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Le foncier privé soumis aux lois de l'indigénat

par Y. Mérabet



Deux grandes lois célèbres du Sénatus-Consulte qui reconnaissent la propriété indigène. Dans un premier temps, le sénatus-consulte du 22 avril 1863, par lequel les tribus de l'Algérie sont déclarées propriétaires des territoires dont elles ont la jouissance.

1ère partie

La loi du 28 avril 1887: prolonge le sénatus-consulte en procédant à la délimitation des tribus, à la formation des douars et au classement des terres selon la nature de leur propriété. Se définissent alors les statuts, catégories de droit qui régissent aujourd'hui les biens fonciers, domaine de l'Etat, biens communaux, biens collectifs, propriétés privées. Pour ce qui concerne les parcours en particulier, toutes les parties boisées sont rattachées au domaine de l'Etat, avec un droit d'usage limité pour les populations riveraines.

La loi Warnier 1873 : après la mort de Napoléon III, les colons ont fait pression pour la privatisation des terres et l'ouverture du marché foncier. En un peu plus d'un siècle, la colonisation n'a pu achever la réalisation du schéma foncier qu'elle avait envisagé pour constituer la propriété privée. Les trois cinquièmes des terres n'avaient pu être immatriculés. Les procédures coûteuses pour établir la propriété avaient surtout profité aux Européens et à ceux qui étaient proches de l'administration coloniale capables de payer les frais d'enquête. Les colons se taillèrent la part du lion : 2 730 000 ha, 27% de la SAU du pays (surface agricole utile). Les grands propriétaires algériens, 5499 propriétaires (1,3% de l'effectif des propriétaires) ont accaparé 1 685 756 ha, soit 23% des terres indigènes. Nous savons que la majorité, constituée de petits paysans et d'ouvriers agricoles misérables soumis à des disettes fréquentes, vivait dans un extrême dénuement.

La nationalisation des terres des colons en 1963 a fait retour à la collectivité nationale. Un siècle après le sénatus-consulte, des 2 730 000 ha auxquels sont venus s'ajouter la même année les terres nationalisées aux propriétaires algériens de 180 000 ha.

LE DROIT DE CULTIVER LA TERRE

L'impact foncier de la réforme agraire sur la propriété privée fut des plus modestes. 400 000 ha furent expropriés sur les 5 500 000 ha détenus en propriété privée, soit 7,2% les plus grands efforts au Fonds national de réforme agricole et celui des collectivités territoriales (600 000 ha). La loi d'orientation foncière (1990) annule la loi de réforme agraire de 1971 et restitue les 400 000 ha à leurs propriétaires. Au total, la surface des terres publiques est de 3 400 000 ha. La loi d'orientation foncière de 1987 sur le domaine public instituait un droit individuel d'exploitation cessible et transmissible au profit des salariés des exploitations agricoles d'Etat. Il s'agit non d'un droit de propriété, mais d'un droit de cultiver. Les attributaires de ce droit d'exploitation doivent exploiter en commun sur les terres qui leur sont affectées. Ce sont ainsi constitués sur les ex-domaines de l'Etat des exploitations agricoles collectives indivisées (EAC-170 277 ha sur 1 910 109 ha) et 17 632 exploitations agricoles individuelles (EAI) sur 222 246 ha. Soit au total 2 132 335 ha, 166 234 ha ayant été affectés aux fermes pilotes d'Etat. La loi de 1990 de restitution des terres a totalement ignoré les droits acquis des attributaires à qui elle avait concédé des droits. Depuis 1987, 16 ans après, le conseil de la wilaya de Tiaret se réunit encore pour la délivrance des titres reconnaissant le droit d'exploiter sur les terres publiques.

