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Haro sur Mugabe le dictateur: l'hypocrisie à plein

par Kharroubi Habib

Combien sont-ils les chefs d'Etat africains en exercice dont la désignation par leurs pairs à la présidence annuelle tournante de l'Union africaine serait compatible avec les principes de démocratie et de respect des droits de l'homme que l'organisation est censée promouvoir sur le continent ? Bien peu nombreux en vérité, et s'il faut par conséquent s'émouvoir et s'indigner que l'Union africaine soit dirigée par un potentat ou un autocrate, c'est pratiquement à chaque renouvellement à la tête de sa présidence qu'il faut fustiger l'exécrable mauvaise image qu'elle donne d'elle-même.

Le président du Zimbabwe Robert Mugabe qui vient d'être coopté par le 24ème sommet à la tête de l'Union africaine pour l'année en cours, n'est assurément pas un modèle de dirigeant dont l'organisation peut tirer fierté de travailler sous son autorité. Il ne l'est pas moins ou plus que la plupart de ceux à qui il succède. Il y a par conséquent de l'hypocrisie à voir dans sa désignation un acte que l'Union africaine n'aurait pas dû endosser. Pour aussi contestable que soit le président du Zimbabwe que ses pairs africains reconnaissent comme tel, sa désignation ne pouvait être récusée par eux aux principes brandis contre elle par des chancelleries occidentales et les médias de leurs pays qui tartinent sur « l'immoralité » que serait sa nomination à la tête d'une organisation aussi « respectable » que serait l'Union africaine.

Leur levée de boucliers à la désignation d'un aussi « infréquentable » dictateur et autocrate qu'il présente Robert Mugabe, ne susciterait pas méfiance si les mêmes contempteurs faisaient preuve d'une égale détestation à l'égard d'autres chefs d'Etat à travers le monde tout aussi infréquentables que lui pour le mépris qu'ils vouent à la démocratie et aux droits de l'homme dans leurs pays. Le récent décès du roi d'Arabie a donné à voir combien la défense de la démocratie et des droits de l'homme est sélective chez ceux qui font tapage contre Mugabe et sa désignation à la présidence de l'Union africaine. Ils se sont rués la larme à l'œil à Ryadh pour présenter de la façon la plus obséquieuse qui puisse leurs condoléances d'autant plus attristées que le défunt aurait été semble-t-il un grand « homme d'Etat » qui a beaucoup œuvré à instaurer les principes de la démocratie et des droits de l'homme en Arabie.

Rarement l'hypocrisie et le cynisme ne se sont autant étalés qu'à Ryadh à l'occasion de la disparition du monarque saoudien. Il est vrai que ceux qui se sont précipités à Ryadh l'ont fait dans l'intérêt de leurs nations respectives, lequel leur dicte de ne pas se comporter de la même façon avec toutes les dictatures et tous les potentats qui sévissent à travers le monde. Mugabe et le Zimbabwe n'ont pas à cette aune de quoi les forcer à être plus compréhensifs et moins ostracisants à leur égard qu'ils ne le sont avec la monarchie saoudienne dont le pétrole et les dollars « excusent » l'autocratie et le mépris des droits de l'homme. Même si la désignation de Mugabe à la présidence de l'Union africaine n'honore pas l'organisation et le continent, « l'indignation » qu'elle a suscitée parmi de prétendues démocraties n'est nullement réjouissante car exprimée par des voix qui ont une conception à géométrie variable de la défense de la démocratie et des droits de l'homme.