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Assassinats politiques en Tunisie

par Abdelkader Leklek

Le front de gauche tunisien qui regroupe divers partis politiques de même tendance avec un éventail élargi, des organisations syndicales et des associations, affirme haut et fort, par la voix de Hamma El-Hamami, que les assassinats politiques s'exécutent désormais en Tunisie, en plein jour, et carrément avec des annonces publiques anticipées. Des listes noires sont publiées sur les réseaux sociaux qu'offre Internet, des menaces téléphoniques et des lettres de cachets circulent. Ainsi le 13 juillet 2013, lors d'une manifestation de soutien au président égyptien destitué le 03 juillet, le député et président du groupe parlementaire d'En-Nahdha, Sahbi Attig, dans un discours enflammé haranguait une foule hystérique, disant que : ''Toute personne qui ose piétiner la légitimité en Tunisie, sera piétinée par cette légitimité même. Toute personne qui ose porter atteinte à la volonté du peuple aussi bien en Égypte qu'en Tunisie, sera vouée à la rue tunisienne qui sera autorisée à en faire ce qu'elle voudra, y compris répandre son sang''. Cet appel manifeste au meurtre, avait été qualifié par des militants du droit de l'homme, comme présageant un climat de ce qui s'était passé en Algérie à partir des années 90. Cette prémonition s'il en est, fera vite fait de se réaliser, le jeudi 25 juillet 2013, à 12 heures 10 minutes, journée qui verra l'assassinat de Mohamed Brahmi, en public, à bout portant et devant chez lui par deux hommes à motos et intégralement casqués. Feu Brahmi qui était le coordinateur général du mouvement populaire, était né le 15 mai1955 à Hachana dans le gouvernorat de Sidi Bouzid, d'où était partie le 17décembre 2010, la première étincelle qui allait balayer le régime de Ben Ali et inaugurer ce qui sera baptisé: le printemps arabe. Titulaire d'une maîtrise de comptabilité, après le baccalauréat, il sera tour à tour enseignant de la matière, et fonctionnaire.           Mais dès l'université, il faisait déjà dans l'opposition au régime de Bourguiba et ensuite à celui de Ben Ali. Il fut d'ailleurs arrêté en 1981 et en 1986. Il fera ses premières armes politiques au sein l'organisation des étudiants arabes progressistes unionistes, jusqu'en 2005, date à laquelle il créera, dans la clandestinité, avec d'autres camarades le mouvement unioniste nassérien. En 2011 il fondera le Mouvement du peuple, qu'il quittera pour créer le Tayar Ach-Cha'abi, le courant populaire, dont il sera le coordinateur. Il était aussi depuis les élections du 23 octobre 2011, député à l'Assemblée Nationale Constituante jusqu'à son assassinat, le jour de la célébration du 56 èm anniversaire de la proclamation de la République Tunisienne, qui mit fin le 25 juillet 1957, au régime des derniers Beys de Tunis de la lignée des husaynides, dont le dernier monarque régnant était Lamine Bey.

Autant cette date symbolique, allait être célébrée, pour la première fois depuis deux ans, puisqu'elle ne le fut ni en 2011, ni en 2012, pour cause justement de révolte. Hélas elle le sera pour les tunisiens dans le deuil, puisque les terroristes de Ansar Ach-Chari'a, passèrent à l'action et commirent leur deuxième assassinat politiques en l'espace de 6 mois, en Tunisie post-révolte. Mais le plus insolite dans cet assassinat, c'est qu'il fut commis par le même énergumène qui fusilla le 6 février 2013, Chokri Bélaïd, sans lui laisser la moindre chance de survie, devant son domicile, dans sa voiture et qui repartit sur une motocyclette, sans être inquiété. Et dans la même ville d'Ariana, dans la banlieue Nord-Est de tunis. Mais le comble également, c'est que l'irréparable dégât fut commis avec la même arme qui avait servi à liquider Chokri Bélaïd. Un pistolet automatique, 9 millimètres, qui logea 14 balles, de haut en bas, dans le corps Mohamed Brahmi, 6 dans la parie haute, et 8 dans les membres inférieurs.

