Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Election présidentielle : Virée dans une capitale effrayée appelée à voter

par Ghania Oukazi

C'est sous l'œil vigilant des agents de la Sûreté nationale que les Algériens ont voté jeudi dernier pour élire un nouveau président de la république. Les policiers ont été armés de mitrailleuses pour prévenir et décourager toute velléité de perturbation d'une opération de vote qui inquiétait plus qu'elle n'emballait les électeurs.

Alger s'était réveillé jeudi avec une angoisse perceptible dans les quelques regards qui ont osé braver la rue jugée incertaine au fur et à mesure que s'approchait le jour de l'élection présidentielle.

Les Algériens s'attendaient véritablement à un bouleversement de l'ordre public tant ils avaient entendu dire que les milieux hostiles au président de la République allaient tenter le tout pour le tout pour lui faire regretter sa quatrième candidature. Vers 10h du matin, les accès menant au centre de la capitale étaient bien dégagés. Les grandes artères l'étaient aussi. C'était la première fois où les Algérois craignaient le calme qu'ils recherchent pourtant constamment. Les centres de vote recevaient les premiers votants, ceux peut-être qui voulaient faire leur marché, «avant que ça ne dégénère,» disaient les plus prudents. Les stations d'essence étaient la veille prises d'assaut parce que les conducteurs voulaient s'assurer qu'ils avaient bien le plein qui leur permettrait d'échapper à d'éventuels pièges de la contestation. Même Belouizdad (Belcourt) n'avait pas ce jour-là, son entrain habituel. Ses ruelles étaient vides, mis à part quelques passants qui se dépêchaient. Les places de stationnement étaient disponibles.

Kouba était encore plus calme de par le vide de ses quartiers. Aïn Naâdja, pourtant un quartier des plus populaires et populeux, semblait somnoler. Certes, les commerces étaient ouverts mais beaucoup d'autres étaient fermés. La circulation était d'une fluidité bien reposante.

Le temps était clair, ensoleillé et la température agréable. L'on aura remarqué que dès la matinée, la promenade des Sablettes avait vu arriver de nombreuses familles avec leurs enfants. Mais dans les cités de plusieurs quartiers, même les enfants n'étaient pas dehors. Comme si les parents avaient décidé de ne pas les laisser sortir. Au moins jusqu'aux premières heures de l'après-midi.

D'ailleurs, les premier flux des Algérois commençaient à se faire voir, se dirigeant vers les centres de vote. Bab Ezzouar, populaire et populeux lui aussi, avait enregistré une affluence particulière de femmes votantes.

«UNE CARTE D'ORIENTATION DE L'ELECTEUR»

Le bureau de renseignement d'un centre de vote était plein à 14h. Nombreuses sont les femmes qui se sont dirigées vers son staff pour réclamer leur carte de vote. Il fallait juste un clic pour voir si le nom de la personne était sur les listes ou pas. «Comment que ça se fait, j'ai déjà voté dans cette école», se plaint une femme dont le nom n'a pas été trouvé sur les listes des électeurs. «Si vous n'avez pas voté pendant dix ans, votre nom est rayé des listes», lui a répondu une responsable du bureau. Curieuse réponse.

Celles auxquelles les noms ont été trouvés sur la liste, ont eu droit à une sorte de bon écrit dessus «carte d'orientation de l'électeur.» Bon qui leur a permis de voter mais, leur recommande la responsable, «vous allez plus tard à l'APC qui seule est habilitée à vous remettre une nouvelle carte d'électeur.»

Vers 15h, les habitants de Bab El Oued avaient, comme à leur habitude, peuplé les rues et le front de mer. Les magasins étaient ouverts.

Dans la matinée, le ministre de l'Intérieur et des Collectivités locales donnait, de temps à autre, sur les ondes des médias lourds, les premiers pourcentages de votants. 9,5% à Alger à 10h. 25,65% à Tindouf. L'écart est énorme. Il est habituel. A 14h, Tayeb Belaïz avait annoncé un taux de participation national de 23, 25%. A Tindouf, ce taux grimpait toujours. Il était déjà à plus de 30%. A Alger, il avait atteint à 14h, 19,55%, à Tamanrasset, 36,09%, à Bechar 35,73%, et à Tissemsilt, 34,30%.

Vers 16h, un grand nombre de brigades anti-émeutes, matraques à la main, ont été déployées du côté de la Grande Poste, cœur de la capitale. Endroit aussi où se plaisent les contestataires à faire entendre leur cause contre un 4è mandat pour Bouteflika.

BOUTEFLIKA DONNE EN TETE DES SUFFRAGES

A 17h, le ministre de l'Intérieur a donné un taux de participation de 64,66 à Tindouf, 53,11 à Laghouat, 57,83% à Tamanrasset, 57,88% à Mostaganem, 50,81% à Mascara, 50,72 à Tissemsilt et 54,28 à Relizane. Première observation, les régions du sud et de l'ouest du pays «ont voté en grand nombre».

Les régions de la Grande et Petite Kabylie commençaient à peine à dépasser les 10%. Les niveaux de participation de leurs habitants devenaient quand même plus importants par rapport à la matinée. De 15,48%, Bouira a affiché dans l'après-midi, 24,87%, selon le ministre de l'Intérieur. Tizi Ouzou a enregistré 14,65% contre 9, 26% dans la matinée. Bejaia a fait 12,42% le matin et 18, 63% l'après-midi. De 18,89%, Batna est passé à 30,87%, Oum El-Bouaghi de 21,52% à 35,35%.

Belaïz a annoncé que sur demande de 36 walis «et conformément à la loi», 590 communes ont laissé les portes de leurs centres de votes ouverts jusqu'à 20h au lieu de leur fermeture officielle à 19h. Alger avait à 17h, enregistré un taux de participation de 38,37%.

Il faut admettre que la capitale n'a pas trop l'habitude de voter massivement. L'on aura remarqué aussi que nombreuses sont les familles algéroises qui avaient pris la route vers le bled (leur région natale) profitant ainsi des trois jours de congé qu'ils ont eu (jeudi, vendredi, samedi). A Chevalley et plus loin, à Staoueli sur la côte algéroise ouest, les flâneurs et promeneurs dégustaient entre autres de bonnes glaces.

Dans la soirée, le ministre de l'Intérieur avait communiqué un taux de participation national de 51, 27%. Dès les premières minutes du dépouillement dans plusieurs centres de vote, la tendance du vote était bien claire. Bouteflika était largement donné en tête des suffrages. Ses soutiens avaient fait éclater leur joie un peu partout. Des coups de feu avaient été tirés à Hydra, quartier huppé d'Alger où se trouvait l'une de ses permanences électorales. Le baroud accompagné de youyous fusait déjà de partout jusque tard dans la soirée.