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Le jugement dernier, faute de jugements possibles

par Kamel Daoud

Une semaine de procès avec l'autoroute Est-Ouest. Tout le casting de la mythologie algérienne : DRS, un Général ou deux, des cafés mal éclairés dans une Alger pas très blanche, commissions, négations, Chinois, téléphone, preuves, affirmations, tortures ou pleurs. Impressions finales ? Un malaise. Une sorte de trouble qui mange la ligne de l'horizon. Le but est ainsi atteint : le procès ne semble pas servir à la vérité, mais à faire douter de toute possibilité de vérité. C'est une atteinte au réel ; on sort avec un vertige, une envie de prendre un café à Genève, un désir de lobotomie, une lassitude, une pensée pour les éleveurs d'abeilles. Etrange finalité des grands procès algériens : ils ne sont pas ouverts pour annoncer des jours propres, mais des jours gris. A la fin, faute d'une société civile forte, de médias puissants et indépendants, d'une opinion décisive sur le politique, les révélations deviennent des affirmations, des insinuations puis des récréations, vacations, impulsions et dissolutions. Une scène surréaliste. Et vers la fin, pour clore dans l'onirisme un procès ouvert dans le fatalisme, Ghoul envoie une lettre (comme son président à son peuple) où il explique que rien n'est rien et que tout est tout et qu'au revoir et merci.

Le réel est si malmené qu'on s'y perd : un accusé affirmera même que Amar Ghoul n'a aucun diplôme et que le seul Amar Ghoul connu en Allemagne est un tunisien. Abîme du sens, perte de l'œil, semelle du cerveau. Et c'est le but : le procès sert à désespérer de la vérité. Le régime étant connu comme procédurier, il ouvre un procès à risque mais il se retrouve gagnant : le procès a eu lieu, la vérité est inutile, le jugement est sévère et le temps est une débandade et la gravité est une pomme qui tombe dans la bouche pas dans le cerveau de Newton. Migraine et dictature.

Questions de fond : à quoi sert la vérité quand on ne peut la transformer en exigence, loi et verdicts ? A rien. But, philosophie ultime des grands procès algériens : faire croire que la vérité est inutile. Ce sont des mises en scènes de désespoir. On n'y croit pas. Parce que l'un des deux n'existe pas : le peuple ou la vérité. Pas de lien. Depuis quelques années le peuple virtuel ne demande même plus de grands procès avec des révélations. Il n'attend pas de jugement. Sauf le dernier.

Donc ? Rien. Le soleil se couche en se déchaussant des nuages. Grands procès, petites irritations. Tant que le procès 62 n'a pas eu lieu. D'ailleurs à quoi sert une vérité si elle n'est pas un éclairage définitif. Car selon la psychologie absolutiste de l'Algérien, il doit y avoir un grand procès en Algérie, mais jugeant les Algériens, un par un. Possible ?