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Les après-attentats parisiens : Patriot Act ou simple état d'urgence

par Abdelhamid Boughaba *

« Les promesses n'engagent que ceux qui les reçoivent ». (Le Président Jacques Chirac)

Les réveils des jours d'après un séisme sécuritaire tel que celui de ce vendredi 13 novembre 2015 sont douloureux et se font toujours avec un goût de cendre dans la bouche, un regard vague et un esprit vaporeux. Comme un boxeur mis groggy par un direct foudroyant et qui tente de se lever de suite en titubant à la recherche de son sparring partner pour prouver qu'il est toujours lucide et apte à poursuivre ce combat qui revêt déjà tous les attributs d'une défaite consommée.

Pris de court comme en septembre 2001, l'Occident dans son ensemble et la France en particulier, pour avoir longtemps été épargné par ces coups de boutoir et fait le dos rond face à la bête, émergent d'un cauchemar aux résonnances historiques et planétaires. Mieux encore, après avoir sournoisement manipuler le Monstre des décennies durant en fonction des contingences du moment, des politiques internes et des alliances circonstancielles, ils sont aujourd'hui contraint à engager le seul combat qui vaille pour gérer cet après-attentat à l'aune d'une crise économique devenue structurelle, d'un contexte de déficit civilisationnel et d'un désarroi politique paralysant.

Les conditions sécuritaires qu'imposent les dernières actions terroristes aussi bien par la fulgurance de leurs exécution, que par la violence, l'énormité des pertes humaines occasionnées ou l'onde de choc provoquée, interpellent toute la classe politique occidentale à fournir des réponses adéquates qui sécuriseraient le présent, ici et maintenant, et tranquilliseront l'avenir, proche et lointain.  C'est pourquoi la prudence et la réflexion auraient dues être de mise avant toute prise de décision fussent-elles élaborées dans un climat de consensus général, afin d'éviter les amalgames et les lois liberticides aux conséquences désastreuses menant vers l'irréparable. Déjà que l'après 11 septembre 2001 renseigne à bien des égards sur les dégâts provoqués par le Patriot Act, préparé longtemps à l'avance, béni et entériné de suite par la représentation du peuple américain, Congrès et Chambre Basse réunis, avec une seule et unique voix contre. On découvre aujourd'hui qu'il ne fut en réalité qu'une réponse aveugle et inappropriée, dictée surtout cette perfide option dédiée à la protection des Etats Alliés du Proche et Moyen Orient et pilotée par l'idée sous-jacente : sécuriser un petit Etat certes, mais le plus grand des Etats Voyous de la région. Le désir réel et incontesté de vaincre cet Organisme monstrueux, Génétiquement Modifié qu'est le terrorisme laisse perplexe et prête largement à confusion. Depuis, le monstre créé d'un commun accord dans l'ambiance feutrée et conviviale des laboratoires de la C.I.A. et du MOSSAD, ou tout au moins armé et soutenu par eux, ne cesse de muter: d'El Qaïda à Daesh, en passant par les GIA, AQMI, BOKO HARAM, AL NOSRA, et plus encore ?

Après l'effondrement des Twin Towers il s'en est suivi donc une mobilisation Générale planétaire sous le couvert et l'approbation du « MACHIN », comme s'amusait le Général De Gaulle à désigner avec mépris l'Organisation des Nations Unies, pour déstabiliser et détruire des Etats laïcs, indépendants et souverains, accusés sans conviction ni preuves tangibles d'en être les instigateurs. Et comme par le simple fait du hasard, il se trouve que ces Etats sont tous, sans exception, arabes, musulmans, ou, à la fois, arabes et musulmans et toujours soutien incontesté du peuple Palestinien. Ils ont pour noms : Irak, Libye, Yémen, Egypte, Soudan, Syrie, Iran, Afghanistan, etc... Ils furent soumis par cet » Occident Civilisé et probe » qui, à une véritable razzia des temps modernes, qui à une pression insupportable, avec en ligne de mire : le contrôle des champs pétroliers et gaziers et asseoir pour longtemps la supériorité militaire du principal corps étranger à la région : l'Entité Sioniste. Oui, mais après ?..... Est-ce que le monstre identifié et visé a été terrassé?.....Oh que néni ! ...... Un gros grain de sable semble avoir, du moins pour l'instant, enraillé « la belle » et redoutable mécanique qui se proposait de recomposer le monde arabe dans son ensemble pour les seuls intérêts de l'entité sioniste et sa main armée, l'Occident, tout en œuvrant à la protection de ces oligarques-jouisseurs arabes, dirigeants obséquieux et criminels, véritables alibis pour les uns et terribles excroissances malines pour les autres.

