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Hier encore j'avais vingt ans? !

par Benaoumeur Khelfaoui

«Le poème n'est jamais temps présent. Il n'est que passé ou futur, souvenir, attente.»1

Que nous soyons bercés par la nostalgique chanson Chaâbi sublimement interprétée par EL MARHOUM HACHEMI GUEROUABI ou emportés par la résignation du tapis bohémien de CHARLES AZNAVOUR, le miroir magique de Blanche-Neige ou de la Belle et la Bête voire même d'Harry Potter, ne peut que refléter les tristes et méchantes rides embaumées par l'irréversible grisaille des cheveux - ou ce qu'il en reste - révélant notre mélancolique longue marche et l'entêtement à refuser d'admettre le Repos du Guerrier?

Ô précieux temps qui nous file entre les doigts tel une eau qu'on s'obstine vainement à garder entre nos fragiles et impuissantes mains ! Par quelle arme pourrions-nous faire face à ton impitoyable et intrépide sabre car « Bien qu'on ait du cœur à l'ouvrage. L'art est long et le temps est court »2 ! Ô miroir magique, dans quel labyrinthe ténébreux as-tu caché nos vingt ans !? Harpagon que tu es ! Pourquoi ne consens-tu guère à nous concéder un reflet réconfortant à même de régénérer nos fous et faux espoirs?même s'il est vrai que « Le temps est un grand professeur mais malheureusement il tue ses élèves »3 !?

Couvés par l'école des folles années du Twist et domptés par le scoutisme et l'UNJA des années de la vache folle, nous ne nous étions point aperçus que nos vingt ans, si généreusement éparpillés entre volontariat et colonies de vacances, allaient enfanter illégitimement l'émiettement de nos forces en consumant les bougies de nos espoirs? Quoique Jean de La Bruyère ait dit - il ne sert à rien de nous le répéter ! - « Ceux qui emploient mal leur temps sont les premiers à se plaindre de sa brièveté », il n'en demeure pas moins, qu'inébranlables et imperturbables voire confiants, nous avions si naïvement cru aux slogans si prometteurs « pour le peuple et par le peuple » et « Pour une meilleur vie »?au point où nous nous laissâmes entrainer et trainer, en groupes enlacés, par nos ainés sensés les mieux placés - légitimité révolutionnaire oblige ! - à planifier notre devenir du chaud au glacé?au moment où « Le soleil passait les frontières, sans que les soldats tirent dessus »4 !

Et pourtant, et pourtant, quelques uns d'entre « nous », sans un remord sans un regret, sont partis ! Droit devant sans espoir de retour ! Il a bien fallu qu'ils trouvèrent une raison ! Si des uns, privilégiés et chanceux, ont marché vers d'autres cieux éternellement gris, pour y offrir, clé en mains, un Savoir si laborieusement préparé sous le soleil de leur Nedjma « forcée » à leur témoigner une cruelle froideur?D'autres, en Harraga infortunés, ont payé, de leur maigres économies, leur inhumation sous le linceul des dents de la mer? ! Ils ignoraient, pauvres proies à l'impitoyable faucheuse salée et salée, la sagesse « Ne te fâche jamais ! Tu pourrais brûler en un jour le bois amassé depuis longtemps »5 !

Beaucoup d'eau ont coulé sous nos ponts - nous pouvons tout aussi dire beaucoup de sang a coulé ? !- et sans crier gare, le sablier de nos calendriers enflammés, en nous remmenant à notre case départ, nous offrit la désolante image de la nature des quais de la gare ! Stupéfaits, ahuris, nous aperçûmes, impuissants, tel un somnambule qui peine à sortir de son cauchemar en s'efforçant à se pincer la joue pour sentir sa réelle présence, les mirages que nous avions longtemps pris pour de féériques lacs où, crédules, nous pensions y trouver les « Cygnes » de Tchaïkovski qui allaient nous envoûter par leur symphonie et nous ensorceler par leur danse divine?

