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Essebsi à l'aune des espérances démocratiques

par Yazid Alilat

La révolution tunisienne, celle des jeunes et pour un avenir pour les jeunes Tunisiens, aura-t-elle été gommée d'un trait par l'élection d'un ancien cacique des régimes dictatoriaux de Bourguiba et Ben Ali? C'est un peu cette réalité virtuelle qui revenait comme une litanie hier mardi en Tunisie et au sein de la gauche tunisienne et des acteurs de cette révolution du Jasmin, devant une situation politique toute nouvelle dans un pays où le taux de chômage est de plus de 15% et qui semble renouer, après quatre années de transition démocratique, avec les anciens réflexes.

Bien sûr, le vainqueur d'une élection qui a été saluée un peu partout dans le monde comme étant une réussite totale et la confirmation de l'incrustation de la démocratie en Tunisie, Béji Caïd Essebsi (BCE), a affirmé représenter tous les Tunisiens. Il a même assuré, pour ne pas effaroucher ses adversaires et tous les courants politiques qui ont de sérieuses appréhensions sur l'avenir du pays, qu'il «va tourner complètement la page du passé et qu'il regardera vers le futur». A 88 ans, ayant servi sous les deux présidents que la Tunisie a eus depuis son indépendance en 1956, le nouveau «maître de Carthage» compte au sein de son parti (Nida Tounès) d'anciens cadres et responsables du parti du RCD, celui de Ben Ali.

Cette donne a de quoi inquiéter les intellectuels et tous ceux qui ont participé à la révolution du Jasmin qui, à l'annonce du verdict des urnes, se sont immédiatement posé la question de savoir comment un homme qui a servi deux régimes honnis, à 88 ans, va diriger l'avenir des jeunes Tunisiens. Un cas de conscience kafkaïen pour les jeunes révolutionnaires tunisiens qui en sont réduits aujourd'hui, à l'issue de ce vote, à se poser des questions sur l'avenir d'un pays de nouveau dirigé par la vieille garde. Mais, dans le camp du vainqueur, on balaie d'un revers de main ces appréhensions et le ton est donné plutôt sur les grandes questions urgentes qui attendent le président élu.

Dans la corbeille des priorités de BCE, il y a d'abord la formation d'un nouveau gouvernement qui ne sera pas celui de la majorité, mais de coalition, puisque Nida Tounès n'a pas eu la majorité aux législatives. En outre, parmi les dossiers urgents de la nouvelle équipe, il y a surtout celui de la relance de l'économie, du retour des investisseurs, de la mise en confiance des milieux d'affaires et le retour des grandes franchises qui avaient fui le pays durant la révolution. Sur le plan sécuritaire, il y a également le difficile pari de mettre un terme au terrorisme qui a pris racine dans le pays et, surtout, de renforcer le respect des droits de l'homme, de la démocratie et la bonne gouvernance.

Un agenda copieux, mais qui sera à coup sûr chahuté par les tenants de la démocratie tunisienne à la Marzouki, le grand perdant de ce scrutin. Car cette élection présidentielle, qui aura quelque part sanctionné le peu de distance politique qu'il a mis entre lui et le parti islamiste d'Ennahda, a réduit les espaces de libertés et de démocratie gagnés lors de la révolution contre le régime de Ben Ali en points d'interrogation pour nombre de Tunisiens qui s'inquiètent de lendemains incertains pour des jeunes qui se sont sacrifiés pour l'avènement d'une nouvelle Tunisie. Des regrets, il y en a beaucoup après la victoire d'Essebsi, des remords également, sans doute. Mais, dans tous les cas de figure, les Tunisiens auront en fait confirmé qu'ils restent, politiquement, très en avance sur le reste des pays arabes. Et conscients des enjeux du moment pour leur pays et des priorités à réaliser pour le remettre sur les rails après une transition de 4 ans.