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(De Genève I et II aux Accords de Vienne, un 2ème Yalta) Pourquoi Russes et Américains doivent mettre un terme à la guerre civile en Syrie ?

par Medjdoub Hamed *

2ème partie

5. LE PRONOSTIC DE L'ANCIEN MEDIATEUR DE L'ONU, LAKHDAR BRAHIMI

Parlons des points forts énoncés par Lakhdar Brahimi. D'abord que « ceux qui ont les moyens d'y mettre fin ne soient pas prêt à faire des concessions nécessaires à une solution ». L'ancien médiateur algérien de l'ONU adopte ici un vocable diplomatique. Mais, il sait très bien que la Syrie est un maillon pour ainsi dire « absolu » dans la viabilité de l'axe Iran-Irak-Syrie-Liban (Hezbollah). Si le régime de Bachar Al-Assad tombe, la Syrie est morte pour l'axe chiite. Et tout Moyen-Orient est déstabilisé. Forcément, au Liban, le Hezbollah, privé de la Syrie par où provient son arsenal militaire, sera à son tour touché, et progressivement il sera démantelé.

Que restera-t-il ? L'Iran et l'Irak ! Les Chiites de Bahreïn seront forcément muselés. Les Houthis du Yémen passeront des moments difficiles. Il est évident que même si la communauté alaouite se replie sur la région de Lattakié, il lui sera difficile de ne pas supporter la pression sunnite. Et c'est ce qu'a exprimé le Guide suprême Ali Khamenei dans les jours de célébration de l'Aïd-el-fitr, en août 2012 : « La Syrie est notre première ligne de défense. Nous combattons là-bas pour notre propre compte. Nos ennemis viendront vers nous après la Syrie, et c'est pour les ralentir et résister à leurs plans que nous nous y battons » (7)

D'autre part, la Russie pourra-t-elle continuer à occuper le port de Tartous, en Syrie ? On ne peut oublier que la Syrie et la Russie sont séparées par des milliers de kms. Et le port syrien de Tartous n'est pas le port de Sébastopol, qui se situe en Crimée, une région séparée de la frontière russe de quelques kms de mer et est majoritairement russophone.

La chute du pouvoir de Damas aura alors des conséquences incalculables pour la Russie. Et on comprend dès lors la réponse sibylline de Lakhdar Brahimi. Et ce qu'il dit : « Elle a échoué parce que les protagonistes les plus importants à l'intérieur de la Syrie d'abord ? mais aussi, il faut le dire, à l'extérieur de la Syrie ? continuaient à avoir pour objectif une victoire totale. Chaque camp désire une « victoire totale ». En effet, le camp occidental comme les pays monarchiques veulent une « victoire totale », et d'ailleurs le président américain Obama comme le ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius, ne cessent de demander le départ de Bachar Al-Assad.

Si le président syrien actuel partait, le régime forcément s'affaiblirait. Qui sera le président ? Et d'où viendra un nouveau président de la transition ? De l'opposition ou du régime de Damas ? Et c'est là toute la problématique.

Et on comprend pourquoi Lakhdar Brahimi lorsqu'il a déclarait dans l'interview : « Ni l'un ni l'autre n'envisageait une solution autre que l'imposition de son point de vue. Je ne me faisais pas d'illusions. Je savais très bien que ce serait très difficile, mais nous n'avons pas fait de progrès et donc à un certain moment il fallait bien dire « ça suffit » ». En effet, ça suffit ! Cela ne servirait rien son travail d'intermédiation quand l'émissaire onusien trouve en face de lui toutes les portes fermées.

Quant à la question de l'Etat islamique, comme il le dit : « Tout le monde voyait mais personne ne faisait attention parce que tout le monde était concentré sur le fait de se débarrasser du régime de Bachar-Al-Assad. Entre temps cette organisation s'est autoproclamée État, califat, mais ça ne change pas grand-chose. » Là encore, on voit la justesse de ses propos. En effet, de manière sibylline, « tout le monde voyait pour ne pas voir » (personne ne faisait attention), parce que les puissances qui parrainaient ce mouvement ont tout fait pour qu'il ne soit pas vu.

