans les pays produisant les rapports tendancieux. Paradoxalement, c'est surtout à La Mecque qu'il y a des vols, à cause des millions de visiteurs, dont une partie en situation irrégulière. L'Islam est dissuasif par éducation. Il n'y a pas de mutilés, à l'exception des handicapés venant d'Afrique, et s'adonnant à l'aumône dans les Lieux saints. L'Arabie est bien mieux structurée et développée que ne veulent l'admettre ceux qui refusent de voir, tout en regardant d'en haut avec mépris. En dépit des lois et traditions parfois injustes, le nombre moyen d'expatriés convertis à l'islam est de 164 par jour (4). Même les Occidentaux reconnaissent des avantages spécifiques à ce pays. Un ingénieur français affirme que lui et ses collègues apprécient beaucoup leur séjour en Arabie, et leurs épouses davantage. Celles qui ne travaillent pas, réclament de droit, comme les Saoudiennes, une partie du salaire du mari, et « quand elles s'adonnent au plaisir favori des courses, elles sont rassurées que leurs hommes ne peuvent pas faire de bêtises ».

N'est-il pas légitime d'aspirer dans un pays musulman à ce que les rites sacrés, à défaut d'être respectés, ne soient pas remis en cause, préservant ainsi tant d'énergie pour plus constructif ?

Le choix civilisationnel marque profondément le destin de l'individu et de sa nation, comme le notait Bennabi. L'enjeu est inestimable mais n'est pas facile à assumer. A prendre ou à laisser. Le destin du peuple algérien a été amarré par nos ancêtres amazighs à une nation bâtie par un prophète arabe. Et chercher plus d'affinités culturelles en dehors de cette sphère est, à ne pas s'y méprendre, une dissidence de rupture. Je suis d'avis, moi aussi, que le potentiel intellectuel algérien est plus étoffé. Mais il est hélas loin d'être plus prometteur. Arriverons-nous un jour à associer notre énergie et l'orienter avec plénitude vers plus serein et plus utile ? Il faudrait pour cela s'arracher de la spirale des dénégations et remises en cause destructives, et réinventer ce glorieux peuple musulman, amazigh, pas forcément arabe, mais résolument non anti-arabe.

Références :

1- http://www.echoroukonline.com/ara/articles/218990.html

2- http://magoturf.over-blog.com/2015/08/algerie-107-crimes-en-deux-mois.html

3- https://en.wikipedia.org/wiki/Capital_punishment_in_Saudi_Arabia

4- http://www.arabnews.com/node/956686/saudi-arabia