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La révolte des maquisards

par El Yazid Dib

Ils n'ont pas repris les armes, juste une plume et quelques signatures. Pas de révolution en vue, juste une révolte à la mesure de l'heure et de leur Front.

Ce n'est pas le départ de Saadani qui fait l'enjeu d'une actualité politique à multiples soubresauts. C'est carrément autre chose. Un avenir. C'est son parti qui subit les contrecoups d'une probable décrépitude et souffre d'une incertitude compromettante pour ses proches lendemains. Le mal y est, cette fois-ci non pas dans les trippes de l'appareil mais dans la précarité du projet qu'il semble ne plus porter.

L'homme n'affiche pas une autonomie personnelle de vouloir à lui seul malgré les assurances qu'il tente de donner de temps à autre. S'il tire parfois sur une cible et qu'elle tombe c'est là un signe d'une mission accomplie et non pas d'une force d'action.

Faisant de la sorte annihiler la volonté chevaleresque qui devrait le caractériser en tant que chef d'un parti plus fort qu'un Etat, il n'aurait fait qu'accentuer les divergences d'amour au lieu de les rassembler. La purge des avis contraires n'a jamais été une disparition de positions. Dans ces situations, tout le monde sait que la lutte n'est forcement pas celle uniquement à mener dans un cadre organisationnel. Sinon, à l'origine, ce même parti s'est constitué en pleine illégalité. Ainsi, s'il était rebelle et illicite au sens de l'occupant, il avait la plénitude de la légitimité populaire. C'était le peuple algérien, ces masses opprimées, abattues avec en priorité les membres les plus démunis, ceux qui ne connaissaient pas les salons feutrés d'El Aurassi ou de Mazagran , qui avaient eu à le porter par le fer, le sang et le martyre. Ils n'avaient à aucun moment penser que viendra un moment où des gens munis de billets de banque douteux, de trésors suspicieux, d'audace et d'impudeur auront à s'accaparer pour des fauteuils dorés de cet immense sentiment national impérissable tout de même.

Quand la musique est finie, descendre de scène est un salut

C'est ainsi que sans attention et sans considération aux autres, la longévité dans un poste présume un quasi-holdup et incite fatalement à la naissance des redresseurs. Le gratin du bon tempérament ne se découvre-t-il pas dans le mode du bon jugement et de la compréhension de l'alternative politique ? Quand la musique tend à s'amenuiser et ses mélodies se flétrissent, il n'est plus conseillé de rester en scène et surtout de parachever ses élans de hanche ou d'accélérer ses danses. Partir, descendre au moins sous des applaudissements quoique finissants serait une sortie honorable. Le rideau finira toujours par tomber quand la messe est dite et l'existence finira par faire achever tout ce qu'elle a commencé. Si dans une administration où le pouvoir discrétionnaire est là pour nommer et dégommer, l'on s'exécute à l'ordre émis sans rechigner, dans un parti ce pouvoir est dévolu au principe du centralisme démocratique. Tout doit être l'émanation de la base, socle axial de l'essence politique de toute organisation partisane. Ainsi il ne faudrait pas tuer un avis contraire, ni assassiner son diseur. Un avis ne peut être combattu que par un avis. Comme il faudrait s'interdire de faire déguerpir ceux qui dans une salle de spectacle n'applaudissent le mauvais rôle d'un danseur. A charge pour ce danseur de savoir choisir le tempo idéal pour lâcher prise de scène sourire en lèvres, le cœur aigri.

Héritiers authentiques et affairistes impurs

Le sens politique de ceux qui ne vivent que par la fable, les rapports et la carte du parti, ne sera assurément plus capable de pouvoir créer une impulsion nouvelle à l'effet de rendre au parti ses étoiles perdues. Plusieurs voix commencent à se hisser au firmament des cieux pour lancer en ultime appel, un cri tendant à secourir ce qui reste comme patrimoine commun. Il est difficile pour eux, ceux qui l'on vu naitre, l'ont des années durant renforcé, revigoré, de se permettre un silence qu'ils jugent criminel. Ces « héritiers et copropriétaires » vexés par les coups de boutoir brusques et répétés tendant à leur expropriation, sont unanimes pour passer à un autre stade révolutionnaire. Il ne peut, ce parti demeurer, croient-ils prisonnier de quelques gens en mal de postes ou de considérations sociopolitiques. Le rétablissement de sa philosophie comme parti de masse et non de bourgeois serait une question d'avis trop controversés. A voir ces gens adipeux à la bedaine enclavée entre plusieurs repas, ces chéquiers ambulants, ces sans scrupules, il y a lieu de se dire que le parti n'est plus à l'avant-garde. Il ressemble à un forum de grands patrons. Un autel de festins et de préséances.