Au-delà de toutes ces similarités, cette liberté dont profitent et font preuve ces terroristes jusqu'à la défiance humiliante, met dans l'embarras toutes les institutions de la république de Tunisie, gouvernée par les islamistes. Quelques soient les justificatifs qu'essayeront d'apporter tous les officiels tunisiens, cela ne sera qu'une parade disculpante, qui confirmera l'incapacité et l'impuissance de l'Etat, avouant ses insuffisances. Le président Marzouki dans une interview au journal le Monde Afrique, le 25 juillet 2013, semble ne pas mesurer avec discernement, la réalité de ce qui se passe dans son pays. Selon les commentateurs de cet entretien, le président par intérim :'' ne donne pas l'image d'un chef d'Etat qui est en phase avec les préoccupations et les souffrances de son peuple. Il parle comme un observateur étranger et non comme l'incarnation même de l'Etat et du pouvoir. C'est à se demander si, près de deux ans après son entrée au Palais de Carthage, M. Marzouki a une conscience réelle de son rôle et de sa mission''. D'ailleurs, Ahmed Najib Ech-Chabbi, le leader du parti républicain et potentiel prétendant à la présidence de la république, disait récemment que le président Marzouki est déconnecté de la réalité. Certains autres analystes, disent qu'en cherchant à ne pas tomber dans le sensationnel, le président Marzouki, bascule dans le déni des problèmes qui affectent depuis deux ans le pays.

A ce sujet et pour marquer le laxisme dont font preuve notamment les services de sécurité, encore groggy de leur passage de défenseurs d'un régime autocratique, népotique et régentant un état policier, à celui de défenseurs et protecteurs de la république et du peuple tunisien. Cela va du simple agent jusqu'aux sommets des services du ministère de l'intérieur, qui coiffent la police et la garde nationale -gendarmerie- en tunisie. Le 21 juillet 2013, c'est-à-dire quatre jours avant l'assassinat de Mohamed Brahmi, le journal la Presse, sous la plume de Mohcen Zribi, publiait un article intitulé : Affaire cité Ghazala : Une énigme à élucider. L'auteur de l'article dit :'' L'affaire Cité Ghazala, c'en est désormais une, après la découverte, mercredi soir, d'armes dissimulées dans une villa située dans ce quartier. Cette affaire, qu'il serait indiscutablement stupide de banaliser, est digne d'un polar chargé de zones d'ombre et de mystères pour le moment hélas impénétrables''. Et de poursuivre que, en effet, selon une source sécuritaire qui a souhaité garder l'anonymat, ''le groupuscule intégriste de la Cité Ghazala est passé par là. Lui qui, à partir de son fief basé dans cette cité, servirait de plaque tournante entre le QG d'Ansar Charia et les cités environnantes''. Et notre interlocuteur de révéler encore que le groupe de la Cité Ghazala était, depuis quelques mois, dans notre collimateur, non seulement parce qu'il s'agit d'un groupe qui se radicalise de plus en plus, mais aussi parce que ses effectifs, a-t-on constaté, ne cessent de s'étoffer''. Je cite cet article car c'est dans ce quartier qu'habite encore la famille et qu'habitait Mohamed Brahmi avant son assassinat, et que c'est devant son domicile qu'il avait été lâchement abattu. En plus, si ce journaliste cite une source sécuritaire, comment se fait-il, que les services de sécurité, eux même, n'aient pas jugé préventif de sécuriser ce quartier et ses habitants, dont des députés de l'opposition, comme Mohamed Brahmi ? Avant cet article du 21 juillet, le 19 du même mois, le même journaliste dans le même quotidien, dans un autre article titré : ''l'assaut de la rupture du jeûne'', relate ainsi les détails de cette opération policière :'' c'est l'ambiance d'une descente. Et ce qui devait arriver arriva, lorsque les agents de la brigade antiterroriste, appuyés par leurs camarades de la brigade criminelle, lancèrent l'assaut final dans une superbe villa soupçonnée d'avoir été érigée en foyer de jihadistes salafistes et d'armes? au mépris de son propriétaire qui réside à l'étranger. Bilan : saisie de quantités d'armes, mais, hélas aucune arrestation. Qu'à cela ne tienne, nous confie une source sécuritaire qui jubile à l'idée d'avoir réalisé l'important, à savoir la saisie d'armes qui attendaient d'être utilisées un jour''. Et de conclure : comment les tenanciers de la boîte ont réussi à brûler la politesse aux policiers ? Etaient-ils au courant de cette descente ? Et pourquoi ont-ils dissimulé leurs armes dans un quartier résidentiel situé dans une cité très fréquentée'' ? Ces questions conséquence de recoupements triviaux d'un journaliste pas forcément expert policier, avaient reçu, le 26 juillet, c'est-à-dire au lendemain de l'assassinat de Mohamed Brahmi, ces réponses lors de la conférence de presse organisée par Lotfi Ben Jeddou, le ministre de l'intérieur au siège de son ministère. Dans son introduction avant de répondre aux questions des journalistes, il avait annoncé : ''Les investigations montrent, en effet, que deux suspects, Boubaker Hakim et Lotfi Ezzine, portant des vêtements de couleur noire et utilisant une vespa noire, se sont approchés de la victime et ont tiré une rafale de 14 balles. Il a été établi également que les deux assassins suivaient la victime et surveillaient son domicile depuis quelques jours, que l'arme utilisée, un pistolet 9 mm, est bien l'arme qui a servi pour tuer feu Chokri Belaïd et que c'est bien Boubaker Hakim qui a tiré sur Mohamed Brahmi. Boubaker Hakim est l'un des individus ayant participé au meurtre de Chokri Belaïd, de l'aveu de Sabeur Mchergui, arrêté dans la même affaire. Hakim est compromis dans l'affaire de stockage d'armes dont la cachette a été découverte à la cité Ghazela à l'Ariana. Une récente descente policière au domicile de sa tante où il résidait n'a pas permis de l'arrêter''. Ainsi tout est dit, voire reconnu. Mais alors quelles sont les raisons qui auraient empêché les services et les agents, sous autorité de monsieur le ministre de l'intérieur d'intervenir à temps, pour éviter que ces assassinats politiques ne soient commis ? Cette question, même de notre part naïve, demeure pour le moment posée. Cependant il parait clairement, comme dirait l'autre, que le ministre et le ministère de l'intérieur en Tunisie, même géré, par un technocrate non partisan, Lotfi Ben Jeddou, ne possèdent pas les moyens de leur politique. L'actuel ministre de l'intérieur est un ancien magistrat, qui avait été, avant d'être nommé à la tête de ce département, tour à tour, procureur de la république et juge d'instruction à Kasserine, gouvernorat de l'Ouest de la Tunisie, où est situé le maquis terroriste tunisien, du Djebel Cha'ambi, qui fait frontière avec les wilaya de Tébessa et d'El-Oued. D'ailleurs, et pour démontrer, s'il en était besoin, que ce ministre subi les dictats des appareils d'En-NAhdha, depuis qu'il est à ce poste. Il n'a rien osé entreprendre dans les dossiers des gouverneurs -walis- dont 23 sur 24, des gouvernorats que compte le pays sont dirigés par des militants de la troïka qui gouverne le pays, avec la part du lion pour ceux d'En-Nahdh. Le même topo se présente dans le corps des délégués- les chefs de daïras-, dont 236 sur 264 sous préfets, sont issus des mêmes réservoirs de militants.

