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L'impasse politique paralyse l'économie

par Abed Charef

Le président Bouteflika a fini par admettre la « gravité » de la situation économique du pays.

Le président Abdelaziz Bouteflika a formellement amorcé un virage important en ce début octobre 2015. Lors du conseil des ministres de mardi 6 octobre, il a fini par admettre la « gravité » de la situation économique du pays, et demandé au gouvernement de prendre les devants. Le chef de l'Etat a recommandé à l'exécutif de faire le nécessaire pour que les Algériens se rendent compte de « la gravité de la conjoncture financière », à la suite de la baisse des recettes extérieures du pays, elle-même consécutive à l'écroulement du prix du pétrole.

Corollaire de cette situation, les Algériens doivent aussi mesurer l'ampleur des transferts sociaux, ainsi que leur « caractère unique au monde », avec près de 24% du PIB. Dans le même temps, ils doivent mesurer l'effort de l'Etat en matière d'investissements publics.

Ce type de discours est classique en période de crise. Il prépare généralement le terrain à une politique de rigueur, voire d'austérité. Il sert à alerter l'opinion et à la mobiliser, avant des échéances douloureuses. D'ailleurs, le conseil des ministres n'hésite pas à assombrir le tableau de bord économique du pays, en annonçant une baisse de 50% des revenus tirés des hydrocarbures, et une baisse de 9% des dépenses budgétaires.

Les chiffres évoqués sont en effet inquiétants. Ils sont suffisants pour convaincre n'importe quel économiste de la nécessité de changer de cap, et pour alarmer tout citoyen soucieux de la stabilité de son pays. Un minimum de bon sens devrait inciter le gouvernement à changer de méthode, pour réduire la voilure des transferts sociaux et tenter de trouver des solutions, en recherchant l'adhésion ou, à défaut, la compréhension de la population. Ce que tente d'ailleurs de faire le ministre de la Communication Hamid Grine : dans la grande tradition du parti unique, il a annoncé une mobilisation des relais étatiques, attachés de presse et communicateurs officiels, pour mener une campagne de « sensibilisation » sur les enjeux de la crise.

ON NE CHANGE PAS

Mais la spécificité algérienne a rapidement repris le dessus. Le même conseil des ministres, qui avait adopté un ton alarmiste, se ressaisit aussitôt après, et, après avoir repris ses esprits, assure, pour rassurer : non seulement les transferts sociaux ne baisseront pas, mais ils vont augmenter !

Ces transferts seront en hausse de 7,5% en 2016. Ils représenteront 23% du budget de l'Etat. Ils seront répartis entre 477 milliards de dinars (plus de 4.5 milliards de dollars) pour le soutien à l'habitat, presque autant, soit 446 milliards de dinars, pour le soutien aux ménages, et 316,5 mds de dinars pour la santé publique. Et ce n'est là qu'un volet, car en plus de ces montants budgétisés, il faudra ajouter les subventions indirectes, couvrant notamment « le différentiel entre les prix réels et les prix de cession des carburants et du gaz naturel ». Pourquoi autant de générosité de la part du gouvernement ? Pour faire avaliser, sans trop de dégâts, des augmentations de taxe attendues sur les carburants, la téléphonie et les produits de luxe?

Le décalage entre le constat alarmant établi par le gouvernement et ce qu'il fait est frappant. D'autant plus inquiétant que les propos attribués au président Abdelaziz Bouteflika semblaient indiquer une nouvelle orientation, oubliée entre le début du communiqué du conseil des ministres et la fin du même document.

UN REMEDE PIRE QUE LE MAL ?

Récapitulons. Le gouvernement a mis quinze mois pour finir par admettre, du bout des lèvres, qu'il risque de ne plus être en mesure de maintenir au même niveau la redistribution de la rente, élément essentiel de sa politique économique. Il évoque donc la « gravité » de la situation. Mais, surprise, il n'en tire aucune conséquence. On continue à distribuer, jusqu'au jour où il n'y aura plus rien. En espérant secrètement un miracle, avec un rebond des prix du pétrole à moyen terme.

Entêtement ? Aveuglement ? Incompétence? Non. Rien tout cela. Le gouvernement ne sait rien faire d'autre. Son agenda politique est ainsi fait. Il obéit à d'autres échéances, à d'autres impératifs politiques.

Mais le plus grave est ailleurs. En effet, le mal est si profond que l'immobilisme économique du gouvernement constitue peut-être un moindre mal. Car si l'économie algérienne nécessite des mesures techniques qui, aujourd'hui, ne sont pas loin de réunir un consensus -il suffit de lire le catalogue Nabni pour les connaître-, ces mesures risquent de provoquer un séisme si elles ne sont pas précédées d'un préalable politique. Les lancer sans s'engager dans un changement du modèle de gouvernance mènera, au mieux, à un immense gaspillage de ressources et d'énergies ; au pire, à des dégâts encore plus graves que l'immobilisme d'aujourd'hui.

Il ne suffit pas d'affirmer son intention de libérer l'entreprise pour se lancer dans l'aventure. Encore faut-il être suffisamment crédible pour le faire, suffisamment compétent pour mener à bien les réformes structurelles indispensables, et disposer de l'ingénierie adéquate et des institutions en mesure de mener de front une œuvre d'une grande complexité. Mais plus que tout, il faudra réunir le consensus nécessaire pour que le délicat chemin de la transition soit assumé par tous. Autrement, ce qui apparaît comme une œuvre de réforme économique risque de se transformer en un champ de bataille, dans un pays sans institutions, sans règles et sans arbitre.