Chaque année, des dizaines de milliers d'hectares sont réquisitionnés à des fins d'urbanisation, sans indemnisation. Les exploitants attributaires des droits d'exploitation, la paysannerie pauvre et les ouvriers agricoles ont perdu tout soutien politique. Se repose la question du statut et de la destination des terres du domaine privé de l'Etat. Le recensement agricole de 2001 donne 2 541 876 ha pour le domaine privé de l'Etat (30,05% des 8 458 680 ha de SAU), quelque 600 000 ha ont été sous-traités, sans doute livrés à l'urbanisation sauvage du domaine privé de l'Etat.

LA DEGRADATION DES STRUCTURES FONCIERES PAR LA REFORME AGRAIRE

Le démembrement de la grande exploitation est le fait le plus marquant de l'évolution des structures foncières de ces quinze dernières années. A la fin des années 1970, les grandes exploitations de plus de 100 ha couvraient encore 42% de la SAU (3 252 680 ha). En 2001, la grande exploitation ne concerne plus que 11,7% de la SAU (990 825 ha). Si la grande exploitation est en voie de disparition, le nombre de très petites et petites exploitations a fortement progressé. Il passe de 437 000 en 1961 à 716 975 ha. Les superficies cultivées par ces exploitations passent de 18,7% de la SAU à 25,5%. La taille moyenne régressant de 4,74 ha à 3 ha. Elles sont donc plus nombreuses et plus petites. La superficie moyenne des 1 023 000 exploitations, un accroissement de plus de 60% de 1960 à 2001, est passée de 11,9 ha à 8,26 ha. Tout indique, il est clair, qu'une telle structure ne favorise pas la modernisation d'exploitation et l'investissement. Il n'y a plus assez de terres pour employer et nourrir ceux, toujours plus nombreux, qui sont en surnombre sur les exploitations

Une loi de réforme agraire est promulguée en 1971, Boumediene tentant de briser le système féodal du khammessat, sorte de métayage particulièrement injuste. Il affaiblit aussi le poids des notables locaux en majorité de grands terriens, il instaure la dictature et le mépris sur ceux qu'il appelle «bourgeois'

UNE REFORME AGRAIRE SELECTIVE

Une loi de réforme agraire est promulguée en 1971, Boumediene tentant de briser le système féodal du khammessat, sorte de métayage. Il affaiblit aussi le poids des notables locaux en majorité de grands terriens, il instaure la dictature et le mépris, il pénalise le cultivateur privé, le traitant de méchant bourgeois. Le premier gouvernement de Ben Bella dura de septembre 1962 à septembre 1963. Il fut consacré aux mesures démagogiques anticoloniales, à l'instauration des institutions politicologue-constitutionnelles de la République algérienne, et aux pansements des grandes séquelles héritées par une désastreuse guerre de libération avec 1500 000 chahids, en grande partie des paysans.

La menaçante phrase de Ben Bella «La valise ou le cercueil» fut facilité par la «fuite» imprévue de la population française après l'échec de l'OAS (Organisation Armée Secrète), et par 2000 disparitions d'Européens enlevés par des militants du FLN en 1962. L'exode de 90% des Français en quelques mois priva l'Algérie de l'encadrement prépondérant des Français pieds-noirs et créa un vide dans les secteurs économique, administratif et culturel, paralysant le nouveau gouvernement. Une partie des biens mobiliers et immobiliers abandonnés (logements, petites entreprises industrielles) fut rapidement acquise à des prix de faveur par la nouvelle bourgeoisie algérienne. La récolte et les équipements meublant les maisons abandonnées et les fermes coloniales sont pillés par la population autochtone. L'exode rural des paysans vers les villes et la fuite des colons laissa un vide dans l'agriculture.

