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Tout sauf l'arabe ?

par Chaalal Mourad

Je ne suis pas un érudit en pédagogie, mais tout ce que je peux dire, c'est que les maux dont souffre notre système éducatif se trouvent ailleurs que dans la langue-support avec laquelle l'on dispense l'enseignement.

En effet, le mal de notre école réside, entre autres choses, dans son cadre enseignant, non motivé, peu cultivé et dont la qualité ne cesse de se dégringoler d'année en année, proportionnellement au niveau universitaire en chute libre. Que pouvons-nous attendre de ces jeunes universitaires qui, pour fuir une situation de chômage chronique, se retrouvent pris entre deux choix: la casquette (corps constitués) ou bien l'enseignement; les seuls secteurs qui embauchent en masse.

Il est vraiment navrant de nous voir, nous, Algériens, en train de nous chercher désespérément dans l'histoire au lieu d'aller de l'avant et construire notre futur commun. Regarder de temps à autre au rétroviseur de l'histoire est une bonne chose pour se ressourcer et réaffirmer ses références et ses valeurs, mais de là à en faire toute une fixation, cela risque de nous précipiter dans un ravin; car le monde est en course avec la montre.

L'identité nationale est la résultante globale de toutes les composantes socioculturelles du pays, dans toutes les couleurs de son spectre ethnique. Le problème de l'Algérie n'est pas d'ordre culturel ou cultuel, absolument pas !

Toute tentative d'impliquer la culture ou la religion dans le diagnostic du mal algérien n'est pour moi qu'un cheval de Troie qui cache des objectifs occultes.

Il est légitime de défendre sa culture et son identité, on ne sort pas de sa race, de sa culture comme un serpent de sa peau, j'en conviens ! Mais de là à en faire un cheval de bataille, et donner l'impression (légitime d'ailleurs!) que l'on est face à une culture dominante (l'arabe) et des cultures dominées (tamazight), ce qui n'est pas vrai du tout !

Cette démarche répond plutôt à une nouvelle et ancienne théorie, celle de l'occupant arabe et du conquérant musulman des terres amazighes.

On ne peut pas bâtir sa nouvelle foi sur la haine de celle des autres, ni d'épanouir sa culture, sa langue au détriment de celles de ses concitoyens et cela s'applique pour tous.

Opposer la langue arabe à la langue française n'est pour moi qu'un stratagème pour occulter la réalité, celle de la coexistence des langues arabe et tamazight au sein de l'espace public, et notamment dans le monde scolaire. C'est de cela dont il s'agit en vérité ! Pour ma part, je ne suis nullement contre l'enseignement de cette langue, composante essentielle de notre identité nationale, mais que l'on nous le dise clairement, et que l'on en parle explicitement et sans complexe, ni passion, au lieu de faire tant d'acrobaties fatigantes et génératrices de polémique, de malentendus, c'est tout !

Pour les ultras de la mouvance berbériste pure et dure et hautement politisée, ce qui est primordial c'est de couper tout lien supposé avec tous ceux qui représenteraient à leurs yeux l'arabité ou ayant trait avec cette culture, qu'ils réfutent en bloc. L'Arabie saoudite, plus que toutes, se trouve dans leur ligne de mire et de leurs accusations, les Emirats arabes unis, le Qatar, etc. enfin, tous ceux qui, selon eux, reflètent, fût-il même symboliquement, les origines de cette culture arabe «sableuse», qui leur avait bouffé l'air et la terre.

L'arabe étant ainsi devenu pour eux une sorte de culture du désert, qui a envahi «la grande civilisation amazighe», allèguent-ils ?

Me concernant, je n'ai pas vu d'Emiratis, de Qataris ou même de Saoudiens se pointer chez nous pour nous dicter leur mode de vie, leur langue ou même leur bédouinisme, celui-là même qui leur a pourtant permis de convertir le désert en un paradis et des villes garnies de gratte-ciel. Certes, ils souffrent encore d'une carence chronique en démocratie et en droit humain, mais il faut avouer que ces gens ont de la jugeote. Alors de grâce, dites-nous, avions-nous réussi, nous, Algériens, l'un ou l'autre de ces exploits ? Nous ne sommes même pas foutus de faire un trottoir en bonne et due forme.

Au bout du compte, la langue n'est qu'un vecteur de la pensée, une expression de la culture et un moyen de communication entre les hommes, elle n'a jamais été un problème dans l'acquisition du savoir et encore moins la langue arabe. Puisque l'histoire montre que ce sont les Arabes qui ont développé les moult sciences, traduit l'héritage grec et transmis à l'Occident l'ensemble du savoir grec ou presque, revu et corrigé par la vision arabe, ce qui lui a permis de sortir de son obscurantisme mortel. Le débat sur la langue en est donc un faux débat !

En plus, il est bien connu, qu'être un savant ou un génie dans une matière, ne signifie pas nécessairement en être apte à l'enseigner, moralité: ce n'est pas parce que tout le monde se trouve au chômage, que tout un chacun peut enseigner. Les instituts de formation du cadre d'enseignement se trouvent malheureusement «out» par rapport au processus d'élection ou de la formation du cadre professionnel de l'éducation. Je le vois de même dans la surcharge de nos classes, qui rend le processus d'apprentissage et de la participation active dans les cours une affaire rude et pour l'élève et pour l'enseignant. Je le vois aussi dans ces académies (certaines) qui deviennent des nids de la corruption et qui se sont complètement déviées de leurs vocations initiales, pour se convertir en une sorte d'ANEM bis, où certains cadres ne trouvent aucune gêne à embaucher à la tête du client ou au plus offrant, pour ne pas dire autre chose. Les concours d'embauche devenus une sorte de stratagème pour éviter «le vice de forme» si l'on veut, c'est tout !

