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Une ambition démesurée ?

par K. Selim



Quelle leçon les différents pôles qui constituent le pouvoir ont-ils tirée de la secousse aussi inattendue que spectaculaire de la «mutinerie» des policiers ? Mystère. Le système dans son entier n'émet plus politiquement, ce qui laisse le champ libre aux interprétations les plus contradictoires. La chose la plus visible - et c'est Sellal qui s'en charge - consiste à traiter l'affaire comme un conflit «social» auquel on apporte des réponses par la dépense. Rien de nouveau sous le ciel de la rente.

On peut observer - et de manière positive - qu'il n'existe pas de tentatives d'exploiter la tension avec le Maroc à des fins politiques internes sur le vieux mode du complot ourdi. On nous aura épargné cela et sur ce registre on est enclin à dire pourvu que ça dure. Mais le silence politique est-il de mise s'agissant d'une contestation policière qui semble déjà avoir un effet d'entraînement sur d'autres secteurs où des mouvements revendicatifs se font entendre. L'option de traiter ces demandes par plus de «dépenses» n'est pas tenable indéfiniment et l'actuelle baisse des cours pétroliers constitue une petite piqûre de rappel.

L'absence de confiance entre les Algériens et l'Etat-pouvoir crée un permanent jeu du chat et de la souris où l'on agite son potentiel de «nuisance» pour arracher des concessions. Le tout sous une forme d'irresponsabilité généralisée où les gouvernants ne rendent pas de compte et utilisent le bas de laine de la rente pétrolière pour assurer une fausse «tranquillité sociale». Et dans le fonctionnement général, cela entraîne une perte d'une aptitude légitime à faire travailler les subordonnés. Dans ce pays, on triche sans se cacher avec le travail comme si l'inertie du système se dupliquait à l'infini dans le champ social. C'est d'ailleurs une des raisons profondes, peu évoquée par esprit « syndicaliste» ou « populiste», qui rend le changement impératif pour sortir de ces logiques mortelles.

Encore une fois, les lectures biaisées qui ramènent ce qui est arrivé en Libye et en Syrie à la seule « intervention étrangère» sont un signe de grave aveuglément. Le facteur déterminant, massif, est que faute de capacités d'exercer des droits de citoyens de changer les choses, des Libyens et des Syriens, pas moins patriotes, en sont arrivés à croire que l'intervention étrangère est la moins mauvaise issue. Les pouvoirs autoritaires, dictatoriaux et souvent kleptocrates dans l'aire arabe sont les plus grands alibis des ingérences, ils ouvrent les boulevards de l'intervention au nom de l'humanité ou du devoir de protéger.

 Sortir de ces modes de gestion vieillots et brutaux des populations est devenu - si on lit correctement le cas libyen ou syrien - une affaire de sécurité nationale. Le pays ne peut pas continuer à être géré par la matraque et/ou la dépense. Il faut nécessairement aller vers un changement qualitatif pour refonder l'Etat, rétablir la souveraineté des citoyens et légitimer les institutions. Comment y aller est la seule question qui vaille la peine d'être posée. Si le pouvoir reste muet - on vient vaguement d'évoquer le projet de révision constitutionnelle -, la classe politique ne l'est pas et il faut s'en féliciter.

La CNLTD préconise une voie qui a l'apparence de la radicalité : organiser des élections présidentielles anticipées. En clair, mettre en œuvre les dispositions de l'article 88 sur l'empêchement du président. Rien, absolument rien, n'indique une quelconque prédisposition des différents acteurs du système à aller dans ce sens. Les responsables de la CNLTD prennent soin de préciser qu'ils ne comptent pas engager le bras de fer dans la rue, ce qui ramène la radicalité du discours à une plus modeste dimension. Elle est destinée, au mieux, à servir d'argument dans d'éventuelles batailles à l'intérieur du régime.

Le FFS préconise une démarche «consensuelle» et moins radicale que la CNLTD, mais elle est très - ou trop - ambitieuse : réussir la gageure d'amener le pouvoir à discuter avec l'ensemble des forces politiques des solutions pour le pays. Cela ne s'est jamais vu dans le passé. Et rien n'indique, même si les partis FLN et RND acceptent de discuter avec le FFS, que le pouvoir changera d'attitude. Cette tentative de créer par « l'appel à la raison nationale ou patriotique» une brèche dans le dangereux immobilisme peut paraître comme une ambition démesurée ou naïve. A moins que? les choses aient, enfin, mûri chez les tenants du pouvoir qui ne peuvent ignorer les signaux cliniques des crises qui s'accumulent.