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L'Histoire : entre capitalisation et instrumentalisation

par Slemnia Bendaoud

Au fil du temps, l'Histoire des Nations constitue un paramètre important dans l'équation de l'évaluation de leur rang dans le concert de la hiérarchie mondiale. Elle en constitue d'ailleurs un baromètre de grand choix dans la pyramide des valeurs universelles et un indice vraiment prépondérant.

La grande maîtrise de la science dans toute l'étendue et la profondeur de sa dimension combinée à la conscience de son peuplement contribuent ensemble à leur rapide ascension et nette progression dans la plus haute sphère des Nations du monde.

Incontestablement la mort de l'icône Hocine Ait Ahmed, en ce Mercredi 23 Décembre 2015, à la veille du Maoulid Ennabaoui Ech Charif, relance indirectement le débat sur l'Histoire du pays.

Très hasardeusement provoquée, la mémoire collective nationale demande à être très profondément inspectée car, la disparition du dernier des Pionniers et vieux Guerriers du pays nous met désormais face à nos responsabilités à prendre envers l'Histoire.

Le départ pour l'au-delà de l'un des leurs, du tout dernier du groupe des «Neuf» ayant programmé et ensuite déclenché la révolution de Novembre 1954, nous impose cette halte obligatoire afin de faire un premier bilan et d'évaluer convenablement le trajet parcouru pour ensuite envisager comment nous organiser pour faire face à nos échéances futures.

Grâce, en particulier, aux révélations et autres témoignages poignants des médias de la presse libre, les jeunes générations de l'Algérie indépendante découvrent soudainement le combat de l'un des plus grands héros de la révolution.

Le tort de ce retard dans l'accumulation de l'Histoire nationale ?notamment chez les jeunes gens- est surtout imputable à cette trop longue hégémonie de l'Histoire officielle sur celle plutôt bien réelle du pays dont des pans entiers auront durant une si longue période sciemment été soustraits de leur contexte naturel et des manuels de leurs cursus scolaire et universitaire.

Un grand décalage dans le temps semble les prendre au dépourvu pour complètement après les déboussoler. Tant le lien indéfectible qui les lie avec l'histoire authentique de la nation reprend désormais tous ses droits et ses nombreux attributs sur celle très officielle qui n'aura fait à travers le temps qu'effacer de leur mémoire tout indice en rapport le combat actif du disparu au profit de la révolution algérienne.

Leur quête de repositionnement sous la forme de plongeons de ressourcement identitaire dans le contexte d'alors gène énormément les tenants du pouvoir actuel dans leurs manœuvres dilatoires de toujours instrumentaliser l'Histoire du pays en faveur des hommes forts du moment, lesquels ne peuvent malheureusement tenir la moindre comparaison avec les véritables artisans du grand combat pour l'indépendance de l'Algérie.

Ainsi, avec la disparition de ce pionnier parmi les vivants d'hier des grands architectes guerriers de l'indépendance du pays et de la Nation, toute une foultitude d'évènements saillants de la révolution algérienne remontent subitement en surface, comme délivrés à la foulée ?nécessité oblige- par une mémoire nationale qui refuse manifestement de subir encore et toujours les contrecoups duvil poids des atrocités de la rétention de l'information qui a longtemps profité à un système mégalomane et destructeur de la conscience collective.

De plus, cette douloureuse circonstance de la mort de Da L'Ho qui marque de son magistral sceau et empreinte indélébile l'esprit humain et la conscience des citoyens algériens remet fondamentalement sur le tapis la nécessite absolue ?autant pour les gens du pouvoir que pour les historiens- de revenir au plus vite au réel et de cesser de véhiculer comme de tradition «ces pratiques scléroses et anciennes du système» qui auront beaucoup nui à la bonne compréhension par les toutes jeunes générations quant à la capitalisation de l'histoire de leur Nation.