Des académies qui expulsent (mutent) certains enseignants des villes, démunis du «aarf» (connaissances) vers la campagne et ceux de la campagne (qui ont toujours l'un de leurs proches dans la tribu ou du aarch) vers les villes. Je le vois finalement dans le climat de crispation général et généralisé de nos écoles; l'absence des activités culturelles et scientifiques, compétitives entre une classe et l'autre, entre une école et l'autre et entre une wilaya et l'avoisinante. La distraction de nos élèves n'est que de beaux souvenirs; aucune excursion, aucun divertissement hors scolaire. Voilà en somme les vrais problèmes que pose notre école d'aujourd'hui.

En plus, il est bien connu aussi que la langue mère chez nos concitoyens, aussi bien kabyles que mozabites est le berbère avec ses variantes. Rares donc sont ceux qui parlent chez eux «la darija» et encore moins l'arabe. Que faut-il donc faire pour leurs enfants à l'école ? Leur affecter des enseignants kabyles et mozabites, qui s'occuperont d'eux plus particulièrement ? Et séparer les classes, entres Arabes et Kabyles ?

Au lieu de dissiper les différences culturelles et cultuelles, afin de produire les citoyens de demain, l'école algérienne n'en ferait donc qu'accentuer les différences, j'en ai peur ! Ou bien qu' à défaut d'enseigner carrément l'amazigh pour tous (dont je ne suis pas contre d'ailleurs !), on y opte pour une juste mesure, celle de «la darija», une sorte de passerelle linguistique, à mi-chemin entre les deux, et ce jusqu'à ce que les esprits soient à même de l'accepter sans difficulté ? Belle stratégie !

Qu'il soit intentionnel ou non, l'amalgame s'est malheureusement installé entre l'arabité, enfin la culture arabe et la paysannerie, pour la plupart arabophones, voire même arabophiles et le massacre que cette dernière a opéré dans tous les secteurs de la vie publique et économique du pays et plus particulièrement l'école et l'université. Cette mauvaise paysannerie, complexée, qui fit sienne la culture arabe et même la religion, alors qu'elle est loin, trop loin même de l'esprit de ceux-ci, car et, comme disait un orientaliste, pour être musulman, il faut être hautement civilisé. L'arabe ou même l'islam ne sont donc malheureusement perçus qu'à travers cette mauvaise paysannerie, qui s'est rendue championne dans les âneries.

Une petite anecdote dont je me souviens, celle d'un ami qui me raconta sa visite guidée au palais de l'Alhambra, en Espagne. Le guide leur expliqua les secrets de l'architecture moresque et les techniques très avancées utilisées en ces temps, aussi bien pour la captation de la lumière du soleil, que celles pour faire circuler les eaux et le système de mise à l'égout. Eh oui, cela existait bien avant Paris ou Rome... Alors, notre guide ne cessa de répéter, en espagnol: «trabajo moro», c'est-à-dire, travail arabe, pour dire que c'est un travail intelligemment fait et minutieusement réalisé. Mon ami et à chaque fois qu'il entendit dire cela, il riait. Le guide remarqua ce comportement maladroit et déplacé de la part de son hôte et lui dit: mais pourquoi riez-vous, monsieur ? Mon ami lui répond: cette expression se dit à ce jour chez nous, mais elle a un sens complètement opposé à celui que vous visez ! Travail arabe devient désormais synonyme de travail bâclé, mal fait et triché ?

Parlons chinois ! Mais construisons ce pays, bon sang ! Le vrai handicap n'est pas celui de la langue ou de la culture ou même le de la religion mais celui de nos têtes, de nos bras cassés et, surtout, de la volonté de vivre ensemble en respect mutuel.

Le non-dit: est que l'école algérienne partiellement «arabophone» qui nous a formés jadis est une structure qui ne fait sortir que des terroristes, des islamistes et des esprits obscurs. Ce qui est une marque de non-respect à une majorité d'Algériens.

Essayer donc de trouver des applications politiques à la culture, à la langue ou bien même à la religion est une très mauvaise idée, qui ne profite point au vivre ensemble ni au caractère séculier de l'Etat.

Du coup, le Kabyle prend conscience de sa culture et cherche à marquer sa différence, comme si elle était menacée; brusquement le Mozabite se souvient qu'il est différent des autres et qu'il se sent doublement opprimé et dans sa culture et dans son culte, par le frère «Malikit» avec lequel il a pourtant partagé le pain et le destin des siècles durant, et que l'Arabe se voit lui aussi dans l'obligation de défendre son arabité et que l'islamiste s'autoproclame défenseur de la foi, etc.

Où allons-nous les mecs ? Nos aïeux ont toujours vécu ensemble, sans que ces variantes culturelles ne deviennent pour eux une sorte de susceptibilité ou de complexe qui les empêchaient de se regarder aux yeux. Il vivaient ensemble, en paix, se respectaient, faisaient du commerce, se mariaient, etc. Maintenant, au temps des lumières et, surtout, des menaces singulières qui pèsent sur notre Etat-nation, certains (de part et d'autre) cherchent à jouer à un jeu dangereux.

La nation moderne est une entité subjective, entière et indivisible, elle est continue dans l'histoire et dans le présent, elle se projette dans le futur commun de tous ses citoyens. Je crains que les Algériens n'arrivent plus à vivre ensemble sans se maudire les uns les autres...

En toute amitié. Votre concitoyen !