Ces trois initiales séquestrées par des autocrates autoproclamés et des néo-dinosaures à leur sens est une déviation historique. Une grave entorse aux fondements institutionnels de la nation, de son histoire et de son lourd sacrifice. Le parti est entre les serres «des prévaricateurs et trafiquants de tous poils, conglomérés autour d'un secrétaire général, tiré d'un marigot grouillant d'affairistes et de mercantis moralement impurs, socialement indélicats, économiquement véreux et politiquement immoraux», lit-on dans une lettre de dénonciation publique rédigée par des moudjahidines. Il reste exemplaire encore de pouvoir enregistrer avec harassement que même avec l'apparition, d'ailleurs rentable d'autres groupements politiques, le PFLN garde à prescrire une caste au nom d'une légitimité, non plus historique mais cupide, friquée et audacieuse. L'opportunisme est manufacturé grâce à l'octroi d'une carte d'adhésion. La lutte n'apparaît qu'autour de l'échéance de vote qui fera, croit-on toujours savoir, des hommes publics pour ceux qui ne sont que de quelconques noms communs. Que de personnes notoirement inconnues n'ont-elles été rendues grandiloquentes et parfois indispensables ?

Le Front d?hier, le Parti d'aujourd'hui

Une fois le pays libre, le Front allait vers d'autres combats plus attrayants. Les grandes taches de l'édification nationale. C'était un temps où l'engagement politique ne variait nullement de l'ardeur à pouvoir continuer la révolution autrement et sur d'autres fronts. L'école, la campagne, la rue, l'usine et tout espace de la vie active ne pouvait être extrait à un militantisme qui ne cesse de déborder jusqu'aux fins de tous les rouages institutionnels. L'enrichissement n'était qu'un esprit de petite bourgeoisie à combattre mais qui commençait déjà ses moisissures dans les faits tout étant éloigné des parois du discours officiel. Tout le monde, l'affiliait-on aux classes laborieuses au moment où un autre petit monde entamait ses balbutiements vers une classe qui sera supérieure, nantie avec beaucoup d'investissements et de prêts bancaires.

Arrivé à ce stade, l'on sent qu'un profond malaise triture les entrailles du parti. Il n'est dit que Saadani va de son derechef disparaitre. L'obéissance à de simples regards ou à la levée du p'tit doigt va venir pour corroborer le désir de l'un et l'ardeur des autres. Lui, estime se prolonger dans la clameur des uns et l'impartialité des autres. Il croit également en faisant fi de toutes ces manifestations d'hostilités, qu'il est en présence de jaloux, de revanchards et de repreneurs d'affaires. Il oublie ou prétend le faire cependant que chez ces gens là , du moins les quelques signataires , il ne s'agit pas de rang plus qu'il est question de responsabilité et de positon. En fait, l'évidence nous démontre que rien ne se fait sans rien. Le propre d'un engrenage c'est que chaque étape provoque son corolaire et à chaque réaction, une action comme origine.

De Benboulaid à Saadani

Au début il y avait de l'engagement, de l'inédit, et les grandes amours de la patrie. Maintenant c'est l'usuel, les affaires et les grandes désillusions. Pas de mesures ni de comparaisons communes entre les deux. Chacun d'eux est venu dans une époque donnée. Chacun d'eux à une spécificité particulière. Les conditions de l'un ne sont plus celles de l'autre. L'un est un idéal national pérenne, l'autre est une conjoncture actuelle. Un hasard présumé. Personne ne disait mauvais mot sur Mostefa, sur l'autre l'on dit des mots, des mots et des maux. Enfin la comparaison n'est pas individuelle, elle ne peut se faire car elle se veut juste à un plan organique. Benboulaid, ses compagnons et tous les leaders de la révolution n'y voyaient là qu'un outil politique d'unification à même de faire taire l'interminable brouille qui a emmaillé les luttes locales, les insurrections rurales et les révolutions sporadiques. L'heure n'était qu'à la fermeté de décision. C'est en l'espace de 7 ans mus par la cruauté vécue et le calvaire consenti que l'objectif fût atteint. De 1954 à 1962 le FLN a gagné l'une des guerres les plus meurtrières où l'inégalité des moyens ne fléchissait personne. Il a cimenté les parois du peuple. Quelques temps après, au nom d'une certaine démocratie et en quelques maigres années, l'autre a réussi là où les forces anti nationalistes ont échoué. Secouer la fibre originelle, accroitre les bouderies et favoriser le jet de l'opprobre sur l'un des plus grands partis libérateur connu. Il se peut que Saadani ait à argumenter à sa décharge que les défis déterminants ayant émaillé ses mandats n'étaient pas aussi aisés à relever. Les enjeux étaient certes importants, mais de là à exclure tous les autres de leur patriotisme n'est qu'une fausse modestie qui n'a plus droit de cité. Le nationalisme n'est plus le monopole de Saadani ni de son parti. Tous les algériens, leurs camarades étrangers, leurs allies ont le droit le plus solennel d'aimer l'Algérie et de défendre les nobles idéaux de la révolution de novembre. Si Mostefa Benboulaid savait ce qu'il adviendra de ce prestigieux front, s'il avait à discuter sur le projet que portent certains de ses dirigeants actuels, sur les comportements fratricides des deux camps , sur les binationaux et l'acharnement qu'ils font, sur les doléances pécuniaires des députés et les vœux pensionnaires des sénateurs, sur les immeubles de Neuilly et les comptes off-shore, sur l'argent politique et l'achat de sièges, sur les queues devant les consulats français et les visas de privilège ?je ne peux imaginer son réveil devant de telles grosses désolations. Que sa pieuse et pure âme m'excuse de l'avoir trainée par ces lignes dans ces gabegies de fin de cycle.

