Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Du temps et du gâchis

par Ahmed Farrah

Partout dans les pays où l'urbanité a un sens, le civisme est expressif et l'éducation est visible dans les comportements et les attitudes des citadins. Exigeants au quotidien et jaloux de leur cadre de vie, ils protègent leur environnement avec des gestes et des pratiques écologiques simples mais efficaces. Si leurs rues et leurs espaces publics sont propres, c'est parce qu'ils reflètent leur mode de vie et leur culture raffinée. Ils ne vivent pas les contradictions et les antagonismes entre ce qu'ils sont chez eux et ce qu'ils sont en d'autres lieux. L'Algérien donne l'impression de ne former qu'un agrégat d'individus, une peuplade de gens dont la majorité révèle clairement leur intrusion dans le monde urbain dans lequel ils n'y sont pas préparés et n'ont pas pu s'y adapter encore. Les villes se ruralisent, se clochardisent et perdent leurs âmes du fait de ces spécimens introns qui ont su imposer leurs us et coutumes et leur état d'esprit imperméable au progrès et à la modernité. Le « citadin de souche » se trouve envahi par des comportements qu'il dénonce, mais il n'y peut rien contre cet ouragan envahisseur et dévastateur. Petit à petit, les mentalités se sont hybridées, se sont mélangées et ont débouché sur un caractère muté qui s'exprime dans l'incivisme, l'égoïsme et l'égocentrisme. La société s'est uniformisée, elle est devenue tristement brumeuse et sinistre, violente et agressive, irrespectueuse et impolie, paresseuse et désœuvrée. L'Algérien semble abandonné dans la bestialité de la jungle qui l'emprisonne, ne réagit que par des réflexes primaires de défense et de survie. Il s'enferme dans sa coquille et essaye de s'évader dans le monde virtuel loin de l'amère réalité laissée au seuil de chez-lui. Souvent ses fêtes et villégiatures tournent mal. Que dire de ces « vacances » qu'il passe dans son pays, là où il n'y a que le littoral comme seule escapade et fuite de la fournaise d'été ? Dès qu'il prend la route vers « l'Éden » promis, une boule lui ronge les tripes tout au long du trajet. La peur bleue s'installe en lui. La phobie du trafic devient visible. L'hécatombe quotidienne se banalise sur toutes les routes algériennes. Une fois sur les lieux, il est soumis aux premières arnaques ou plutôt aux premiers rackets commençant dans les parkings sauvages officialisés. Les chambres d'hôtel ou les pensions sont prises d'assaut par une foule qui ne lésine sur rien pour se les accaparer et s'y entasser. Satisfait d'avoir trouvé où se nicher, il débourse la cagnotte pour des murs moisis et du mobilier rongé par la rouille et l'humidité. Les belles plages d'antan ne sont plus ce qu'elles étaient. Elles sont devenues méconnaissables à cause de l'intrusion de nouvelles pratiques comportementales de ces énergumènes qui n'ont le respect ni pour les lieux ni pour les personnes. Ces plages qui furent autrefois de sable fin doré, elles sont aujourd'hui squattées par des « plagistes » dont le seul souci est de tirer le maximum de profit. Désormais, le rivage leur appartient et l'espace public s'est privatisé. L'hygiène est devenue synonyme de snobisme. Les ordures, le plastique, le verre, le métal et les épluchures de figues de Barbarie et de pastèques partagent l'espace avec les mouches et la mocheté envahissante. Les «estivants» se marchent sur les pieds. Le bruit assourdissant et les décibels d'une « musique » débile et rétrograde se fait entendre à des miles; elle est imposée de jour comme de nuit à ceux qui se sentent dégoûtés d'écouter du tintamarre sorti tout droit des caves. La restauration est douteuse et « gargotisée », les fritures et les rôtis de volaille sont quasiment les seuls «bourre-panse» servis dans des locaux pleins à craquer de clients affamés, nonchalants qui ne se soucient guère de payer des prix astronomiques pour de la mal-bouffe. Comment veut-on promouvoir le tourisme aux étrangers, quand on n'en a aucune notion, aucune culture, aucune tradition et aucun savoir-faire pour les tenter. L'Algérie « avance en arrière » comme dans ses bus bondés de voyageurs ombrageux, négligeant l'être et le paraître, plongés dans leurs certitudes ressassant des bigoteries. Mais que leur est-il arrivé pour qu'ils tombent si bas dans les fonds de l'abîme, quand d'autres peuples mus par la pensée darwinienne, inventent le nouvel âge numérique dominateur et effaceur de la médiocrité et du non-sens ? La réponse est dans leur ignorance ignorée.