Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Le séisme d'Oran de 1790

par Pr. Farouk Mohamed-Brahim

Dans l'article paru en page 12 dans l'édition du lundi 18 août 2014, sous le titre «L'historique des séismes en Algérie», l'on note une omission de taille, le séisme qui ravagea Oran dans la nuit du 8 au 9 octobre 1790.

Il fut l'un des plus violents du pourtour méditerranéen du 18ème siècle. Dans le livre «Oran la joyeuse» d'Alfred Salinas, il est écrit : «On aurait dit la fin du monde. Le sol s'abaissait, se soulevait et semblait se diriger avec une vitesse irrésistible...», raconte un témoin.

Mais tout d'abord, pour bien évaluer les pertes humaines et matérielles, racontons Oran en cette deuxième moitié du 18ème siècle. En cette année 1790, Oran allait célébrer dans dix ans le 9e siècle de son existence. C'est en 902 qu'Oran est fondée par des marins andalous venus de la Péchina au sud d'Almeria. Ils importeront avec eux le climat de tolérance qui régnait dans l'Andalousie musulmane fait de coexistence pacifique et de dialogue permanent ente toutes les religions monothéistes. Cette tolérance deviendra la vertu essentielle d'Oran, qui ne s'en départira jamais à travers les siècles. Léon l'Africain écrira : «Oran est une grande cité de 6.000 feux (30.000 habitants) bien fournie d'édifices et de toutes choses qui sont séantes à une bonne cité, comme écoles, hôpitaux, étuves... Ses habitants sont humains, plaisants et courtois avec les étrangers». Mohammed Aboura Al Nasri écrira : «Oran est toujours en fête, à la vie facile avec le bien-être matériel et les douceurs de l'existence». Cette tolérance sera à l'origine d'une organisation «démocratique» de la ville, comme le souligne l'historien espagnol Luys Del Marmol de Carvajal : «Les Oranais nommaient tous les ans un juge souverain au civil et au criminel et des assesseurs pour gérer la ville». Ce climat de tolérance va être l'un des facteurs de la prospérité de la cité, au point qu'Ibn Khaldoun écrira : «Oran est supérieure à toutes les autres villes par son commerce. Celui qui vient pauvre dans ses murs en sort riche». Cette prospérité économique va susciter des convoitises, et la ville va être au centre de nombreuses guerres mais renaîtra toujours de ses cendres.

Le 18 mai 1509, les Espagnols vont débarquer à Mers el-Kébir et occuper Oran dès le lendemain. Ainsi, Oran va devenir un «préside» espagnol jusqu'au 8 mars 1792. Cette période va être entrecoupée par une occupation turque de 24 années (du 21 janvier 1708 au 5 juillet 1732). Sous l'occupation espagnole, Oran va prendre l'aspect d'une ville médiévale d'Europe, avec ses fortifications, ses édifices austères et ses nombreuses églises. Cependant, cette austérité toute relative n'entamera en rien l'esprit de tolérance et la joie de vivre des Oranais toute origine confondue. Lors de la deuxième occupation, à partir de 1732, des travaux de modernisation vont être entamés : amélioration de l'alimentation en eau potable, travaux d'évacuation des eaux usées, dallage de l'ensemble des rues, construction de nombreux édifices publiques, dont deux hôpitaux, l'un militaire, l'hôpital Royal, et l'autre civil de 480 lits, San Bernardo. La construction d'un théâtre El Colosséo ou de Sorana. On note l'apparition d'une vie culturelle. Le recensement de 1787 estime la population d'Oran à 10.000 habitants, une population bigarrée. Oran est appelée «la corta chica» (la petite cour). Ainsi était Oran à la veille du tremblement de terre destructeur. Henri Léon Fey, dans son livre «Histoire d'Oran» publié en 1858, a pu raconter cette terrible nuit grâce à des témoignages de survivants et notamment de Juan Torregrossa, qui avait 75 ans en 1850 et qui vivait chez son père en 1790 dans «la callera». Depuis la fin août 1790, des secousses intermittentes avaient lieu et des grondements sourds venus de sous terre se faisaient entendre, créant une angoisse chez la population. Cependant, comme par enchantement, les secousses et les grondements cessèrent soudainement, à la mi-septembre. La population se retrouvant ainsi rassurée. En ce 8 octobre 1790, pendant toute la journée, l'atmosphère a été opaque. Depuis trois jours, un vent chaud soufflait. La brise qui vient de la mer au coucher du soleil, ce soir, elle était absente. Dans la nuit du 8 au 9 octobre, une heure du matin passée de quelques minutes, quand les premières secousses se firent sentir, accompagnées de grondements pareils à des bruits de tonnerre. Ainsi, 21 secousses en quelques minutes ébranlèrent Oran. Toutes les constructions ont été rasées. De la partie haute de la Casbah, de lourdes pierres ont été projetées sur la ville. Le palais de la Casbah, la caserne et les églises y attenantes furent complètement détruites. L'effondrement de la caserne entraînera l'extermination du régiment des Asturies, soit la mort de 765 hommes. Les deux hôpitaux ont été complètement rasés. Aucun survivant n'est relevé, malades, médecins ou infirmiers. Pour compléter le cauchemar, le feu se déclara embrasant les poutres de bois au milieu des ruines. Enfin, le summum de l'angoisse est atteint avec le tarissement de l'une des sources qui alimentent Oran en eau potable.

Ce tremblement de terre fera 3.000 victimes, soit près du tiers de la population. Le rapport adressé par le comte de Cumbre-Hermosa au roi Charles IV, en date du 2 novembre 1790, n'est intéressant que par l'aspect militaire de la situation. Les destructions des murailles, lesquelles mettaient en péril la défense d'Oran devant les Turcs.

Les répliques continueront jusqu'au 22 novembre, entraînant plus d'angoisse pour les survivants et la destruction du peu d'édifices encore debout. Quand le 8 mars 1792, le bey de Mascara, Mohammed El Kébir, occupera Oran, il entra dans une ville encore marquée par la désolation du terrible tremblement de terre de la nuit du 8 au 9 octobre 1790.