La France délire : elle devine à l'avance ce que pensent les
journalistes algériens et anticipe les réponses. Elle donne des leçons
d'humanisme au monde et doute de la sincérité de l'Allemagne d'accueillir à
bras ouverts 800.000 réfugiés. Elle qui tolère 24.000 réfugiés chez elle sur
cinq ans. Sidérant.
On croyait la jalousie propre à l'homme. Voilà qu'on la
découvre ressenti d'un Etat. En l'occurrence, celui de la France ou plus
précisément celui de son élite politico-médiatique : gouvernants et
aristocratie des journalistes. Ces deux castes se mettent ensemble pour donner
des leçons lorsque la France (officielle) trébuche et manque aux principes
d'humanité et de liberté qu'elle prétend avoir enfantés seule et en être la
protectrice. Pathétique cette attitude paternaliste, mélange de compassion et
de mépris vis-à-vis des peuples de son ancien empire colonial ou des immigrés
originaires de cet ex-empire. Ce matin du 08 septembre, le très sérieux journal
« Libération » publie en bonne place une intrigante conférence de presse du
président du Sénat français, Gérard Larcher, en visite en Algérie, avant même
son arrivée en Algérie. Une étrange vraie-fausse conférence de presse
prémonitoire, si l'on veut. Vraie, parce que le journal affirme avoir pu se
procurer grâce à ses entrées au Quai d'Orsay (Affaires étrangères) un document
de 12 pages reprenant le jeu de questions-réponses entre le président du Sénat
et les journalistes algériens à Alger. Injonction est donnée à M. Larcher
d'apprendre par cœur les réponses aux questions des journalistes algériens (on
suppose, donc, qu'aucun journaliste français ne serait présent à la conférence
de presse). Un échantillon de ces questions ? Le poids et le rôle du pouvoir
français dans le choix et la désignation (élection ?) du chef de l'Etat
algérien. Rien que ça ! Le quitus pour que l'Algérie se lance dans
l'exploitation du gaz de schiste ou non. Les interrogations sur la qualité de
la voiture Renault « Symbol », les autres projets industriels en discussion et
jusqu'à l'épuisante question sur la repentance de la France officielle pour ses
crimes coloniaux, etc. Les Français savent tout de nous : ce que nous faisons,
ce que nous pensons, ce qui nous attend et prévoient leurs réponses bien à
l'avance. Cette obsession du monde politico-médiatique français vis-à-vis de la
vie politique algérienne et de l'avenir de notre pays traduit-elle une vraie
inquiétude pour l'avenir du pays, un amour et une amitié sincère ou bien le
refus d'admettre que l'Algérie est, depuis 1962, quoi qu'on en dise et l'on
pense, un pays libre et indépendant, même s'il reste un reliquat colonial à
solder, comme chez tout couple qui divorce après une longue vie en commun ?
Cette obsession d'une Algérie, éternel sujet de la France, ressemble à si
m'éprendre à la jalousie d'un divorcé qui ne pardonne pas à son ex-conjoint une
nouvelle vie plus libre et plus heureuse. Mais il n'y a pas que l'Algérie dans
la mémoire sentimentale française. Il y a aussi l'Allemagne avec qui le monde
politico-médiatique interprète les relations sous le traumatisme de leur
histoire commune. Ainsi, lorsque la chancelière allemande, Angela Merkel, ouvre
ses bras aux réfugiés syriens, irakiens, afghans? et leur souhaite la bienvenue
sans être effrayée par les 800.000 éventuels nouveaux réfugiés chez elle,
médias et politiques français l'expliquent par le « traumatisme » de l'histoire
allemande (la 2e Guerre mondiale et la Shoah) et plus cyniquement par le besoin
de combler son déficit démographique. Comme si la France n'a ni responsabilité
ni complicité dans la Shoah qui a frappé les juifs. 800.000 réfugiés attendus
bras ouverts en Allemagne et 24.000 sur 5 ans tolérés en France ! Et le monde
politico-médiatique français n'a pas honte de critiquer l'Allemagne, lui
prêtant, à bout d'arguments, la stratégie sournoise de vouloir laisser filer
les réfugiés vers les autres pays européens. Il n'y a pas longtemps, Nicolas
Sarkozy, alors président de la République et chef de guerre contre la Libye, a
fermé la frontière avec l'Italie face à quelque 3.000 Libyens rescapés des
bombardements français et a menacé de suspendre les accords de Schengen (libre
circulation intra-européenne). Ce même Sarkozy qui affirme aujourd'hui vouloir
défendre et respecter le droit d'asile aux réfugiés de guerre. La France de
François Hollande n'est pas plus généreuse : le 1er ministre Manuel Valls
n'a-t-il pas déclaré l'année dernière que « les Roms ont vocation à rentrer
chez eux ? » C'est où chez eux, monsieur Valls ? Et les 3.000 réfugiés afghans,
éthiopiens, soudanais? qui végètent dans la « jungle » de Calais ? Pourquoi ne
pas les accueillir ? Pourquoi justifier leur situation par l'argument sournois
qu'ils veulent, tous, partir en Grande-Bretagne ? Chiche, proposez-leur une
régularisation en France et voyons s'ils refusent. Ah, la France, douce France
qui ne peut accueillir toute la misère du monde comme le Liban et le million de
réfugiés syriens qu'il accueille, la Turquie et les deux millions de Syriens
sur son sol, la Jordanie et son million de réfugiés. Qu'est-ce que tous ces
chiffres face aux 24.000 éventuels réfugiés en cinq ans que la France va
tolérer chez elle ? Au-delà de ce chiffre honteux, nous sommes avertis que la
guerre en Syrie va durer au moins encore cinq années. Le déferlement de
déclarations des leaders politiques français lancées dans une surenchère
électorale, reprises et commentées par la planète médiatique dominante trouble
la mémoire du peuple français jusqu'à l'effrayer sur son propre devenir : 49%
des Français sont contre l'accueil des réfugiés contre 43 pour. Une majorité de
Français craignent de perdre leur âme identitaire par l'arrivée « massive »
d'étrangers chez eux. Et ça donne des leçons aux autres peuples et pays du
monde sur la tolérance, la démocratie, les droits de l'homme. Dérisoire chiffre
de 24.000 réfugiés attendus en France sur cinq ans et cette terrible annonce du
chef de l'Etat : engager des bombardements en Syrie pour débarrasser la Syrie
du monstre « Daech » et dénoncer la Russie de Poutine de vouloir en faire
autant. Pourquoi pas la Russie aussi ? Peut-être encore une fois au nom de
l'histoire : la Syrie est un ancien protectorat français et la France n'arrive
pas à se libérer de son paternalisme autoproclamé sur son ancien empire
colonial. Jusqu'à voir dans l'Algérie d'aujourd'hui le miroir de ses fantômes
du passé qui hantent son propre présent. Jusqu'à voir la France comme le centre
du monde, incapable d'admettre que les autres peuples du monde, parmi eux le
peuple algérien, se sont affranchis du colonialisme et sont capables de
construire leur avenir dans une relation respectueuse, équitable et libre avec
les autres, y compris avec les Français et la France.