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En attendant Godot

par M'hammedi Bouzina Med

Qui a commencé en premier ? Est-ce la sphère politique qui s'est emparée du monde religieux des zaouïas ou est-ce l'Association nationale des zaouïas qui a envahi le champ politique en Algérie ?

Quelle que soit la réponse, elle nous piège dans la même impasse : politique et religion vivent en ménage et donnent le tempo à la destinée du pays. Autrement dit, la compétence, l'excellence, la compétitivité et le mérite ne signifient rien sans l'agrément des cheikhs, imams et confréries religieuses autant que les «pouvoirs» de ces derniers n'ont de poids sans la bénédiction des «décideurs» politiques. Tout le reste du corps social et de son substrat intellectuel est soumis au bon vouloir de ces deux mondes parallèles des zaouïas et des cabinets pourvoyeurs du personnel politique censé gouverner le pays. Out les grandes écoles et universités, out l'innovation et l'intelligence, il n'y en a que pour Dieu et ceux qui se prétendent être ses serviteurs. Du coup, les centaines de milliers d'associations civiles recensées dans le pays, les dizaines de partis politiques agréés ou non, au pouvoir ou en dehors de lui, les leaders d'opinion et le monde des médias indépendants ou affidés au pouvoir deviennent comme un divertissement national, un hobby pour le peuple, une fiction d'un long feuilleton national. A quoi servent tous ces débats politiques, sociaux, culturels qui bercent la vie du pays et que rapportent quotidiennement les médias puisque, en dernière instance, la décision pour le sort du pays relève de la seule autorité partagée entre une zaouïa et un commis de l'Etat ou identifié comme tel ?

Les deux ont une réponse toute faite : pour endiguer la montée de l'islamisme radical, wahhabite, violent, qui menace la sécurité et l'unité du pays, il faut célébrer les noces entre le pouvoir politique et nos bonnes et ancestrales zaouïas. La belle affaire ! Opposer un mariage de tradition bien de chez nous pour chasser l'indu occupant islamiste radical venu d'ailleurs. Il n'y a donc point d'autre alternative, pas même celle de l'école et du savoir. L'école ?

C'est quoi encore cette provocation ? Ils sont près d'un million à avoir concouru pour 28.000 postes d'enseignant après une véritable bataille qui a opposé les contractuels à l'Etat. Cet Etat fait plus qu'il n'en faut pour l'école. 28.000 maîtres d'école et professeurs d'école c'est quand même énorme ! Quel pays fait autant et d'un seul coup pour encourager le savoir et la connaissance pour ses enfants ? C'est vrai, les cagnottes des ministères de l'Education nationale et de l'Enseignement supérieur viennent en tête dans le budget de l'Etat. Tout est gratuit dans le monde de la connaissance, de la maternelle au supérieur avec, en sus, des bourses dans les cartables des étudiants. Mais, diantre, ou finissent ces millions d'élèves une fois leurs études terminées ? Pas dans les zaouïas où les arcanes du pouvoir politique en tout cas.

Ces deux «Maisons» sont habitées par des extra-algériens qui ne sont pas noyés dans le grand fleuve de l'Education nationale. Ils ont la puissance mystérieuse des temples religieux et l'art du discours politique enchanteur. Face à eux un peuple hypnotisé nage entre légende, espérance et attente du messie sauveur qui sera dévoilé au terme d'un conclave réunissant les deux «Maisons» de cette étrange et mystérieuse franc-maçonnerie nationale. Ce sera jour de fête nationale que ce rendez-vous entre un peuple ayant l'un des meilleurs taux de scolarisation au monde, instruit par une armada de maîtres et professeurs et son futur guide désigné par les cheikhs vénérés des temples essaimés çà et là sur mille et une collines et montagnes de ce vaste pays, comme pour être plus près du ciel et tout ce qu'il offre comme immensité et éternité. Amine.