L'Etat islamique et ses victoires ne sont pas sortis en 2014 du néant, tout était préparé pour que trois grandes factions opposantes émergent et prennent progressivement en étau, après des années de combat, le régime loyaliste de Damas. C'est ainsi que, si au Sud de Syrie, la faction (Armée syrienne libre ou ASL et autres formations islamistes) activait dans la province de Deraa, une deuxième faction avec une nébuleuse de groupes islamistes activait au Nord-Ouest, dans la région d'Idlib. Mais l'effort déterminant venait du Centre-Est et Nord-Est avec la montée en puissance de l'Etat islamiste en Irak et au Levant qui a contrebalancé l'issue de la guerre, dès 2014, en défaveur du pouvoir de Damas. Et malgré les frappes aériennes de la coalition occidentale, à partir d'août 2014, contre lui, Etat islamique a continué à enregistrer des victoires.

Et c'est cela qui est étrange. Comment est-ce possible qu'une coalition occidentale de plusieurs grandes puissances ? dont les États-Unis, première puissance mondiale ?, et qui compte une soixantaine de pays dont une quinzaine intervienne militairement par des bombardements aériens, n'arrive pas à arrêter la marche victorieuse de l'EI ? Et c'est là où le pronostic de Brahimi est juste : « Ses membres (EI) ont une présence réelle, cependant je dis depuis le premier jour qu'ils seront vaincus. Combien de temps cela va-t-il prendre ? Tout dépend de la coopération entre différents pays. Depuis septembre 2014, une coalition menée par les États-Unis intervient militairement contre l'organisation de l'État islamique en Syrie et en Irak. Cependant, ce qui est certain, et de par les monstruosités qu'ils commettent, l'Etat islamique se condamne, et il sera forcément vaincu par sa cause qui n'est pas juste. Pense-il qu'il pourra gouverner par la terreur ? En décapitant ceux qui n'acceptent pas sa barbarie. Et la barbarie ne fait pas partie de l'Islam, bien, au contraire, l'Islam condamne la barbarie d'où qu'elle vienne. Et toute religion de Dieu condamne les monstruosités d'où qu'elles viennent, y compris ceux qui les parrainent. Et il y a là un jugement de Dieu, ici bas, sur terre et sur après-terre, pour ceux qui ne le savent pas ou qui croient trop le savoir et se disent islamistes.

L'humanité n'existe pas de manière désordonnée, son évolution n'est pas chaotique. La Terre n'est pas une création du hasard, n'est pas suspendu dans l'« étant sidéral » sans qu'il n'y ait une Force qui la maintienne dans cet Espace, ni que l'homme est venue du néant.

6. LE 23 OCTOBRE 2015, LA CONFERENCE A VIENNE RESSEMBLAIT CURIEUSEMENT A UN «2EME YALTA MOINS CHURCHILL»

Précisément, personne ne s'attendait que cette prise en étau par les trois factions et qui allait emporter le régime politique de Damas allait trouver un « antidote » devant elle. L'« appel au secours » de Bachar Al-Assad à la Russie est venu arrêter ce plan diabolique occidental de déstabilisation de tout un peuple, d'une nation toute entière. Pourquoi ? Au nom d'enjeux étroits que visent les puissances occidentales sans prendre en compte qu'un peuple va être livré pieds et poings liés à l'errance.

C'est ainsi que tout est allé très vite. Les frappes russes commencées le 30 septembre 2015 ont, après un mois et demi de bombardements, changé la donne. Le camp occidental, malgré ses récriminations que la Russie ne vise pas l'Etat islamique mais vise les factions, s'est à la fin résolu d'organiser une réunion internationale pour discuter de la crise syrienne. Sur ce point, il faut plutôt dire que le camp occidental a été obligé par les frappes russes sur ses protégés.

Le secrétaire d'État américain John Kerry a donné le ton le 19 septembre à Londres en déclarant, aux côtés de son homologue britannique, Philip Hammond, que M. Assad devrait partir mais que le calendrier était négociable. La chancelière allemande, Angela Merkel, est allée dans le même sens en estimant qu'il fallait parler avec M. Assad. Le président français, François Hollande, continue de son côté d'insister sur le fait que « l'avenir de la Syrie ne peut pas passer par M. Assad », mais précise que la France « discute avec tous et n'écarte personne ». L'annonce faite hier des premières frappes françaises contre l'organisation État islamique (EI) en Syrie, notamment à Deir ez-Zor où le régime combat l'EI, fait d'ailleurs écho aux propos tenus le 16 septembre par le ministre français de la Défense, Jean-Yves Le Drian : « Notre ennemi, c'est Daech. Bachar el-Assad, c'est l'ennemi de son peuple. » (8)