De fait donc, nombreuses sont ces jeunes populations du pays qui ne savent malheureusement jusqu'à ce jour vraiment où donner de la tête devant les incohérences et impondérables nés entre les attributs de cette Histoire officielle enseignée à l'école et celle dite «authentique» racontée de vive voix par leurs aïeuls en leur qualité d'acteurs souvent actifs de la révolution algérienne.

Pire encore, certaines personnes plutôt instruites et aujourd'hui plus ou moins âgées mais encore accrochées à une politique surannée et surtout «restées toujours cantonnées dans le moule de l'Histoire officielle» ignorent même à présent presque tout de certains grands héros de la révolution dont les noms ne figuraient pas (?!) dans leurs anciens manuels scolaires de l'histoire officielle algérienne.

A force d'être galvaudée et longtemps instrumentalisée à dessein, l'Histoire officielle se trouve être malheureusement l'objet d'un renoncement et d'un reniement de la part des jeunes populations qui refusent manifestement de servir de cobayes à une sournoise manœuvre d'expérimentation de dénaturalisation de l'authentique Histoire de leur pays.

Tout le monde, du moins ceux qui en 1988 avaient l'âge requis pour le faire, a encore souvenance de cette belle image d'une héroïque page de notre histoire de Gloire qui forge la mémoire et force au respect quant à la considération dont jouissaient parmi le peuple algérien toutes ces icônes de la révolution forcées à l'exil à qui les portes de l'Algérie furent de nouveau miraculeusement rouvertes.

A leur tête, il y avait, bien évidemment, les regrettés Hocine Ait Ahmed, Mohamed Boudiaf et Ahmed Ben Bella dont les pieds foulaient de nouveau le sol national de cette Algérie que leur combat commun, conjugué à celui de leurs pairs, venait de libérer du joug colonial près d'un quart de siècle plus tôt.

L'idée d'un ressourcement du peuple algérien avec son authentique Histoire reprenait donc son chemin et son ascendant sur toute autre considération, étant de nouveau d'actualité, et laissait en filigrane entrevoir la réelle possibilité d'un réajustement imminent dans la mentalité des tenants du pouvoir à sans tarder revenir à de bien meilleurs sentiments mais surtout aux règles drastiques d'une véritable Histoire Nationale qui n'a aucun intérêt à exclure quiconque parmi ses plus dévoués fils de grands combattants pour son indépendance.

Pour un pouvoir qui a si longtemps verrouillé l'information à l'effet d'instrumentaliser à son seul profit l'Histoire commune de toute une si grande Nation ayant réalisé l'une des plus belles et très braves révolutions dans le monde, il n'était plus question d'épouser cette thèse Majeure de capitaliser l'Histoire du pays, jugéeà très haut risque pour le système en place qui cherchait à plutôt davantage se repositionner stratégiquement pour tout juste donner l'impression de se redresser, faisant dans ce mouvement qui consiste à changer le fusil d'épaule pour toujours le diriger vers la même cible.

Et si les anciennes habitudes ont vraiment la peau dure, le reflexe protectionniste de tout dirigeant, imbu de son pouvoir exorbitant ou se sentant illégitime, craint manifestement toute hypothétique ouverture du champ politique et médiatique de nature à le remettre en cause, sinon à le défaire de son trône et le faire descendre de son piédestal.

Acculé depuis de toutes parts, notamment par la grogne populaire et les tangibles vérités de l'Histoire contemporaine, mais sachant avec subtile ruse et fine malice tirer grand profit de menus temps des inévitables prolongations, ce système continue de saborder la grande Histoire de la Nation, sacrifiant sur l'autel de cet impératif tout benêt l'élément essentiel de sa régénérescence en semant le flou dans la conscience des tout jeunes gens, appelées dès leur maturité à revoir de fond en comble leurs connaissances apprises à l'école, puisque ne cadrant nullement avec l'actualité et les réalités du moment.