La réforme agraire était attendue avec impatience par les masses paysannes et militantes dans l'espoir d'être les prioritaires de recouvrer leur bien foncier confisqué par l'administration française. Espoir perdu, ces biens seront une seconde fois confisqués par l'administration algérienne et redistribués à une autre tranche d'Algériens. Le colonel Boumediene a pratiqué sur ces malheureux paysans la machiavélique logique du butin de guerre en les privant de leur bien ancestral, pour venger sa famille de métayers. En 1954, les musulmans possédaient 68% de la terre cultivable, mais le pourcentage des bonnes terres utiles était très inférieur, la terre occupée par les colons étant la plus fertile et la plus rentabilisée. Les colons disposaient de 22.000 parcelles, soit une superficie de 2,7 millions d'ha. La concentration était maximale dans les terres les plus riches, à culture intensive (environ 600.000 ha) avec 90% de la propriété aux mains de 6835 propriétaires possédant des parcelles supérieures à 100 ha. La surface cultivée était évaluée à 10 millions d'ha dont 2,7 aux Européens et 7,3 aux musulmans.

Le peuple des Aurès et de la Kabylie, le plus pauvre, s'était battu pour l'inégalité du partage de la terre. Les fellahs demandaient le fractionnement de la terre des colons, alors que l'agriculture algérienne exigeait en raison de l'irrigation une discipline collective. La mesure initiale de la réforme agraire fut l'opération labourage lancée en octobre 1962 qui engagea toute la population paysanne à restaurer sauvagement la culture des terres abandonnées: le succès ne fut pas spectaculaire mais permit à l'Algérie au printemps 63 d'avoir pour démarrer une récolte céréalière sans sacrifier les vignes.

Le 22-10-62, les transactions relatives aux propriétés vacantes furent interdites, et une ordonnance précisa les normes d'autogestion des propriétés réquisitionnées. Le gouvernement légalisa ainsi une tendance spontanée des paysans et des ouvriers agricoles qui avaient constitué des comités de gestion pour réaliser les tâches les plus urgentes pour les terres abandonnées. La loi de mars 63 et les décrets donnent définitivement la législation sur les biens vacants et l'autogestion des terres. La propriété des entreprises collectives organisées en coopérative de production était nationale (non «étatique»), confiant la gestion aux travailleurs. L'autogestion s'appuyait sur un système pyramidal: à la base, l'Assemblée générale des travailleurs nomme un conseil élargi au sein duquel sont élus les membres du Comité de gestion; à côté du président du Comité siège le directeur nommé par le gouvernement. L'autogestion comprenait aussi une distribution des bénéfices aux travailleurs comme moyen d'incitation à l'augmentation de la production. Mais le poids de la tutelle des vieilles «sociétés agricoles de prévoyance», organe technique, existant sous la colonisation, et responsable des crédits, entraîna, à cause de la maigre volonté politique des pouvoirs publics, un ralentissement productif et une autodéfense des intérêts des membres face au reste du monde paysan.

Au secteur autogéré furent soumis un million d'ha y compris les surfaces les plus fertiles (vignes, plantations d'agrumes). En mars 63, d'autres terres de colons furent expropriées (la nationalisation de la propriété de l'ex-sénateur Burgeaud eut une signification symbolique, et fut la fière propagande des discours de l'époque). Et le 1er octobre 1963, Ben Bella annonça à la nation que pas un hectare de terre algérienne n'appartenait à un propriétaire étranger! Belle consolation pour les paysans algériens qui pour la plupart n'avaient rien gagné au change!

La nationalisation des terres, facilitée par la fuite des colons, aboutit par conséquent à la création d'une catégorie de paysans privilégiés, et ne pouvait suffire à régler la faim des masses rurales et ne possédant aucune qualification sur les travaux de la terre. Il aurait fallu s'attaquer aux gros cultivateurs nationaux pour détruire le système agraire de l'époque coloniale par haine et vengeance sur un système colonial agricole réussi.

La «révolution agraire» s'arrêtait face aux intérêts des notables musulmans, de la grande propriété indigène; et les mesures démagogiques anticoloniales masquaient la non remise en question des rapports de classe. Ben Bella au congrès du FLN d'avril 1964 promit encore une fois de poursuivre la réforme agraire, sur les terres abandonnées par les colons, il n'était plus question des terres appartenant aux arrouchs et au privé algérien, mais ses paroles ont été trahies par son bras droit et auteur de son renversement du pouvoir le sieur monsieur Houari Boumediene ?