Et rapporte L'Orient Le Jour : « Les tractations sérieuses devraient commencer aujourd'hui avec les discours des présidents américain, russe, chinois, français et iranien devant l'Assemblée générale de l'Onu, avant la rencontre bilatérale entre Barack Obama et Vladimir Poutine. » Il est évident qu'une perspective de l'« intrusion de la Russie » dans les airs de l'Irak et de la Syrie a commencé à changer l'approche occidentale sur la crise syrienne. Et que le ton est donné dans l'Assemblée des Nations Unies, qui a permis une rencontre de « décider et d'aplanir leurs vues » entre les Deux Grands du monde. L'épisode ukrainien est encore présent dans les esprits occidentaux. (8)

Et bizarrement, avant même les frappes russes le 30 septembre 2015, l'ancien président libanais, Michel Sleiman, reçu le 28 septembre 2015, par le président français, François Hollande, appelait à un « Genève 3 » (9), soit deux jours avant les frappes russes. Comme si la France, à travers l'ancien président du Liban, avait été avertie comme d'ailleurs les autres pays occidentaux par Moscou de l'imminence des frappes russes contre les positions des factions rebelles au régime de Damas. Puisque vingt cinq jours plus tard, le 23 octobre 2015, se réunissent, à Vienne, les chefs de la diplomatie russe, américaine, turque et saoudienne, pour réfléchir à une solution politique. Si aucun accord n'est sorti de cette première rencontre quadripartite, le ton était déjà positif puisque le secrétaire d'État américain a qualifié ce premier rendez-vous de « constructif ». (10)

Bien que les chefs de la diplomatie des quatre pays ne soient pas parvenus à un accord sur le sort du président Bachar Al-Assad, il demeure cependant que la position russe était intraitable sur le sort d'Assad. « Avant de dépêcher son ministre Lavrov à Vienne, le président russe Vladimir Poutine, qui s'affiche désormais comme l'acteur incontournable dans le règlement militaire et politique du conflit, avait lui affirmé que « l'objectif des États-Unis était de se débarrasser d'Assad ». Au contraire, avait fait valoir le maître du Kremlin, « notre but est de vaincre le terrorisme [...] et d'aider le président Assad à revendiquer la victoire contre le terrorisme ». » (10)

Au sujet de la position russe, il était évident que la Russie défendait un intérêt géostratégique majeur en Syrie. Et le port de Tartous était la seule lucarne pour ses forces stratégiques dans la mer Méditerranée, un port aussi important que Sébastopol en Crimée. Alors que les États-Unis ont une multitude de bases dans les monarchies du Golfe.

A ce sujet, on peut dire que la « Nature a horreur du vide ». Il est impossible qu'« un Etant n'ait pas son contraire ». C'est une loi de la nature. L'Être a son non-être, la vie a la mort, le mal a le bien, le jour a la nuit, forcément, les Américains ont les Russes, et si cela ne suffit pas, ils ont aussi la Chine. Et l'Arabie saoudite a l'Iran. Ce que les grandes puissances ne comprennent pas, c'est que l'existence humaine est dans un certain sens une philosophie dialectique d'exister pour ne pas exister. Où le temps est et n'est pas, et est sans fin. Et dans cette philosophie, il y a de tout, du Platon, de l'Aristote, du Parménide, etc., à Schopenhauer, à Hegel, à Nietzsche, à Sartre, à Camus, etc. Et ces philosophes expliquent et n'expliquent pas le « sens de l'humain », car l'homme, et à travers lui l'humanité, « n'existe pas pour seulement exister ». Et c'est là la problématique de l'humain, et le malheur des guerres pour les peuples.

Précisément, à ce propos, le Genève 3 (Vienne) était dans l'air du temps, parce qu'il a été provoqué non pas par les Russes qui eux n'ont fait que riposter, mais par ceux qui croyaient gagner et qu'ils vont bientôt avoir la peau de Bachar Al-Assad. « Sans penser un instant qu'ils vont provoquer un processus qui va changer le cours de la guerre et les amener à s'asseoir à la table avec leurs ennemis ». Ironie de l'Histoire, doit-on dire ? Ou ironie du temps ? Et les Américains se sont faits piégés par les Russes sans le savoir, sans penser un instant que ces derniers allaient être aussi de la partie. Ils ont cru que Damas va tomber et que la Russie n'a pas d'énergie, occupée par l'Ukraine. Et la Syrie pour la Russie est lointaine. Et c'est ainsi, par ce renversement de l'histoire, que les deux grands protagonistes du monde ont compris qu'il ne pourrait y avoir une solution militaire. Désormais les deux grandes puissances du monde sont à pied d'œuvre en Syrie, et toutes deux procèdent à des bombardements selon leurs intérêts géostratégiques propres et qui sont « opposés par essence ». Par conséquent, continuer la guerre ne fera qu'augmenter les souffrances des peuples qui sont innocents, qui n'ont rien à voir à ces objectifs de domination, et qui ne désirent que la paix. Qu'on ne les tue pas, et qu'ils retournent à leurs foyers pour vivre en paix. Et ils ne recherchent même pas « cette démocratie qui tue, qui éclate des millions de familles hors de leurs logis, de leurs villes, de leurs pays. » Et parqués ensuite par millions dans des camps de l'ONU ou errant à travers monde. Est-elle juste la cause occidentale et des monarques arabes dans la barbarie dans laquelle ils ont jeté un peuple entier ? Un peuple qui a perdu tout espoir en l'homme censé être civilisé ?