Frères ennemis

Les protagonistes qui s'entretuent à coup de communiqués ou à l'ombre des hauteurs d'Alger n'agissent pas pour l'intérêt du parti et clament chacun dans ses tranchées que cet intérêt ne s'arrête pas à une personne. Chacun croit avoir logique alors que la déraison est largement partagée. Ils cultivent la division quand l'histoire prône à tout jamais la convergence dans une diversité d'avis. Avec un quasi-personnel professionnel le parti n'ira pas vers le fond pédagogique de la démarche qu'il semble tout le temps préconiser. Il ne subsistera, à peine de révolution intra-muros, qu'une machine de combines dans les mains de néo-caciques et de groupes exclusivistes fort méfiants envers toute primeur. S'il arbore une démocratie de bavardage dénuée de toute logique, il encourra les affres de l'altération par défaut de rafraichissement. Il est en phase de décomposition au détriment de tout un peuple. Les opportunistes, les attentistes et les profiteurs de tout acabit et dont l'unique objectif n'est autre que de se perpétuer et à se positionner dans un confort matériel singulier, seront toujours tant aux obsèques que dans les laboratoires de jouvence. Ils étaient là avec tous les secrétaires généraux successifs. Ils ont ovationné l'un puis tous les autres. Le plus grand paradoxe que vit ce parti s'exprime par cette alliance parfois contre nature de voir ensemble des ennemis qui s'affirment frères de lutte. L'hypocrisie bat son plein. On se sourit et l'on se dague, une fois dos tourné. Pas possible ce climat délétère qui vous fait croire que le fort caractère, le grand encaisseur, le patient pénitent, sont ceux qui réussissent. L'on ne résiste pas au sens politique, la résistance qui s'y pratique se fait face à l'autre. Le concurrent interne. Avec l'extérieur, on l'appelle le pacte d'alliance. Pourriez-vous consentir ou comprendre qu'un frère biologique qui boude essentiellement son frère puisse concevoir une alliance avec son voisin ?

Les parachutés

Dans ce parti, au nom d'un resourcement et d'une réinjection d'originalité l'on voit venir des gens de différents horizons. Non pas, par principe idéologique ou engagement politique encore loin d'accroitre les rangs et militer un temps soit peu dans la base, mais juste pour occuper les postes de responsabilités. Combien n'a-t-on pas vu de députés et de maires provenir du néant au détriment de ceux qui ont des années émargé dans les annales de la pauvre base ? Ils arrivaient tous bleus, les yeux hagards, sans pack ni kit primaire pour les méthodes de la lutte ou les moyens à mettre en œuvre pour réussir le combat. Sans cursus ni profil convenable, de simples noms usuels et inusités, n'arrivant même pas à faire l'unanimité familiale, ils sont devenus des noms publics et ont su par tromperie et roublardise se créer un statut social. Du moins auprès de leurs semblables ou à l'environnement immédiat qui par flagornerie les cajole. Ils servaient d'abord les tuteurs, ceux qui les ont mis en orbite tout en se servant ensuite. Et a chaque échéance, tellement induits du baume de l'élection recommandée, ils s'apprêtent et guettent le moindre siège vacant. Certains, après avoir consommé un échec électoral ou des déboires de mandat se mettent au noir, à l'abri des commentaires, loin des chapelles, croyant par repli tactique réapparaitre le temps venu. Le dépôt de candidature. Si le peuple devient amnésique, le virtuel, le net, le facebook, les archives, les preuves seront là pour témoigner des défaites subies et de la fausseté des profils émis.

Propulsés qui par parrainage, qui par sachets noirs ce conglomérat de petit personnel de service s'est plu dans l'aisance du poste et voit son appétit vorace s'aiguiser de jour en jour. Dans l'Algérie d'aujourd'hui, celle des pauvres têtes dormantes et non endormies, le jour ne se lève que pour les hyènes. Par contre, il est de ces élus, notamment maires nonobstant leur virginité dans les arcanes du parti et des coulisses politiciennes avaient pu, grâce à leur abnégation, leur mérite, leur brio, leur intégrité mettre à profit leur présence pour promouvoir les charges qu'ils avaient à remplir et ennoblir le parti.