Le secteur nationalisé sous la responsabilité des comités de gestion couvrait 2,7 millions d'ha (soit la totalité des terres possédées par les colons avant l'indépendance). Où y vivaient 100.000 familles de paysans soit un million de ruraux privilégiés pour 7 à 8 millions de paysans déshérités! Belle réforme agraire! Ce secteur couvrait donc les terres les plus riches du pays, un tiers du total des terres cultivées mais 75% du produit agricole algérien et 60% des exportations. En 1968, le secteur autogéré couvrait 2,3 millions d'ha avec 1953 unités de travail, 180.000 paysans employés à titre permanent. La production équivalait à 60% de la production agricole nationale, soit un recul en % par rapport à 1962. Le secteur autogéré limité à une fraction exiguë de la population agricole aggrava donc le dualisme entre le secteur moderne nationalisé et le secteur traditionnel soumis comme avant l'indépendance à un régime de survie! En effet, à la fin de 1963, à côté des 200.000 travailleurs du secteur autogéré, l'agriculture algérienne comptait 450.000 travailleurs saisonniers, 1 million de chômeurs sans terre ni travail, 450.000 paysans propriétaires de parcelles comprises entre 1 et 10 ha (au total 1.400.000 ha), 170.000 petits propriétaires de 10 à 50 ha (au total 3 190.000 ha), 25.000 gros propriétaires de plus de 50 ha (au total 2.800.000 ha).

LA TERRE PRIVEE ET LA LOGIQUE DE BUTIN DE GUERRE

Sur une superficie cultivée était évaluée à 10 millions d'ha dont 2,7 ha occupés par les colons d'origine européenne et 7,3 ha appartenaient aux terriens d'origine musulmane conforme au partage du Sénatus-Consulte. Les terres accaparées aux indigènes par les colons français représentaient plus de 2 millions d'hectares, il ne restait que 300 000 hectares titrés à la veille de l'indépendance, que le colonel Boumediene a nationalisés dans sa logique du butin de guerre (ghanima). Cette pratique mafieuse a créé des différends entre les notables du pays et les décideurs politiques.

RESTITUER LA TERRE A SON PROPRIETAIRE LEGITIME

L'Algérie a été le grenier de l'Europe et malgré les contraintes physiques évoquées qui se sont accentuées au cours des siècles, elle assurait son autosuffisance et bien mieux exportait à l'étranger, ce qui était l'œuvre du privé. Faut-il aller vers la privatisation ou perpétuer le système de la politique agricole en vigueur ? La terre doit bénéficier d'un traitement de choc et en urgence. Restituer la terre à son propriétaire légitime, c'est la meilleure des réconciliations que Bouteflika pourrait faire. Le meilleur gardien de la terre est son propriétaire. La terre la mieux travaillée, la mieux défendue, la mieux protégée, la mieux choyée est celle qui appartient au privé. Seul le privé peut faire face aux aléas des forces négatives de la nature.

Les cultivateurs algériens se composaient également de grands terriens mais surtout de nombreux fellahs qui possédaient de petites parcelles titrées souvent travaillées en commun dans l'indivision, c'est le Sénatus-Consulte de qui leur donne droit de pleine jouissance de leur propriété terrienne. La surface totale de la catégorie indigène ne dépassait pas trois cent mille hectares. Leurs propriétés étaient souvent reléguées à l'arrière-fond, difficiles pour l'accès et aux fins de transactions. Dès l'annonce du «cessez-le-feu» le 19 mars 1962, les colons ont commencé à abandonner leurs terres avant même la déclaration de l'Indépendance le 5 Juillet 1962. Ils avaient la possibilité d'entamer les récoltes prévues en juin, mais leur départ précipité voulait plonger le peuple dans la misère

