Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Abderazak Mokri, président du MSP au « Le Quotidien d'Oran » : «Nous ne voulons pas entrer dans la polémique de l'article 88»

par Z. Mehdaoui

Présidentielles de 2014, santé du chef de l'Etat, coup d'Etat militaire en Egypte? Le nouveau président du Mouvement de la Société pour la Paix (MSP) Abderazak Mokri apporte, dans cet entretien, ses arguments et affirme que le projet islamiste reste tout à fait réalisable pour peu qu'on laisse la «mouvance» prendre le pouvoir? par les urnes.

Le Quotidien d'Oran: Depuis votre «intronisation» à la tête du MSP, vous avez multiplié les initiatives pour «fédérer» la mouvance islamiste. Est-ce que vous pensez réellement réussir là où de nombreux chef de partis islamistes ont échoué tout au long de ces dernières années en Algérie ?

Abderazak Mokri: Je pense que c'est de mon devoir d'essayer de rapprocher les idées et les objectifs des mouvements islamiques, c'est-à-dire arriver à une situation et faire en sorte de s'entraider autour des objectifs qui nous rassemblent et ils sont nombreux. Je pense qu'il faut réfléchir à de nouvelles approches mais il ne faut pas en parallèle avoir des ambitions démesurées. Si on arrive à avoir une union globale ça sera très bien. Je pense qu'on y arrivera notamment avec le front du changement (FC). Ceci dit, même si on n'arrive pas à faire ce rapprochement on pourra toujours établir une plate-forme d'entraide entre nous. On pourra toujours trouver des mécanismes pour atteindre nos objectifs. Une chose est certaine, on ne va pas cette fois-ci se séparer sans trouver de solution.

Q.O.: Est-ce que votre démarche vise les présidentielles de 2014 ?

A.M.: Non, ça n'a rien à voir avec les présidentielles.

Q.O.: Pensez-vous que le MSP qui a gouverné avec le FLN et le RND durant une décennie et qui est quelque peu discrédité, a l'ancrage populaire nécessaire pour présenter un candidat à la présidentielle prochaine ?

A.M.: On a tout l'ancrage nécessaire pour faire de la politique que ce soit pour les présidentielles, les autres échéances électorales ou tout autre action politique. Nous représentons un parti qui est présent à l'échelle nationale et je peux même affirmer que nous sommes le seul parti présent sur le territoire national et qui n'est pas aidé par le pouvoir en place ou tout autre force. Notre présence sur le terrain est spontanée et nous sommes une force qui se multiplie et qui se développe. Nous avons au sein de notre parti, une présence féminine extraordinaire et une présence de jeunes très importante. Nous sommes conscients que nous représentons la première force sociale en Algérie et la première force de l'opposition, du moins dans notre pays.

Q.O.: Le chef de l'Etat est rentré au pays mais l'opposition continue d'émettre des réserves sur les capacités de Bouteflika à gouverner le pays. Est-ce que le MSP est pour l'application de l'article 88 de la constitution ?

A.M.:Nous, nous ne voulons pas entrer dans cette polémique de l'article 88 de la constitution. Nous sommes un parti politique responsable et qui a le sens de la responsabilité mais aussi de l'humanisme. Le président de la République est malade et chaque être humain peut tomber malade. On ne peut qu'espérer un prompt rétablissement au président de la République. Maintenant, avant de parler de l'article 88, il faut d'abord avoir un dossier qui détermine clairement, médicalement et officiellement aussi que le président de la République est incapable d'exercer ses fonctions. Ce dossier on ne l'a pas et ce n'est pas de nos prérogatives d'enquêter sur la santé du président. Donc nous ne voulons pas entrer dans cette polémique de l'article 88. Nous espérons seulement aller vers des élections présidentielles en 2014 dans un climat serein et dans la transparence totale. Ceci étant, nous appelons bien entendu à un traitement transparent du dossier de la santé du président de la République mais nous nous contentons pour l'heure de ce qui est entre nos mains.