Lors de sa prise de fonctions, quand il remplaçait au ministère de l'intérieur, l'actuel premier ministre, frère musulman, Ali Laarayed, Lotfi Ben Jeddou, avait affirmé que son dossier prioritaire était de faire toute la lumière sur l'assassinat le 6 février 2013, de Chokri Belaïd. Force est, néanmoins, de constater, qu'il a sur les bras, depuis jeudi 25 juillet, un deuxième assassinat politique, et les assassins de Chokri, les mêmes que ceux qui avaient buté, Mohamed Bahri, non seulement courent toujours, mais osent revenir quasiment dans le même quartier et abattre de sang froid, une autre figure de la gauche tunisienne, avec un effet médiatique réussi, que ce genre de tueurs avaient toujours recherché, là où ils ont sévi de par le monde. Les premières impressions qui se dégagent de cette situation que vivent les tunisiens, c'est que les institutions du pays n'arrivent toujours pas à s'adapter à la donne terroriste. Les officiels quand ils interviennent à travers les médias, pour soit disant communiquer, semblent vraiment décalés. Ils adoptent et commentent même les points de vue que ceux des journalistes, qui eux sont dans leurs rôles. Selon certaines indiscrétions, monsieur Ben Jeddou, le ministre de l'intérieur, chef de la police et des renseignements généraux, n'aurait eu connaissance de l'assassinat de Mohamed Brahmi, que 15 minutes après sa commission et encore, par l'entremise d'un journaliste. Ce qui en dit long. Depuis ce deuxième assassinat, la vie politique évolue et change d'heure en heure, en tunisie. Plusieurs femmes et hommes politiques on lancé l'initiative de la formation d'un gouvernement de salut national. Quand 73 députés et pas des moindres, à l'Assemblée Nationale Constituante, puisque y figurent Ahmed Najib Chabbi, Mongi Rahoui, Iyed Dahmani, Khemaïs Ksila avaient dès la fin des obsèques de Mohamed Brahmi, décidé de tenir un sit-in devant le Palais du Bardo siège de l'assemblée, de planter des tentes et d'y demeurer jusqu'à la dissolution de la constituante. Il y a de quoi s'inquiéter. Toutefois, ils furent gazés au lacrymogène, avant de revenir durant la nuit du samedi 27 juillet, décidés à tenir leur siège, jusqu'à satisfaction de leur revendication, la dissolution de l'assemblée nationale constituante. En réaction à cela les militants d'En-Nahdha avaient organisé les prières surérogatoires, les taraouih, en face des parlementaires campeurs sous tentes, qu'un impressionnant cordon des forces de l'ordre séparait. La Tunisie est entrée dans une phase à plusieurs inconnues, facilitée par les échecs répétés du gouvernement dans la quasi majorité des domaines qui font la dynamique d'un pays. Encouragés par le médiocre rendement de l'Assemblée Nationale Constituante, qui n'arrive toujours pas, après presque deux années d'exercice, de présenter un projet de constitution de la Tunisie nouvelle, mais également l'absence de plus en plus marquée et curarisante du président de la république, de la vie politique tunisienne. Cet assassinat terroriste fut suivi le samedi 27 juillet par une première et audacieuse opération de destruction à l'explosif d'un véhicule 4x4 de la garde maritime tunisienne, en stationnement devant le poste de cette institution, en plein jour, sur la principale avenue du quartier de la Goulette dans la banlieue nord de tunis. Ce scénario terroriste déjà usité ailleurs, pour que s'installent, l'anarchie, le chaos, la pagaille et le désordre, d'un coté. Et de l'autre la peur, la panique, la suspicion, l'épouvante et la paranoïa. Et au final l'étouffement de toute revendication et de tout combat pour les libertés. C'est ce qui peut arriver aux centaines de sit-inneurs, femmes et d'hommes, qui campent devant le siège de l'Assemblée Constituante, et qui rompent le jeûne depuis le 27 juillet sur place. Un attentat terroriste refroidirait leur ardeur, et mettrait leur projet en péril, au profit de celui de leurs adversaires, qui eux sont décidés à ne pas quitter le pouvoir, coûtera ce que cela coûtera. Que faire alors ? Comme le rêve est chez les humains toujours permis, beaucoup de tunisiens se prennent à espérer un scénario à l'égyptienne. La gauche, quant à elle, appelle à un gouvernement de salut national, et la désignation d'un comité d'experts chargé de parachever la Constitution, rejointe en cela par la puissante Union Générale Tunisienne du Travail, le 29 juillet, à l'issue de la réunion qui s'est déroulée jusque tard dans la nuit, dans un hôtel situé à Gammarth, au Nord Est de Tunis.