Le premier président algérien, Ahmed Ben Bella, était dans l'obligation de récupérer ces terres pour sauver la récolte qui était d'ailleurs considérée comme la plus belle production depuis le début de la colonisation. Il va les confier automatiquement à des Algériens pour combler la vacance, sans penser que ces terres appartenaient aux tribus indigènes et ont été spoliées de force par les colons et que ces malheureux indigènes ont été les premiers à regagner le maquis pour libérer leur terre et récupérer leur dignité. Mais voilà, après l'indépendance en 1962, les terres indigènes au même titre que celles des colons ont été récupérées de force.

Ces vastes propriétés ont été nationalisées aux Algériens et redistribuées à d'autres Algériens non pas individuellement, mais sous forme de domaines gérés par un collectif. Ce sont les «domaines autogérés». Si le sentiment nationaliste a prédominé à l'aurore de l'Indépendance, et qui va, tant bien que mal, inciter les ouvriers à donner le meilleur d'eux-mêmes, pour travailler la terre et se supporter, il sera difficile néanmoins de maintenir cette cohésion au sein des équipes. Car, la politique socialiste, appliquée comme programme de l'Etat, va être à l'origine d'un comportement d'assisté et va donc porter un coup grave à l'initiative et à la libre entreprise et aujourd'hui les résultats de cette propagande escomptés sont émouvants. Ce phénomène qui va se répercuter d'ailleurs aussi bien chez le fellah, que chez l'ouvrier, que chez le fonctionnaire... La discipline perd sa rigueur, la responsabilité se volatilise et, par contrecoup, la gestion devient obsolète. Ce qui est désolant, c'est que cette démobilisation a atteint tous les secteurs, et ce qui est encore plus grave, c'est que les gens qui voulaient travailler sont pris à partie par les «tirs au flanc». S'agissant des domaines autogérés agricoles, ils ne sont plus qu'un produit bon marché pour les faiseurs de politique, considèrent le bien indigène un butin de guerre. Ce spectre va porter un coup fatal à la production nationale puisqu'il s'agit de la plus fertile et de la plus grande superficie terrienne. Beaucoup d'autres facteurs vont s'ajouter à ce comportement délétère:

LA SPECULATION DE L'ETAT SUR LES TERRES PRIVEES

Ceux à qui l'Etat a légué le bien du privé algérien par des titres de concession, sont considérés comme des braves et logés à meilleure enseigne. Cette attribution au titre de la concession, au lieu de la privatisation, décision prise pour ne pas offenser la mémoire de nos chouhadas n'est pas une solution. C'est une spéculation dont aucun Etat du monde ne tient plus compte. Posséder la terre n'est pas une action antinationaliste. Toutes les terres du monde se sont abreuvé du sang de leurs habitants. Ce n'est pas pour autant que les dirigeants qui ont laissé la terre à des propriétaires privés, ont commis une faute à l'égard de leurs martyrs. Tous les pays du monde, qu'ils soient croyants ou non, ont leurs martyrs. Si on veut honorer la mémoire de nos chouhadas c'est tout d'abord de ne plus recourir à l'achat des produits alimentaires de l'extérieur. Ce qu'il faut, c'est sacraliser la terre à hauteur du respect que nous vouons à nos chouhadas, pour laquelle ils se sont d'ailleurs sacrifiés. Il est désolant de se voir répondre par le marchand des fruits exhibant le pactole des oranges : celles-ci viennent du Maroc, celles-là d'Espagne ou encore celles-là d'Égypte... et point d'algériennes. Et il y a plein d'exemples.

