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Pour Mehdi l'écolier

par Rachid Brahmi

«L'encre d'un écolier est plus sacrée que le sang d'un martyr » (Hadith)

Tu vas donc prendre ou reprendre le chemin de l'école, avec les enfants de ton âge, te faire de nouveaux amis, passer des journées avec eux et votre enseignant ou enseignante. Apprendre certainement beaucoup de choses, belles, petites ou grandes. On te dit à l'école, par exemple, qu'il faut aimer, ne pas mentir, ne pas voler, ne pas salir, ne pas tricher. C'est vrai ce qu'on te dit, petit Mehdi. Mais tu constateras de toi-même que tu ne vas pas retrouver dehors, tout ce qu'on te dit dedans. Car tu vas découvrir des choses pas du tout belles, ni du tout grandes. Tu verras alors, mais tu verras les grands, faire de mauvaises choses, ou dire des choses avec des mots pas vraiment grands, mais plutôt gros.

Ne t'étonne donc pas, quand tu vois le contraire de ce qu'on te dit en classe. Ainsi, tu les vois lancer, balancer, des mots, des choses, n'importe quoi, n'importe quand, n' importe où, se conduire mal, mal conduire, mal conduits. C?est à dire mal menés et malmenés. S'il t'arrive de voir dans la rue, de telles choses, ne fais pas attention ; tu comprendras, quand tu seras grand. Et si tu répètes ce que disent les grands, si tu fais ce qu'ils font, ils diront alors que tu n'es pas éduqué. Qu'on ne t'a pas éduqué. Mais moi je sais, petit Mehdi, souffle de candeur, que tu ne feras pas comme eux. Oui, la culture de l'esprit est déclinée au profit de celle déchaînée des intestins et de certains instincts.

On raconte même qu'un professeur de philo, au lycée, avait sermonné l'un de ses élèves, en lui reprochant son manque de sérieux et lui signifiant que le Savoir est une richesse. Et à l'élève de rétorquer : « Ya Cheikh, notre voisin, un ami à mon père, le député Si Flène qui n'a jamais ouvert un livre, vu son Bac moins 12, il mène une vie de pacha, lui. Et toi Cheikh, tu n'as même pas un tacot, tu arrives difficilement à boucler tes fins de mois, tu as un gros problème de logement, tu passes tes vacances assis sur un banc, et tu me dis que la connaissance est une richesse !? ». Oui, petit écolier, quand tu vois ce que tu vois, il y a de quoi être coi !

Tu veux une autre anecdote ? Abraham Lincoln qui fut président des États-Unis, avait écrit une lettre au professeur de son fils. En voici un extrait pêle-mêle : «Il aura à apprendre, je sais, que les hommes ne sont pas tous justes, ne sont pas tous sincères. Mais enseignez-lui aussi que pour chaque canaille il y a un héros? Enseignez-lui que pour chaque ennemi il y a un ami. Éloignez-le de l'envie, si vous pouvez? Enseignez-lui, si vous pouvez, les merveilles des livres... Mais laissez-lui un peu de temps libre pour considérer le mystère éternel des oiseaux dans le ciel, des abeilles au soleil, et des fleurs au flanc d'un coteau vert... Enseignez lui qu'un dollar gagné a bien plus de valeur qu'un dollar trouvé. Enseignez-lui qu'il est bien plus honorable d'échouer que de tricher...Apprenez-lui à avoir foi en ses propres idées?. Apprenez-lui toujours à avoir une immense confiance en lui-même » .Lincoln, lui aussi, a été assassiné par balles, dans une salle, en public, mais pas derrière un rideau, tel cet homme vaillant qui justement, voulait guérir ton école d'une sinistre maladie. Bref, tu vas donc apprendre beaucoup de choses en classe ; c'est pour cela que ton cartable est chargé, lourd pour ton petit dos. Le programme aussi, indigeste pour tout cerveau. Mais ils ont dit qu'ils allaient l'alléger ce cartable ; espérons qu'ils vont le faire, en jouant carte sur table. Que ce n'est pas du pipeau. Ils ont dit que tu auras un cartable pour la maison, ton sac à dos, et un autre en classe, celui-ci est en bois.

