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La douce schizophrénie du patronat algérien

par El Kadi Ihsane

Brahim Benabdeslam a assuré une pige à la tête de la délégation du FCE lors de la dernière tripartite. Peu connu du grand public, il incarne bien la « crise d’autonomie » des patrons algériens.

C’est le ministre canadien des Affaires Étrangères, John Baird qui réunit le cocktail en marge de sa visite officielle en Algérie à la mi-septembre 2013. Mais, sur la pelouse de l’ambassade du Canada à Ben Aknoun il n’est, entre convives algériens, question que du «coup de balai» de Bouteflika du 11 septembre, quelques jours plus tôt. L’ambiance est à l’abattement. Le président Bouteflika a fait un retour fracassant de son séjour hospitalier parisien. Il a démis 11 ministres supposés «tièdes» à son égard, et nommé une garde prétorienne de walis et de proches aux postes clés qui lui permettront une réélection. Les diplomates étrangers en sont gênés pour leurs hôtes. Brahim Benabdeslam n’est pas le moins désabusé de son cercle d’amis. «C’est foutu, il va passer et personne ne pourra rien faire». Vice président au long cours du forum des chefs d’entreprise (FCE), président de son conseil d’orientation stratégique (COS), sorte de comité des sages du FCE, Brahim Benabdeslam n’est pas réputé jusque là être un soutien zélé du clan présidentiel. Un peu comme l’est Omar Ramdane, premier président de la principale organisation patronale, dont il ne se tient jamais très éloigné politiquement. En petit comité, il est, en cette fin d’après midi de la mi septembre 2013 amer, sceptique sur l’avenir du climat des affaires et sur l’image de l’Algérie qui aura à assumer le 4 e mandat d’un président usé et diminué par la maladie. Le jeudi 13 mars 2014 au matin, Brahim Benabdeslam est pourtant sur la photo de la quarantaine de membres du FCE qui vote à l’hôtel Aurassi le soutien au quatrième mandat présidentiel. Chef de la délégation du FCE à la tripartite du 18 septembre dernier, Brahim Benabdeslam incarne une tranquille schizophrénie largement répandue parmi les patrons algériens. Hostiles, pour leur grande majorité, en privé, à la dérive autocratique du pouvoir présidentiel, ils en sont les supporters publics tous les quatre années. A la demande.

PARCOURS A SUCCES ET DOUBLE VIE CIVIQUE

Brahim Benabdeslam, sexagénaire bon teint au dynamisme débordant , n’est pas très connu du grand public. Fondateur et directeur d’une business school à succès, le MDI, implanté dans un rutilant immeuble de verre à Cheraga, à Alger ouest, il a su anticiper une demande de formation de nouvelles élites managériales au tournant de l’économie de marché il y a plus de vingt ans. Une partie de l’encadrement – staffing disent les initiés- des PME en croissance ces dernières années, se recrute aux portes du MDI, et les multinationales basées en Algérie viennent aussi y chercher des têtes. A priori, rien n’oblige dans sa vie professionnelle le vice président du FCE à entretenir une double vie civique. L’une privée dédaigneuse du fait du prince, l’autre publique conseillant aux Algériens d’avaliser le quatrième mandat dans l’intérêt du pays. Entre le 16 septembre 2013 et le 13 mars 2014, le président du COS du FCE ne s’est pourtant pas contenté de changer d’avis sur les «bienfaits» du 4e mandat. Il a travaillé à mobiliser le camp du soutien au sein du FCE, dès lors que la candidature de Bouteflika est devenue officielle le 22 février 2014. Un zèle qui a fait contre poids à l’attitude réservée du président du FCE. Réda Hamiani, tenté – à demi mots- par la sanctuarisation politique de son organisation a finalement laissé, avec une pointe de complaisance, Brahim Benabdeslam organiser «la logistique» institutionnelle du «vote» demandé avec forte pression par les grands patrons pro-Bouteflika, Ali Haddad et Laïd Benamor en tête.

NI PETIT NI GROS, JUSTE DEPENDANT

Le Forum des chefs d’entreprise (FCE) moins de 200 membres cotisants au premier semestre 2014, n’est pas une organisation patronale au sens classique. A comparer aux 14 000 entreprises actives au sein de l’UTICA Tunisienne. La démission de son président Réda Hamiani, le désistement de l’ex haut fonctionnaire intérimaire, Ahmed Tibaoui, l’arrivée de Brahim Benabdeslam à la tête de la délégation du FCE à la tripartite du 19 septembre dernier consacre l’affaissement du système de cooptation de l’organisation. Pas assez d’adhérents, pas assez d’influence, plus de figure légitime à sa tête. A sa décharge, Brahim Benabdeslam ressemble à l’archétype du patron algérien qui approche le cap du milliard de dinars de chiffre d’affaires. Il perd toute autonomie vis-à-vis de l’instance politique. Pas assez petit pour être invisible, pas assez gros, comme Issab Rebrab, ou assez impétueux comme Slim Othmani, pour afficher son opinion. Brahim Benabdeslam est tout compte fait un patron sage et avisé. Il ne se trompe jamais sur le sens du vent politique. Dans le portefeuille clients du MDI il existe bien sur des entreprises publiques, comme la Sonatrach, qui contribuent à amplifier un succès d’affaire par ailleurs tout à fait justifié par la qualité de l’enseignement assuré par la business school. Le président du COS espère sans doute une Algérie sans autocrate hégémonique sur l’activité des privés. Mais pense que l’intérêt du moment est d’agir pour le statu quo. La double vie civique du patronat algérien est le premier marqueur de l’archaïsme de l’économie rentière.