Le seul résultat tangible obtenu à ce jour par ces « nouvelles croisades » menées avec une kippa sous la croix et la cagoule, est ce sentiment de défiance qui traverse le monde musulman sans distinction, dans toute son épaisseur. Il faut retenir, cependant, que toute une jeunesse (plus de 50% des populations concernées), née ici et ailleurs, qui rejette en bloc et dans le détail cet Occident belliqueux, est née et a grandie dans cette réelle ambiance d'agression permanente qui provoque le ressenti d'une immense injustice et d'une humiliation soutenue, fusil sur la tempe, insultes, irrespect et invective au bout des mots. Tout ce qu'il y a de plus probant pour fragiliser encore un peu plus l'idée que ce nord arrogant et donneur de leçons soit réellement terre de Droit. Il l'est certes, mais ce privilège demeure strictement réservé à la judéo chrétienté, le reste n'étant que publicité trompeuse d'une philosophie au rabais, foncièrement consumériste et mercantile.  

Le trompe-œil est également devenu par les temps qui courent, une autre forme de gouvernance mondiale.

Examinons un instant les premières conséquences de la promulgation de l'Etat d'Urgence, cette forme édulcorée de l'Etat de Siège qui place le pays à la marge du droit, restreint les libertés publiques et sert d'alibi aux « dépassements » et aux dérapages signalés partout en France. Selon le site MEDIAPART, l'avalanche de statistique fournie par le Ministère Français de l'Intérieur révèle :

1072 perquisitions administratives, 253 assignations à résidence, 201 armes récupérées, 139 interpellations, 117 gardes à vue et 77 découvertes de stupéfiants, sans chiffrer pour autant les dégâts matériels occasionnés par la brutalité des interventions. Ethniquement, tous les Français ne subissent pas de la même façon cet Etat d'exception. La cible, à la fois victime du terrorisme et suspecte, est bien évidement la communauté musulmane et quelques familles de convertis. Géographiquement, les interventions sont dans leur grande majorité circonscrites aux quartiers déjà victimes de l'Apartheid urbain. Cela renvoi inéluctablement à ces périodes sombres et honteuses (1939-1945 ou la guerre d'Algérie) de l'histoire de France enfouies dans la mémoire collective et très mal assumées à ce jour par la classe politique, toutes tendances confondues.

Les conséquences laissent perplexe. A la louche: un restaurant dans l'Oise vandalisé, sans résultats, par les Services de Sécurité sous couvert d'une autorisation Administrative (Télévision Française); un sans papiers égyptien de 63 ans, blessé, victime collatérale de l'intervention policière à Saint-Denis, a hérité d'une Obligation de Quitter le Territoire Français sans délais ; un couple mixte, Muhamed (Palestinien d'origine, ingénieur informaticien de 36 ans) et Carole (enseignante) ont subi l'outrage à deux heures du matin dans leur pavillon de banlieue du Loiret avec à la clé une ardoise de 5 000 euros de dégâts, sans aucun résultat (MEDIAPART) ; Daoud, un non-voyant, dénoncé par une voisine qui ne dispose que d'un vieux neurone usager dans sa boite crânienne, s'est vu infliger la totale : perquisition, garde à vue, confiscation de sa canne blanche et assignation à résidence avec obligation de pointer trois fois/jour au commissariat (Beur FM) ; selon la presse, un ancien prisonnier de Guantanamo reconnu innocent, fut soumis à nouveau à l'épreuve de la signalisation (empreintes digitales, photo et prise d'A.D.N.).