En 1987, le régime de Chadli décide de restituer la terre à ses propriétaires légitimes, morceler les domaines autogérés, devenus un marchandage et de corruption. L'opération de Chadli visait à rétablir l'ordre dans le secteur agraire et rendre justice au privé agricole. Les domaines sont remplacés par des Exploitations agricoles collectives (EAC) ou individuelles (EAI) plus petites et plus faciles à brader. Les membres de ces nouvelles exploitations sont désignés parmi les travailleurs des anciens Domaines. Ils reçoivent tous un arrêté qui précise la contenance et la délimitation des terres, suite à des vérifications opérées par le cadastre sur les documents matriciels pour s'assurer bien que cette parcelle de terre n'appartenait pas à un privé (collectif des arrouchs). L'arrêté est censé théoriquement protéger le bénéficiaire de toute décision arbitraire, sauf sans le cas où une personne morale ou physique présente des titres ou des documents justifiant son appartenance bien avant la nationalisation. En principe il ne peut être déchu de ses droits d'exploitant que par décision de justice. La réalité est différente. Durant les années les plus effroyables du terrorisme des milliers d'exploitants fuient les campagnes pour échapper à la terreur. Leurs terres seront dans la plupart des cas réattribuées de façon frauduleuse au profit des affairistes et des pontes du régime, pour soi-disant assurer à ces renégats une «retraite-vieillesse» dorée. En fait ces affairistes, pontes du régime et anciens moudjahidines, comblés par ces mesures ne sont pas ceux qui sont dans le besoin, mais ceux qui jouissent déjà de privilèges de toutes sortes et notamment de militaires et de hauts fonctionnaires qui rêvent de terminer leurs vieux jours dans de superbes «ranchs». Bien sûr ils ne se compromettront pas de façon grossière. Bien sûr, ces terres accaparées seront mises au nom de leurs enfants. Des circulaires contraires à la loi sont pondues pour permettre à l'exploitant corrompu et fainéant de céder le lopin de terre à un puissant, au fait il a rien perdu? Les notaires sont autorisés par simple instruction ministérielle d'établir des actes de cession. Les walis entérinent ces actes illégaux qui finiront par être légalisés grâce à la nouvelle loi foncière d'août 2010.

En novembre 1990, le gouvernement réformateur de Hamrouche, qui a mis le cap sur le capitalisme en maquillant ses choix pour tromper le peuple, et l'Assemblée nationale présidée par Belkhadem décident de restituer les terres nationalisées du temps de Boumediene en application de l'ordonnance du 8 novembre 1971. La contre-révolution agraire de Hamrouche est présentée sous le nom de Loi d'orientation foncière. Mais les terres nationalisées entre 1963 et 1965, terres confisquées par l'Etat algérien pour sanctionner les gros propriétaires terriens et les paysans autochtones ne sont pas du tout concernées par cette affaire loi. Il faudra attendre encore 5 ans pour qu'au plus fort de la terreur intégriste Zeroual décide de s'attaquer aux terres nationalisées entre 1962 et 1965.

LES PREMICES D'UNE REVOLTE PAYSANNE

Un domaine autogéré du collectif n°1, près de Draa Ben Khadda dans l'Algérois appelle son collectif à une insurrection contre la famille Ismail, des propriétaires terriens depuis la nuit des temps et protestent contre l'annulation des titres de concession conforme aux lois en vigueur. Des responsables d'associations, des représentants de l'APC, ont répondu à leur appel pour marquer leur solidarité avec leur juste combat de s'accaparer de la terre des autres. Aucun journal, à l'exception d'Alger républicain, n'a jugé utile de répondre à leur invitation pour en informer ses lecteurs. On lira ci-dessous leur Appel. Leurs luttes s'inscrivent dans la continuité du combat mené par les martyrs de la guerre de libération disent-ils. Le combat des enfants du peuple contre la revanche des collaborateurs de l'oppression coloniale se poursuit aujourd'hui, en dépit du mur du silence.