Durant plus de trois longues décennies, hormis les canaux officiels attitrés du pays bien souvent muets au sujet de certains faits nationaux historiques, Benjamin Stora, cet historien français natif de Constantine, symbolisait bien malheureusement l'une des seules sources documentaires et analytiques de notre Histoire, à telle enseigne que ses déplacements et visites effectuées en Algérie étaient érigés en évènements majeurs et de haute symbolique historique, au grand dam des pourtant férus praticiens de l'Histoire du pays de la Maison Algérie que sont Abou El Kacem Saad Allah, Mohamed Abbes, Zeghida, Rabah Lounici et autres érudits observateurs de la scène politique nationale.

La réticence de certains acteurs politiques à volontairement se départir de leur sentiment de réserve «souvent calculé» à l'égard de l'Histoire du pays en leur qualité d'opérateurs influents ou importants sur son cours a surtout contribué à imposer de force ce statuquo de la rétention de l'information dont souffre énormément l'intelligence humaine nationale à pouvoir convenablement refaire en sens inverse (remonter) le chemin de notre glorieuse Histoire.

A peine les premières Mémoires des véritables acteurs de notre révolution finalisées et apparues sur les étals des librairies, après une trop longue hibernation ou une stricte interdiction, que déjà des voix se considérant comme toutes proches du «cercle officiel» ou «uniques détentrices du tutorat sur l'Histoire du pays et de la Nation» se sont donc levées en signe de véritables boucliers à la face de leurs auteurs et de l'authentique Histoire de la Nation.

Implacable, l'Histoire sait justement rattraper tout son monde, à sa moindre incartade, des années plus tard ou même parfois au moment le moins inattendu, comme preuve de sa régulation du facteur temps accordé à notre vie ici-bas.

Dans le trémoussement de sa solennelle manifestation, elle nous interpelle individuellement mais aussi solidairement et collectivement afin de juger de nos actions et comportements envers le pays et la Nation, envers la patrie, ses valeurs et ses Grands Héros.

Qu'avons-nous donc fait de ce retour d'exil tant espéré et bien mérité de ces Grands Hommes de la Nation, véritables artisans de l'indépendance de l'Algérie ? Que leur a-t-on en revanche réservé comme place de choix au sein de la société algérienne et comme espace intime ou estime mesurée manifestée à l'intérieur même de nos cœurs et pensées en faveur de leur combat et total dévouement pour la cause algérienne ?

Quel est donc ce statut proposé qui fut le leur à leur retour au pays et à la Nation après avoir été poussés ou forcés par leurs pairs ou frères de combat à l'exil ou à l'asile, juste pour avoir été d'un avis contraire ou celui réticent et très nuancé par rapport à celui autrefois solennellement proclamé et sur le champ prononcé par les tenants du pouvoir, plus que jamais déterminés à mener bien seuls la barque de l'Algérie désormais indépendante et libre de son joug colonial d'antan ?

Quel projet de société ont-ils sur place pu trouver pour ces Grandes Personnalités de l'Algérie, eux, qui pourtant croyaient dur comme fer en gagnant très jeunes le maquis d'où ils combattaient l'ennemi, autrefois tous unis autour de ce Noble idéal du 1er Novembre 1954 qui leur traçait leur trajectoire avant de voir en fin de parcours se dessiner les contours et horizons de leur logique Victoire ?

Quel accueil et de quelles sollicitations jouissaient-ils finalement à leur retour à leur véritable patrie et grand terrain de combat où ils devaient autrefois triompher de l'occupant français qui nous avait près d'un siècle et demi spolié nos richesses et humiliés dans nos valeurs, religion, langue et identité nationale ?

Les avions-nous alors bien considérés sinon indifféremment négligés, comme tout le reste de l'humanité ?

De la nature même de la réponse à cette toute dernière question dépendra la suite à donner à tout ce chapelet decelles qui l'ont finalement précédée.