Q.O.: Toutes les politiques économiques mises en place depuis l'indépendance sont pensées sur la base de la rente pétrolière. Avez-vous au MSP une stratégie économique qui puisse sortir le pays de la dépendance des hydrocarbures ?

A.M.: Bien sûr. Pour consolider ce que vous venez de dire maintenant si on parle uniquement du plan quinquennal, 286 milliards de dollars ont été investis dans notre économie pour arriver en définitive à seulement 3% de croissance ce qui est au dessous du taux moyen en Afrique qui est entre 5 et 6%. Nous constatons également que les écarts entre les entrées en devises et les dépenses budgétaires se creusent davantage. Les importations des matières de première nécessité ont atteint en 2013 quelque 60 milliards de dollars, alors que selon les prévisions, l'Algérie ne pourra engranger durant la même période que 70 milliards de dollars d'exportation des hydrocarbures. Vous voyez bien que l'écart est en train de se creuser et c'est très dangereux pour l'Algérie.

Nous, nous avons une vision économique globale qui utilise justement cette rente pour le développement économique du pays par la création de l'entreprise et des emplois durables ce qui boostera le PIB hors hydrocarbures. Je voudrai souligner ici que le développement d'une économie hors hydrocarbures, nécessite beaucoup de réformes. Ces dernières doivent toucher les systèmes financiers et bancaires bien sûr mais aussi dans le domaine de la fiscalité. Les réformes doivent concerner la gouvernance et la manière avec laquelle on gère le pays sans oublier la lutte contre la corruption. Il faut également donner beaucoup d'importance à l'enseignement, la formation et la recherche scientifique. Il faut investir dans l'industrie, l'agriculture et les services pour arriver justement à un développement économique durable en dehors des hydrocarbures.

L'argent de la rente doit être utilisé pour ce développement et non pour acheter la paix sociale ou dans des projets populistes qui n'ont rien à voir avec la bonne gouvernance et qui n'ont aucune vision économique. Nous, nous avons un programme économique global qui est ficelé et élaboré par des experts, des économistes et des gens d'expérience.

Q.O.: L'actualité c'est aussi l'Egypte. Quelle est votre position par rapport à ce qui passe dans ce pays ?

A.M: Notre position est logique et claire. Nous rejetons ce coup d'Etat militaire qui met en péril pas seulement l'Egypte mais aussi tous les pays arabes et toute la planète. Ce coup d'Etat est un message très dangereux à l'adresse de millions de personnes pour leur dire qu'il ne peut y avoir de changement par les urnes et par l'action politique pacifique. A cause de ce coup d'Etat, des milliers de jeunes en Egypte pourraient être tentés d'aller rejoindre des groupes extrémistes armés. Il faut absolument rétablir la légitimité et la légalité en Egypte car nous estimons que le coup d'Etat mène tout le monde arabe vers des situations très dangereuses.

Q.O.: Est-ce que vous ne pensez pas que le projet islamiste reste irréalisable à la lumière de ce qui se passe dans les pays qui ont vécu le «printemps arabe» ?

A.M.: Je dirai que le projet «islamique» et non islamiste n'a pu être réalisable parce qu'on n'a jamais laissé ce projet arriver au pouvoir par la démocratie et les urnes.

Ce n'est pas une question de projet réaliste ou non mais c'est un problème de pouvoir. Les gens qui sont au pouvoir ne veulent pas lâcher ce pouvoir et brandissent à chaque fois ce qu'ils qualifient de «menace islamiste» qui n'a pas, selon eux, de projet réalisable. Nous disons clairement que nous représentons un projet réaliste, un projet économique et social fondé sur des approches pragmatiques et applicables.

Je dirai toutefois que le problème aujourd'hui n'est pas un problème de projet mais concerne la démocratie.        Le combat aujourd'hui est de porter notre projet par les voies que nous confère la démocratie tout en respectant cette démocratie. C'est à ce moment-là qu'on pourra parler si le projet islamique est réalisable ou non.