« Nous, membres de l'Exploitation Agricole Collective N°1 qui porte le nom du valeureux chahid Hamdani Amar, tenons à informer la population de Tirmitine, de la HOGRA dont nous sommes victimes, au su et au vu de tout le monde. Les terres que nous exploitons appartiennent à l'Etat, et à personne d'autre. La famille Smail de Tirmitine qui se prévaut de posséder 2000 ha tente par des voies innommables de se réapproprier ce que l'Algérie lui a enlevé en 1962 pour collaboration avec la colonisation française. Et cela nul ne l'ignore. Ne nous cachons plus, les habitants de Tirmitine savent ce qu'ont les Smail, comme mal, à nos parents et à nos grands-parents. Nous considérons que nous ne sommes pas en 2013 mais en 1954. Nous ne voulons pas raviver les vieux démons, mais la famille Smail nous pousse par ses agissements honteux à ne pas nous laisser faire. Le combat de nos parents et de tous les martyrs ne restera pas vain. Et cela, nous le promettons. Ce n'est pas parce que nous appelons au calme et attendons vainement l'intervention de l'Etat que nous avons peur. Nous ne pouvons pas avoir peur, tout simplement par ce que le droit est de notre côté. Nous prenons à témoins la population de Tirmitine et toutes les autorités sur les risques que peut engendrer la situation qui s'aggrave de jour en jour. Nous, en tant qu'exploitants, ne devons avoir comme seul et unique interlocuteur que l'Etat. Nous avons raison parce que : seul l'Etat nous a attribué les terres dont il est propriétaire. Ce sont nos pères et nous-mêmes qui en avons fait une fierté agricole. La question du livret foncier est toujours en justice. L'annulation des arrêtés de restitution établis en violation de la loi est en cours au niveau du Conseil d'Etat. L'exécution d'un jugement qui ordonne notre expulsion a été établie en violation de la Loi.

Nous sommes des citoyens algériens, respectueux des lois du pays et de sa justice, mais nous ne pouvons pas accepter cette Hogra manifeste. Nos parents ont été trop victimes d'exactions du colonialisme pour que nous puissions aujourd'hui les admettre. Nous ne voulons que nos droits dans le strict respect des lois et à ce titre :

Nous ne nous laisserons jamais faire ! Qu'on le sache

NOUS NOUS BATTRONS JUSQU'AU BOUT

Notre combat fait partie des valeurs constantes de l'Algérie indépendante. Nous sommes de dignes héritiers de ceux qui ont donné leur vie pour l'Algérie. Nous estimons que notre combat est aussi celui de tous ceux qui luttent contre la Hogra d'où qu'elle vienne et de ceux qui n'ont pas oublié les un million et demi de chahids »

L'ECHEC DE LA REFORME AGRAIRE

S'agissant des domaines autogérés agricoles, ils ne sont plus qu'un spectre, ce qui va porter un coup fatal à la production nationale puisqu'il s'agit de la plus fertile et de la plus grande superficie terrienne. Beaucoup d'autres facteurs vont s'ajouter à ce comportement délétère:

- Les décisions concernant les choix de la culture ne relevaient plus de l'initiative du groupe, mais étaient centralisées, dictées par Alger. Cette stratégie de la politique agricole se voulant être sécuritaire dont l'objectif était de répondre à l'autosuffisance nationale en favorisant telle production au lieu d'une autre, avait malheureusement ses points faibles. A cause, d'une part, du manque d'experts en la matière à l'époque, et d'autre part, par la prévalence du politique sur l'économique, ces facteurs ont été à l'origine d'une fragilisation de la production, car ils ne tenaient pas compte ni de la qualité du sol, ni de la semence à envisager, etc. Ce que les ouvriers ont toujours contesté.