On appelle cela un casier. Pour alléger ton pauvre dos, ils ont donné les caractéristiques techniques du sac à dos. Pour le programme et le reste ils n'ont encore rien dit. Non ! Ils donnent souvent des chiffres ; un penchant borgne, pour le montage de numéros !

Pour aider au choix du cartable, ils ont fait un cours magistral, avec moult détails, concernant le sac, ses bretelles, ses roulettes, son tissu, son fond, ses formes sa couleur et tout, et tout. Comme si ton papa gère ou importe des containers de cartables. Ils ont dit aussi que tu auras pour chaque matière, les choses en double, celles que tu prends avec toi, chez toi, pour tes devoirs, et celles que tu gardes en classe, dans le cartable en bois. S'ils aiment le bois, souhaitons qu'ils aiment un peu moins sa langue ; un autre penchant borgne, pour le montage des lettres. Tu auras donc pour chaque chose, son double. Ils doublent tout, et ils disent qu'ils vont alléger. Un cartable allégé avec un programme quasi-inchangé ?! On verra comment cela. Et puis deux cartables, celui en bois et celui que tu trimbales chez toi, cela revient cher. Et puis directement ou pas, celui qui trinque c'est ton papa. Ils disent donc beaucoup de choses, les grands. Ils ont dit également qu'ils allaient se réunir et réfléchir, durant le mois de juillet pour changer un peu ce qui devrait changer. Mais apparemment, ils n'ont pas pu se réunir ; cela est peut-être dû au ramadhan ou à la chaleur ; ils ne pouvaient donc pas réfléchir. Ils ont attendu la fin du mois d'août, et ont évité de causer pédagogie dont le contenu des programmes. Un sujet tabou ? Vas-y comprendre toi. Mais tu comprendras, une fois devenu grand .Oui petit Mehdi, Allah « yehdina ».

Mais tout ceci, ne doit pas t'empêcher de travailler. Tu apprendras donc des choses à l'école. Même si tu auras deux ou trois heures en moins par semaine, on comptera encore sur ta mémoire, au lieu de faire jaillir les belles étincelles en toi. On te parlera par exemple, du supplice de la tombe. On pouvait alléger ta petite tête et ton cartable de cette info là, ou de trucs du même genre qui te font peur. T'en dispenser. Car l'école ne prépare pas à la mort, mais à la vie, petit Mehdi. Mais n ? aie pas peur. Que ce soit les musulmans ou les autres, on dit qu'un enfant est un ange. Et un ange ne connait ni les supplices, ni l'enfer. On t'obligera aussi, à apprendre de longs textes, sans te les faire comprendre, ainsi, tu ne les retiens pas facilement. On bourre ta petite tête, comme on bourre une urne. Il ne faut pas aussi, en vouloir à ton maitre d'école, quand par exemple, il fait des erreurs ou dit des bêtises. Je pense notamment, qu'il ne reçoit pas une formation tout au long de la vie, comme cela se fait ailleurs. On lui demande aussi de gérer une situation de crise qui perdure. De faire ce qu'il peut, avec le peu qu'il a. Avec des classes surchargées. De ne pas trop chercher à piger. Mais en même temps, on est exigeant envers lui .On lui demande de faire des miracles, ils auraient dû alors recruter des magiciens. Oui, les grands ne sont pas toujours raisonnables. Mais tu comprendras quand tu seras grand. Mais dans un sens, vous êtes plus que grands, les enfants ; vous êtes déjà vieux. Car dans ce sens, on a confisqué vos rêves, votre enfance.

Enfin, tu apprendras tellement de choses et mal que tu pourrais t'ennuyer, ne plus tellement aimer l'école et ton enseignant. Mais accroche-toi, oh petit Mehdi, rayon de soleil sous un ciel gris. Et puis on ne te demande même pas ton avis. Et puis même, les grands devraient comprendre ! Si tu trouves que l'école te fait bâiller d'ennui, te rend turbulent ou distrait, c'est qu'ils n'ont pas su te la faire aimer.