
Est-ce la fin d'un
cauchemar qui sonne le lancement d'une chasse à la sorcière, ou le début d'une
prise de conscience collective pour sauver l'école algérienne de la déroute ?
L'édition du baccalauréat, session juin 2015, dont les épreuves ont pris fin
jeudi, a été gravement perturbée par une ??cyberattaque'' des fraudeurs, jugée
«sans précédent» (dixit Mme Nouria Benghebrit) dans les annales de cet examen
national, le plus populaire, ainsi que d'autres erreurs dans les sujets de
certaines matières, à l'exemple du sujet d'arabe des filières scientifiques, de
mathématiques et de gestion, où l'on a attribué faussement le poème «Chouaraa
El Ardh El Mouhtala» (Les poètes de la terre occupée) du Syrien Nizar Kebani à
Mahmoud Darwiche. L'erreur en question, découverte par les élèves eux-mêmes au
premier jour de l'examen, promet-on du côté du ministère de l'Education
nationale, est sans incidence sur le travail du candidat, et on promet du même
coup de prendre toutes les dispositions nécessaires, en 2016, pour contrer
cette triche qui épouse le courant du développement des nouvelles technologies.
Dans la foulée, la tutelle affirme avoir pris des mesures «coercitives» pour
garantir, l'année prochaine, la crédibilité du baccalauréat en Algérie. Mais
l'on ne peut occulter le fait que la session du bac juin 2015 a été celle du
scandale des sujets postés sur Facebook à peine mis sur la table des candidats,
suivis quelques instants plus tard par des réponses ??données par des
enseignants'' (!)
selon le même procédé des technologies de l'information. Il n'y a pas eu de
«fuite des sujets», comme le rappelait avec insistance Mme Benghebrit, mais
a-t-on encore besoin en 2015 d'une fuite avant l'heure des sujets puisqu'on
peut avoir et la fuite et les réponses instantanément grâce aux moyens
technologiques ? La fraude à l'aide des moyens technologiques a bien eu lieu
durant la session du bac 2014, pas de la même ampleur mais l'usage des
nouvelles technologies pour la triche avait été constaté, pourquoi alors ne pas
s'être préparé en conséquence, d'autant que dans d'autres contrées développées,
en France par exemple, on a fait état que 30,87% des fraudes détectées au bac
en 2014 sont liées à l'utilisation des nouvelles technologies ? «Le ministère
aurait dû étudier cette éventualité et agir en conséquence, en équipant les
salles d'examen de détecteurs de téléphones portables», estime pour sa part le
porte-parole du syndicat Cnapeste, M. Messaoud Boudida. Ce dernier a rappelé
que le ministère de tutelle était, pourtant, bien conscient qu'il fallait
mettre en place une préparation spéciale pour cette édition du bac 2015, où
l'on recense 853.780 candidats, 13.000 centres d'examen et pas moins de 60.000
encadreurs. Est-ce un complot contre Mme Benghebrit ? Notre interlocuteur ne
pense pas que cette ??conspiration'' vise la ministre de l'Education nationale
«car on aurait pu agir autrement dans ce cas de figure, c'est plutôt tout le
système pédagogique qu'on veut ternir avec ces vils procédés», soutiendra-t-il.
Même impression manifestée par Mme Benghebrit qui a indiqué à propos des cas de
fraude enregistrés dans certains centres d'examen que ces tentatives, qui
relèvent de la cybercriminalité, «visent à déstabiliser le secteur de
l'éducation nationale et nos enfants». On veut tuer l'esprit de compétition
chez nos élèves, et faire de nos générations futures des incapables, des
partisans du moindre effort. En tout cas, ces fautes dans les questions ainsi
que la mise en ligne des sujets et leurs solutions ont créé un climat de
pression dans les salles d'examen, et les enseignants encadreurs ont dû subir
seuls les effets collatéraux. «Des surveillants nous ont affirmé qu'ils ont
pratiquement fait la guerre aux candidats dans des salles d'examen où les
tentatives de fraude se sont multipliées dans le sillage de l'exploitation de
ces hésitations et errements», nous a indiqué M. Boudida. Celui-ci estimera que
«plus qu'il ne faut penser à punir ou sanctionner les coupables, il est
impératif d'initier une conférence-débat avec les professionnels, dans les plus
brefs délais, afin de disséquer cette situation et penser comment agir dans
l'avenir face à ces comportements qui risquent tout simplement de se multiplier
et d'évoluer au rythme de l'évolution de la technologie». C'est presque une
vision partagée par le ministère de tutelle qui estime de son côté qu'il s'agit
de «revoir» la méthode d'élaboration et de structuration des sujets, et ce, dès
la fin de l'enquête visant à définir, avec précision, le degré de gravité de
l'erreur dans le sujet de la langue arabe. On annonce aussi qu'une commission a
été installée et a «commencé dès maintenant» à prendre toutes les mesures
«pratiques et efficaces» en collaboration avec d'autres secteurs pour lutter
contre la fraude via les nouvelles technologies, notamment les smartphones.
Pour rappel, 61 candidats ont été exclus le premier jour de l'examen pour
fraude. L'exclusion est une «mesure préliminaire» en attendant que les
personnes ayant publié de «faux» sujets sur les réseaux sociaux soient
poursuivis en justice, avait souligné Mme Benghebrit lors d'une conférence
tenue au deuxième jour de l'examen du bac. Il est à rappeler aussi que deux
personnes de wilayas différentes qui sont derrière la publication de faux
sujets ont été identifiées ainsi que d'autres internautes «perturbateurs».