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Immolation, feu, incendie, pureté : l'intégrisme ne prend pas de «s»

par Kamel Daoud

Quel est le lien entre Moaz Al Kassasbeh et Ali Dawabshah ? Les deux ont été brûlé vifs. L'un par Daech au nom de l'Islam l'autre par l'autre Daech du Grand Israël religieux. Le même extrémisme. Qu'est-ce que l'extrémisme ? C'est la première religion du siècle. Brûler est atroce et cela correspond à ce que veut l'extrémiste : incendier, effacer, purifier, terroriser pour instaurer. C'est une maladie qui veut posséder toutes les religions, des terres, tout le ciel et les hommes et le sens et les livres et les mots et les réduire à l'onomatopée du crime. Le bébé brûlé en Cisjordanie laisse une image impossible à supporter. L'atroce silence du pilote jordanien encagé regardant le feu est impossible à revivre en image. Brûler est aujourd'hui convertir ; on brûle l'homme et le monde au nom d'un livre, une terre ou d'une pureté de nation. Mais brûler s'étend aussi aux langues, livres, différence. Chez nous, une simple rumeur sur l'usage de la langue algérienne en cycle primaire, pour faciliter la transition entre la langue maternelle et la langue imposée, a provoqué l'hystérie. La peur, la férocité puis la violence : les islamistes et les conservateurs vivent de leur statut d'intermédiaires et de courtiers entre nous et Dieu ou les ancêtres. Leur ôter le privilège de la domination linguistique par l'arabe, c'est menacer leur pain de parasites, leurs statuts, leur caste et leurs positions sociales au-dessus de la plèbe (la langue algérienne est dite plébéienne par eux, El 3amma). Que fera un membre de l'association des ulémas s'il ne se fait pas payer au nom d'Allah ? Il mourra de faim. Donc l'algérien comme langue terrifie ces gens qui ne savent rien faire d'autre que de jouer les intermédiaires ou enfanter des aliénés qui crachent sur la maternité de ce pays au nom de l'Arabie ou de la haine de soi et des siens. Des gens qui ne savent plus inventer depuis des siècles sauf des avis affreux ou brûler les livres des autres ou crier au scandale pour un genou de femme mais pas pour des fraudes d'élections et des corruptions scandaleuses.

Cela s'est passé de même dans les siècles anciens en Occident : dès que le latin s'est vu menacer par les langues nationales des nouvelles nations, il a brûlé, incendié, tué et jugé et pendu et s'est caché derrière le vieux argument : Dieu est intouchable, la langue est donc intouchable et donc mes privilèges sont intouchables et je suis intouchable et qui ose me contredire est traître, maudit, impie. A brûler, excommunier, pendre et licencier. Des siècles plus tard ces maladies reviennent : brûler ce pays au nom de l'Arabistan fantasmé. Brûler la langue au nom de la langue céleste ; Brûler un enfant au nom de la pureté de terre et de la race, brûler un pilote au nom d'Allah et son désert. Brûler est l'art obscur de l'intégrisme transnational. L'au-delà de l'intégriste est un feu qu'il rapatrie ici dans chaque geste. Le monde des intégristes est un binaire fou entre un paradis peuplé d'assassins et un enfer peuplé de bébés et de pilotes ou de femmes mal voilées.

Il faut donc dénoncer l'immolation de Ali, le meurtre par le feu du pilote jordanien, il faut soutenir Benghebrit, la ministre de l'Education, contre les courtiers de Dieu ou de la mémoire mais cela ne suffit plus. Il faut faire plus, agir. Car c'est une maladie mondiale : sa forme la plus banalisée est l'intégrisme dans les rues, les fatwas, la race pure et l'inquisition au nom de la langue. Sa forme aboutie est le génocide, le tueur sur la plage, l'immolation de l'enfant au nom de la race ou l'autodafé du monde au nom d'un seul livre. Quand les gens parlent de langue pure, nation pure, Islam pur, terre pure, ils finissent par vouloir purifier le monde. C'est à dire le brûler vif et incendier ses belles différences.

Atroce monstre qui se nourrit de lui-même : le tueur de l'enfant palestinien nourrit sa folie de la pureté et alimente l'extrémisme des nôtres et leur fantasme de pureté, de guerre et de feu. Et ainsi de suite. Même tueurs sous des habits multiples, nourrissant la même rancune, se ressemblant étrangement du salafiste à l'ultra orthodoxe en Israël, à l'illuminé au nom de l'Evangile. Rêvant tous de nous tuer tous par le feu. Même faciès, mêmes arguments, même but, même geste, même crimes et mêmes théories fumeuses sur une terre pure, une langue céleste, un livre inhumain et un ancêtre exclusif.

Non, le mot intégrisme n'est pas pluriel, il est unique. C'est le même et se nourrit de lui-même.