Chemin faisant, insoucieux et préoccupés tant par « Kanoune » ERRAHMA que par l'incontournable et l'innommable réconciliation nationale, la seconde chroniques des Années de braise, d'octobre des années Quatre vingt à fin quatre vingt dix, nous égarâmes vingt inestimables et irrécupérables années, parties en fumée?! Nous réalisâmes, la mort dans l'âme, que « Le temps des armes n'est pas celui des lois »6, et nous poussâmes, face au miroir tragique, de toutes nos forces, un cri arraché de nos entrailles : Hier encore nous avions vingt ans !...

Et quoique professent les plus sages d'entre-nous, en se gargarisant par la citation de Wolfgang Goethe7 « La liberté et la vie ne sont gagnées que par ceux qui les reconquièrent chaque jour », nul n'a le pouvoir magique des Mille et Une Nuits ou ne détient les clés de la machine à remonter le temps, pour nous ressusciter nos folles et vivifiantes « Vingt Ans », dissoutes entre deux souffles retenus dans nos plongés en apnée, à partir de nos fausses croisières à bord d'ELJAZEERA et Chaînes occidentales, dans les fonds ténébreux de leurs communications à comptabilité macabre à même de nous inciter et/ou nous endoctriner pour des « débats » fratricides?sans jamais nous inculquer la sagesse « d'écouter la forêt qui pousse plutôt que l'arbre qui tombe »8 !

Enfin, armés - il est vrai que nous n'avons pas le choix, je ne vous le fais pas dire ! - par l'inévitable devoir de changer les choses nous-mêmes, car il ne sert à rien d'attendre vainement que le temps change les choses tant ce dernier ne fait que passer non sans enregistrer, par son impartiale histoire, nos conquêtes et nos défaites? Ernest Renan9 n'a-t-il pas, à juste titre, dit «Deux éléments, le temps et la tendance au progrès, expliquent l'univers » !?

Ô miroir, magique ou tragique, nous te défions de nous convaincre que les embrouillants mirages sont de réels lacs aux beaux rivages ! Vois-tu, nous avons nos propres miroirs, jalousement gardés et entretenus dans nos âmes? ! Ignores-tu que « Celui dont l'âme est heureuse ne ressent pas le poids des ans »10 ! Garde ta fausse, étincelante, rayonnante et éphémère image pour les adonnés de la chirurgie esthétique, ceux-là même qui massacrent, impitoyablement et sans aucun remord, des milliers d'âmes africaines pour s'offrir le luxe des diamants ensanglantés et ne se gênent aucunement à sacrifier tout un éléphant pour pouvoir utiliser l'ivoire de ses défenses comme articles d'ornement? !? Et comme dernier conseil, que tu dois méditer, sache Ô satanique miroir que « Aussi élevé que soit l'arbre, ses feuilles tombent toujours vers la racine »11? !

Notes :

1- Takis Sinopoulos, poète grec « 1917-1981 »

2- Charles Baudelaire, poète français, célèbre par « Les Fleurs du Mal » « 1821-1867 »

3- Hector Berlioz, compositeur, écrivain et critique français « 1803-1869 »

4- Salim Jabran, poète palestinien, « 1938 », extrait d « Refugié »

5- Mencius, penseur chinois, « 380-289 av. J-C »

6- Plutarque, historien et penseur majeur de la Rome antique, grec d'origine, « 46-125 ap. J-C »

7- Wolfgang Goethe, poète, romancier, dramaturge, scientifique et homme d'état allemand, « 1749-1832 »

8- Georg Wilhelm Friedrich Hegel, philosophe allemand, « 1770-1831»

9- Ernest Renan, écrivain, philosophe et historien français, « 1823-1892 »

10- Platon, philosophe grec, « 427-347 av. J-C »

11- Chow Ching Lie, écrivain, pianiste et femme d'affaires chinoise « 1936 »