- Les ouvriers agricoles devaient ensuite vendre leurs produits non plus librement, mais à des offices nationaux de vente des fruits et légumes (OFLA). Cette initiative créera une bureaucratie qui va alourdir le processus de vente. C'est ainsi que les légumes et les fruits perdaient de leur éclat sur les étals des marchés, à l'origine d'une perte de gain pour les agriculteurs et d'un rebut sur la qualité pour les acheteurs. Elle portait atteinte de manière indirecte à la crédibilité des domaines autogérés et ne faisait que confirmer l'adage «que la marmite ne peut être préparée par dix partenaires».

- La sécheresse sur plusieurs décades, pénalisant de surcroît la production...

- Le sentiment nationaliste qui a servi de bouclier pour faire face aux aléas du collectivisme va s'effriter. Les domaines étaient dans l'ensemble déficitaires. L'Etat était tenu malgré tout de distribuer des dividendes virtuels pour venir en aide aux collectifs qui pliaient sous le poids des dettes.

Quant au terrien privé, il se démenait comme il pouvait, mais il arrivait à survivre et à alimenter la population, aucun soutien de l'Etat.

Le marché national était davantage ravitaillé par le privé que par les domaines autogérés. Malgré cette évidence, qui mettait en exergue la différence portant sur la gestion collective et celle du privé, cela n'a pas empêché Houari Boumediene de décréter une 2ème décision plus politique qu'économique, plus grave et qui va davantage affaiblir l'état des lieux. C'est la nationalisation des terres appartenant aux «gros propriétaires terriens». Elle va limiter les grosses propriétés au nom du socialisme.

CES ENNEMIES DE LA TERRE

Cette nouvelle politique va encore défigurer le paysage décrié :

- Les propriétaires seront dépossédés au profit de bénéficiaires n'ayant parfois aucune expérience avec la terre et quelquefois ramenés de communes lointaines. Des villages agricoles construits la plupart dans les riches plaines de l'Oranie, accueillirent ces nouveaux bénéficiaires venus d'autres régions déshéritées (Batna, Biskra, Tébessa, Laghouat, Mécheria), ces sujets ne possèdent aucune expérience enrichissant les travaux de la terre.

- Cette nationalisation créant d'autres collectifs n'avait aucune assise rationnelle puisque l'expérience avec les domaines autogérés était assez concluante.

- Perçue par le nouveau collectif terrien plutôt comme une vengeance du démuni contre le nanti, ce mode de gestion va permettre au chaos de s'affirmer.

- Ces «propriétaires» sans titre de propriété n'ont aucune conscience de travailler la terre spoliée par l'Etat à leurs frères algériens, ils se sentent criminels envers leurs confrères. Le principe séculaire ancré dans la tête de chaque individu concernant la terre étant celui de «propriété égale travail».

- Les bénéficiaires n'ont que très peu valorisé la terre, bien au contraire, ils se sont employés à en soutirer le profit maximum et immédiat. Ce qui est désolant, c'est qu'ils ont fait un «anti-travail» en arrachant des centaines de milliers de pieds de vignes, les arbres... Un massacre économique sans précédent. Le vignoble algérien dit le ?pétrole vert' aurait rapporté à l'Algérie des milliards de dollars US, et cela permettra d'augmenter le quota hors hydrocarbures et arracher notre dépendance totale de ces derniers.

- Ils ont détruit le visage d'une Algérie verte et magnifique en saccageant que sont ces magnifiques fermes abandonnées par les colons, saccagées et pillées par leurs nouveaux occupants, sous la complicité des autorités chargées de veiller sur le patrimoine national.

- Ils ont créé sur les terres octroyées des activités parfois sans rapport avec l'agriculture.

L'éradication des fermes coloniales n'a profité ni à la terre ni à ces bénéficiaires. A partir de cette décision, la terre algérienne va accentuer la chute aux enfers. La terre est devenue la dernière des préoccupations des Algériens. Qu'il pleuve ou non, on ne s'en souciait absolument plus, c'est du pareil au même. «On fait semblant de cultiver en Algérie et on récolte au Canada», ironisaient les citoyens algériens entre eux.

A suivre