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Rotation

par El-Guellil

La journée, les retraités envahissent la place de la poste.

Un seul journal, une lecture obligatoirement collective. A haute voix. Ponctuée par des hochements de tête. Rien ne semble les déranger. Ni les chauffeurs qui klaxonnent à fond les trompettes pour un rien. Ni le policier derrière son sifflet qui essaye de régler, tant mal que mal, la circulation. Chacun enfermé dans son argument édenté, porte la contradiction et son âge. Mais tous ne comprennent pas comment cette misère de pension de retraite fait pour ne jamais arriver à temps. «Et pourtant c'est pas l'argent du pétrole qui manque», «ya khouya on ne fait pas l'aumône, on a cotisé toute notre vie. C'est notre argent qui est chez eux». Le muezzin appelle au «Dohr» et le soleil semble leur dire «circulez y a rien à voir». La sieste. Le nguil. La place de la poste se vide un moment. Les bancs sont libres. Des corps profitent pour y dormir l'après-midi, parce que la nuit, pour ne pas avoir froid, ils marchent. Des baffles du disquaire, très respectueux du voisinage, jaillit, à fond la caisse, le tube de l'été «Joséphine» : un bouquet de frustrations enveloppé dans la mélodie en sous-sol. Derrière les façades qui ont dépassé leur date de péremption, les mitoyens se reposent. Fenêtres closes. Quelques voitures rebondissent dans l'éternelle limite des feux rouges et ronds-points. La même ville pourtant est parallèlement immobile. Jusqu'au Asr. El maghreb...

Le soleil, dans un moment, aura peur de la nuit. La ville striée de barreaux. Une taule où le raï comme un coq chante les pattes dans la m... et ces jeunes aux masques fatigués qui crachent, phrases sur phrases, des lambeaux de verbe en guise de discussion. «El hadj atini garrou».

Le soir venu. Des filles. Corps où le désespoir, depuis des ans, a planté sa machette. Rêvant d'un prince, séduisent les grosses cylindrées trisomiques.

La nuit, la faim de tout âge renifle les poubelles. La nuit, les prisonniers de la pierre et du ciment, des vitres et de la ferraille, s'enferment à double tour. Le matin, ils se raconteront les agressions qu'ils ont vues à travers leurs persiennes. «Mais pourquoi tu n'a pas appelé la police ?».