Nos Héros, c'est à l'occasion de leur mort douloureuse que l'Algérie officielle tente désespérément ?au motif de se racheter aux yeux de l'opinion publique- de ressusciter leur vaillant combat, en vain. Parce que tout simplement complètement ignorés de leur vivant !

Et c'est donc ainsi que les nouvelles générations apprennent enfin à les connaitre, après justement leur départ pour l'au-delà. Dans leur subconscient, l'ombre de ces icônes surgissait comme dans un songe assez compliqué et très mouvementé à souhait, occupant à jamais leur esprit dans leur quête effrénée d'en savoir davantage sur leur combat et statut postindépendance !

Ces jeunes fils de l'Algérie indépendante se réveillent parfois en sursaut sur de laconiques communiqués, souvent bien maquillés, leur annonçant à la hâte çà et là la disparition d'un vieux guerrier qu'ils prenaient eux-mêmes pour déjà mort et enterré dans la même tombe avec ses précieux secrets ; tant l'information au sujet du défunt devait depuis longtemps cesser de circuler !

A présent, il se pose pour eux cette pertinente question : comment donc faire corroborer l'histoire officielle, celle étudiée à l'école sur la base de manuels, avec celle plutôt souvent colportée ou rapportée de vive voix et par le biais d'autres supports didactiques ou même à l'occasion de la parution de thèses de doctorants praticiens des thèmes de l'Histoire contemporaine ?

En dehors de l'idée qu'elle soit cette Mémoire collective, l'Histoire de l'humanité se conçoit aussi tel un miroir de la vie des peuples et des nations du monde. Grace à ses multiples projections ou indéniables répercutions, elle en exprime, à la fois, leur progrès, leur marche et leur démarche.

A mesure qu'elle soit mieux ou plutôt moins bien considérée, elle en fait de ceux-ci des gens très civilisés et de grands pays, et de ceux-là un tout petit peuplement et un pays du tiers-monde ou juste celui dit sous-développé.

Durant ces deux dernières années, des pères fondateurs de l'Algérie associés à ceux qui ont eu la lourde charge de gérer les affaires du pays ne sont plus de ce monde ici-bas. Les uns après les autres, ces derniers nous ont quittés, parfois sans même avoir le temps nécessaire de nous léguer leurs mémoires à titre de testament collectif.

Aujourd'hui, c'est l'Histoire qui nous parle et nous interpelle, de vive voix, de manière formelle et bien solennelle et au travers de nos souvenirs seulement ! Tendons-lui donc bien une oreille très attentive ! On en a, au contraire, tout à gagner à vouloir bien l'écouter nous parler, sans rancune et sans lacunes, et grosso modo sans le moindre trémolo !

Car bien enfermés dans nos certitudes ou trou noir sans espoir, nous ne trouvons à notre durable calvaire plus aucune issue. Tant le sombre décor qui nous enserre dans ses longs tentacules ne nous promet en retour qu'une obscurité très pesante et toujours présente. A telle enseigne que le moindre ersatz ou reflet de lumière visible chez le proche voisin nous donne l'espoir d'une salutaire ou toute proche délivrance.

Seulement, une fois l'évènement finalement passé ou la crise enfin bel et bien dépassée,nous retournonsvite tels de va-nu-pieds comme de coutume ou de tradition à nos chimères de croyances ou à notre véritable somnolence, aussi incapables que l'avions toujours été, d'allumer cette nécessaire bougie afin de retrouver avec cette lueur d'espoir que produit sa douce mais très utile flamme.

Plutôt que de maudire les ténèbres de la nuit, n'est-il pas mieux indiqué d'y allumer une simple bougie ? On y verra certainement bien mieux, aidés de sa seule lueur.

Plutôt que de longtemps investir dans les chimères de l'illusoire de la fausse gloire, ne faut-il pas seulement mieux croire en ses propres moyens afin de mieux les consacrer après au seul intérêt du pays ? On y réalisera sûrement de très belles choses !