Précisément, la réunion à Vienne s'imposait. Et surtout la prise de conscience d'une situation sans issue en Syrie a fait que les quatre pays se sont convenus de poursuivre leurs consultations sur le dossier syrien. Ils se donnent rendez-vous, dans une semaine, le 30 octobre pour une réunion élargie.

Ce qu'on remarque dans ce rendez-vous qui a « défriché » le terrain sur la Syrie pour le prochain rendez-vous, à la fin octobre 2015, est « aucune nation européenne n'a été invitée ». Il était évident que ni la France de travers Hollande ou Fabius, ni le Royaume-Uni de Cameron, pourtant alliés, n'ont été appelés. « Cette conférence du 23 octobre 2015 ressemble étrangement à une conférence qui s'est tenue à Yalta, du 4 au 11 février 1945. » Les deux Grands ne veulent pas des pays européens qui perturberaient leurs décisions. Et la Turquie comme l'Arabie saoudite ont assisté, un peu, comme des figurants devant les options dictées par les deux grandes puissances du monde. Aussi peut-on dire que la conférence de Vienne ressemble à un « 2ème Yalta moins Churchill ».

7. ACCORDS DU 30 OCTOBRE A VIENNE : «L'ESPOIR DE SORTIE DE CRISE POUR LE PEUPLE SYRIEN EST PERMIS»

Le vendredi 30 octobre 2015, s'ouvre une nouvelle réunion à Vienne, cette fois-ci élargie à d'autres pays, pour tenter de trouver une issue à la guerre en Syrie. Les 17 pays réunis dont les deux acteurs majeurs, les États-Unis et la Russie, et à eux se sont joints pour la première fois l'Iran, et également les chefs de la diplomatie des principaux pays arabes concernés par le conflit à savoir l'Arabie Saoudite, l'Egypte et le Liban ainsi que leurs homologues turc, français, anglais et allemand et la Haute représentante de l'Union Européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Federica Mogherini. Mais sans la présence des représentants du régime syrien et de l'opposition, lesquels seront certainement appelés à intervenir dans les prochaines négociations.

A suivre...

* Auteur et Chercheur indépendant en Economie mondiale,Relations internationales et Prospective

Note :

7. «Ali Khamenei : «Nous combattons en Syrie pour notre propre compte» par Nouvelles d'Iran pour Le Monde, 21 août 2012.

http://keyhani.blog.lemonde.fr/2012/08/21/ali-khamenei-nous-combattons-en-syrie-pour-notre-propre-compte/

8. «Syrie : Le début des négociations sérieuses», par L'Orient Le Jour. Le 28 septembre 2015

http://www.lorientlejour.com/article/946428/syrie-le-debut-des-negociations-serieuses.html

9. «Reçu par Hollande, Sleiman évoque un «Genève 3» pour la Syrie», par L'Orient Le Jour. Le 28 septembre 2015.

http://www.lorientlejour.com/article/946399/recu-par-hollande-sleiman-evoque-un-geneve-3-pour-la-syrie.html

10. «Pas d'accord sur un départ d'Assad, mais une réunion quadripartite «constructive»», par France24.com. Le 23 octobre 2015. http://www.france24.com/fr/20151023-syrie-reunion-inedite-entre-americains-russes-saoudiens-turcs-vienne-assad-regime

11. «L'ONU chargée de négocier un cessez-le-feu en Syrie, pas d'accord sur le sort d'Assad», par France24.com. Le 30 octobre 2015.

http://www.france24.com/fr/20151030-syrie-vienne-accord-bachar-al-assad-onu-cessez-le-feu-fabius