Il faut savoir aussi que dans plusieurs cas, les renseignements utilisés par les Services d'intervention, n'étaient pas à jour et que le bulldozer a été lancé sans précautions sur des cibles erronées, vers des adresses non vérifiées où vivent tranquillement des familles d'origine française de souche et des familles d'origines musulmanes, ne figurant dans aucun des fichiers mis à disposition.

Que faudrait-il de plus pour prouver, qu'une grosse semaine après les attentats, une population-cible, faisant partie intégrante du peuple de France, subit de plein fouet les contrecoups de cette décision et vit dans le paradoxe d'une inquiétude insupportable et d'une peur de tous les instants par rapport à ces représentants de la loi, sensés la protéger, sans rien comprendre à ce qui lui arrive. Que les Services de Sécurité soient mobilisés et fassent leur travail c'est une affirmation basique, mais dans ce contexte le respect du cadre légal devient problématique par rapport au droit et à la morale et surtout au vu de l'absence de contrôle par l'autorité judiciaire et du manque de professionnalisme des effectifs lancés pêle-mêle dans la bataille.

Ensuite, une telle décision, revêt aussi des objectifs autres que la seule sécurité des français. Un Préfet, sous couvert de l'anonymat, avoue que l'enjeu est de « densifier l'information, de nourrir les fichiers » en précisant que « Le renseignement n'est pas un film de cinéma, on ne cherche pas le code secret du complot mondial. Plutôt des bribes, des numéros de téléphone, des journaux d'appels ». C'est à se demander ce que faisaient auparavant les Renseignements Généraux et les Services d'Espionnage et de Contre-espionnage ? Ceux qui sont concernés se sentiront à coup sûr outragés.

Dans une telle conjoncture jongler entre le besoin de sécurité et la liberté de chacun devient un exercice d'équilibriste auquel s'adonne malheureusement aujourd'hui la France dans la précipitation et sans la préparation spécifique ni les aptitudes nécessaires. Tout un chacun peut donner libre cours à ses humeurs, ses inquiétudes et ses ressentiments inquisitoires pour pointer du doigt d'éventuels coupables dans un souci de prévention, avec tout ce que cela suppose d'aprioris et de dispense de preuves.

Le décret signé par les ministères de l'Intérieur et de la Justice, dans un style ouvert à tous les vents, stipule qu'on peut intervenir dès lors qu' « une personne dont le comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics » est repérée. Vaste programme sans gardes fous. Et combien même des précautions langagières ont été émises çà et là par certaines personnalités politiques, était-il rationnel et suffisant de décréter une telle situation d'exception en faisant fi des limites qu'une Démocratie qui se veut Modèle s'en affranchisse, même temporairement? Les échos renvoyés par sa mise en application sur le terrain prouvent le contraire et justifient pleinement les inquiétudes des uns et des autres. Et dire qu'il va falloir patienter jusqu'au 26 février 2016, dans la perspective la plus optimiste, pour que la France retrouve ses fondamentaux, que les menaces soient souhaitons-le neutralisées et que la situation revienne ne fut-ce qu'à un semblant de normalité, en attendant mieux, l'éclaircie.

Dans ce contexte, certes délicat, la cinquième puissance du monde, l'un des modèles de Démocratie cité en référence et surtout cette patrie des Droits de l'Homme peut-elle faire l'économie de la sagesse, de la relativisation et de la retenue ou bien est ce par simple naïveté qu'on se fait encore « une certaine idée de la France » ?

* Enseignant Universitaire à la retraite ? Bordeaux