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LA LEGITIMITE N'EST PAS RECETTE

par M. Abdou Benabbou

Un vieux militant de la cause nationale décédé depuis, harassé par le remords que lui imposait l'indépendance mal assumée du pays n'avait de cesse de répéter que la grande erreur qu'avaient faite les patriotes dans l'ombre, aigris comme lui, était de n'avoir pas investi le FLN. Mais pouvaient-ils s'octroyer les coudées franches pour un fastidieux exercice d'entrisme tant il était établi que les règles imposées par la force des armes ne devaient nullement s'accommoder des idéologies larges qui contrariaient l'implacable nécessité de revanche d'un important pan de la société algérienne que le colonialisme féroce a obligé deux siècles durant à marcher le ventre vide et les pieds nus.

Revanche cependant n'est pas gestion et la réelle souveraineté nationale ne pouvait se suffire des idéaux des rêves aussi forts et aussi légitimes soient-ils. Elle ne peut non plus se suffire des seules prétentions déclarées de distributeurs de bonheur affichés qui n'ont appris à l'ombre des arbres et des casemates que l'unique dextérité du verbe aussi attirant que puisse être leur profil de prophète et aussi séduisante que s'étalerait leur vertu.

Pour assumer pleinement une indépendance nationale, une légitimité quelles que soient sa couleur et son objectivité n'est pas recette. Déclarer la guerre aux cireurs ou rendre la terre à la paysannerie ne sont pas une fin en soi. Ce sont les devenirs heureux du cireur et du paysan qui donnent un sens à la juste souveraineté.

On a crié au scandale cette semaine quand Constantine, la belle, a été submergée par les eaux de pluie et on a montré du doigt des responsables irréfléchis. Mais on a oublié au passage que le sens de la responsabilité n'est pas du tout un gadget que l'on attribue au nom d'une légitimité corvéable à merci et que la gestion conséquente d'un pays ne se fait plus sur la base d'aléatoires auréoles que les conjonctures historiques ont léguées à des têtes carrées qui s'accrochent à un héritage désuet.

Le vieux militant de la cause nationale avant sa mort ne savait sans doute pas que l'indépendance était butin et non responsabilité. Faute d'entrisme, il s'en est allé, laissant derrière lui le cheminement des prophéties trop lourdes à porter et à concrétiser.