Que faire pareillement, quand Ghannouchi réclame la réconciliation, souhaite des aménagements gouvernementaux, et dit sa disponibilité à écouter les milieux politiques tunisiens. Le président de l'Assemblée Nationale Constituante, Mustapha Ben Jaafar, pour ne pas perdre la main, incite lui les députés ayant gelé leur mandat, de revenir sur leur décision, et à retourner au travail, comme si de rien n'était. De son coté, le conseil supérieur des armées s'est réuni au palais de Carthage le dimanche 28 juillet, sous la présidence de Marzouki, mais à ce jour rien n'a filtré sur ce conclave. Sauf qu'entre temps il y a eu, le 29 juillet 2013, vers 18 heures et 30 minutes, juste avant la rupture du jeûne, l'assassinat de 9 soldats, dans un accrochage sanglant à Djebel Chaambi, dont cinq éléments avaient été égorgés, selon le correspondant de la chaîne de télévision nationale n°1, commentant l'évènement, à partir de l'hôpital régional de Kasserine. Les images diffusées par cette chaîne, étaient insoutenables et la foule devant la structure sanitaire criait sa haine contre les politiciens planqués, de Tunis. Ces 9 suppliciés faisaient partie des forces spéciales tunisiennes, les commandos, basés à Bizerte. Serait-ce cet odieux évènement, qui sera malheureusement, le déclic tant attendu, pour qu'en Tunisie, les institutionnels aux pouvoirs, réagissent en adéquation avec ce qui se passe dans le pays, pour le maintenir à flots, en attendant des jours meilleurs. En Algérie, ce qui allait annoncer le début de la décennie noire, avait commencé ainsi, par l'attaque de la caserne du groupement des gardes frontière, à Guemmar dans la wilaya d'El-Oued, le 25 novembre 1991. Nous naviguions alors, à vue en Algérie. Sans souhaiter une reproduction en Tunisie de nos malheurs. Nos frères tunisiens ont eux, pour minimiser les effets de leurs malheurs assez de visibilité pour ce faire. Enfin et avec tout le respect dus à toutes les victimes, et à tous les suppliés algériens du terrorisme sauvage. Parfois, à quelque chose malheur est bon.